Cette semaine, nous assistons à la venue au monde de Yaacov et d’Essav. Nous les suivons jusqu’à la fuite de Yaacov vers ‘Haran, sur les ordres de ses parents, Isaac et Rivka, qui lui enjoignirent de quitter la terre de Canaan.

En effet, après avoir usurpé les bénédictions paternelles, sur l’ordre de sa mère Rivka, Yaacov était en danger, poursuivi par le courroux de son frère Essav. On se souvient que Yaacov s’était fait passer pour son frère Essav, afin de recevoir ces fameuses bénédictions?

Tous ces événements se déroulent sur une période de soixante-trois ans et la Thora n’a choisi de nous relater quelques anecdotes seulement. C’est que ces péripéties sont décisives pour l’avenir d’Israël et constituent les fondements de l’histoire juive, et ce jusqu’à la fin des temps.

Sans les directions données par nos maîtres, il est tout simplement impossible de comprendre, même superficiellement, le message délivré par la Thora dans notre paracha.

Dès le départ, la description d’Essav semble très négative. C’est le cas dès le moment où Rivka est enceinte des jumeaux :

« Comme les enfants se bousculaient dans son sein, elle dit : ?Si cela est ainsi, à quoi suis-je destinée ?’ Et elle alla consulter le Seigneur. » (Genèse 25 ; 22)

Rachi (ad hoc) rapporte le Midrach (23; 6), qui précise : Lorsque Rivka passait devant les lieux d’étude de Chem et Ever, Yaacov s’agitait pour sortir. Et lorsqu’elle passait devant le temple des idoles, c’est Essav qui se manifestait.

Par la suite, « les enfants ayant grandi, Essav devint un habile chasseur, un homme des champs, tandis que Yaacov, homme droit, vécut sous la tente» (Genèse25; 27).

La Thora nous relate ensuite la vente du droit d’aînesse d’Essav à Yaacov pour un plat de lentilles.

Cinq fautes

« C’est ainsi qu’Essav dédaigna le droit d’aînesse » (Genèse 25 ; 34). Ce droit d’aînesse n’entraînait pas des avantages matériels, mais signifiait des devoirs, ceux qui incombaient, à cette époque, aux premiers-nés : se consacrer au service divin et au sacrifice des Korbanoth (offrandes à D.ieu).

Le Talmud (Baba Batra 16b) ajoute de nouveaux éléments au sujet de cette vente un peu particulière. « Rabbi Yohanan dit : ce méchant ( racha ) Essav, a commis cinq fautes graves ce même jour : il eut des relations interdites avec une jeune femme mariée, il commit un meurtre, il renia l’existence de D.ieu ( kafar baikar ), il renia la résurrection des morts et il dédaigna le droit d’aînesse (par lequel il aurait dû accomplir le service divin). »

De ces différentes sources que nous venons de citer, il ressort qu’Essav, depuis sa conception, était l’incarnation du mal. Et pourtant?

Le Midrach semble à priori contredire cette approche :

«Les enfants grandirent’ (Genèse 25 ; 27) : il s’agit de Yaacov et d’Essav. De la même façon que le Nom divin reposait sur Yaacov, il aurait dû reposer également sur Essav.

Essav aurait dû mettre au monde des rois et Yaacov des prêtres. Les premières bénédictions revenaient à Essav et les dernières à Yaacov. Tout cela a été ôté à Essav lorsqu’il vendit son droit d’aînesse à Yaacov. A partir de ce moment, les mots du prophète Obadia sont effectifs :

?Voici que Je te fais petit parmi les peuples, tu es très méprisable.’ (Obadia 1-2)(Midrach Chir Hachirim Zouta chap. 1)

Un deuxième texte du Midrach ajoute : le plan divin initial était que sur les douze tribus du peuple juif, six devaient être issues d’Essav, et six de Yaacov.

De ces Midrachim, il ressort donc qu’Essav n’était pas mauvais dès le départ. Bien au contraire, il était pressenti pour être à l’origine de la lignée des rois d’Israël.

Mais une autre question se pose à nous : Comment expliquer l’amour que portait Isaac à Essav, même après sa déchéance ? On le sait, les patriarches étaient prophètes, ce qui implique un niveau de Connaissance inégalé.

Cette Connaissance inclut sans aucun doute l’aptitude à discerner le niveau moral de tous ceux qu’ils côtoient.

L’incarnation du mal

Selon les textes que nous avons cités, et qui montrent Essav comme l’incarnation du mal, comment Isaac a-t-il pu supporter ce fils ? Plus encore, l’aimer au point de vouloir le préférer à Yaacov pour lui transmettre les bénédictions divines.

Enfin, comment comprendre la peine immense d’Essav, quand il comprit que Yaacov lui avait usurpé les bénédictions de son père.

En effet, les mots du Talmud ( kafar baikar , qui a renié l’existence même de D.ieu), paraissent incompatibles avec cette peine : en effet, un hérétique, n’aurait ressenti aucun regret devant la perte de ces bénédictions, qui n’ont, à ses yeux, aucune valeur.

Pour sortir de l’impasse, il faut comprendre dans un sens différent le Midrach qui affirme qu’Essav était attiré par l’idolâtrie avant même de naître.

Les rôles d’Essav et de Yaacov étaient complémentaires, et chacun d’entre eux avait une mission différente à remplir dans ce monde.

A la différence de Yaacov, Essav avait comme mission d’extirper les forces du mal qui lui étaient innées. Et il faut savoir qu’il possédait toutes les aptitudes pour ce faire, étant doté du libre-arbitre, élément fondamental de chaque créature.

Sa mida (attribut de l’âme) fondamentale, était celle de la Guevoura , la rigueur.

S’il avait réussi à surmonter les forces du mal qu’il avait en lui, il aurait pu atteindre la perfection et participer ainsi à la création du peuple juif, à part égale avec Yaacov.

Le Zohar précise d’ailleurs que cet attribut de Guevoura était commun à Isaac et Essav : c’est la raison pour laquelle Isaac aimait Essav, voyant en lui celui qui allait perpétuer son propre travail de perfectionnement de la personnalité.

Ce même attribut était aussi celui de David hameleh. Le Midrach raconte: « Lorsque Samuel a vu que David était roux (Samuel 1 ; 16-12), il eut peur et il dit : ?Celui-là aussi va verser du sang comme Essav.’ A cela, D.ieu lui répondit : ?Avec cela de beaux yeux’ (idem) : Essav tue de sa propre initiative. Mais celui-là n’agit que sur l’ordre du Sanhédrin.» (Midrach Berechit Rabba, Chapitre 63)

En vérité, c’est à un niveau extrêmement subtil qu’Essav a failli, et sa vraie déchéance a été cachée à son père par la volonté de D.ieu Lui-même.

A l’âge de quinze ans, le jour de la mort de son grand-père Abraham, Essav va faillir pour la première fois. C’est en effet ce jour-là qu’il vendit le droit d’aînesse, et d’après nos maîtres, D.ieu a enlevé cinq années de vie à Abraham pour qu’il n’ait pas à souffrir de voir son petit-fils s’engager dans une voie de débauche. (cf. Rachi Genèse 25 ; 30)

Jusqu’à cette date, on déduit que son comportement était exemplaire.

Nos maîtres considèrent la vente du droit d’aînesse comme le point de départ de la déchéance d’Essav. Il faut savoir que les conditions de cette vente contiennent en eux le secret de la chute de ce dernier.

« Un jour, Yaacov faisait cuire un potage, quand Essav revint des champs et il était fatigué » (Genèse 25 ; 29).

Pourquoi la Thora doit-elle relever cette fatigue d’Essav ?

Les quatre composantes de l’âme

C’est qu’il ne s’agit pas d’une simple fatigue physique.

Vehou ayef (il était fatigué), c’est la personnalité même d’Essav ( sa nechama ) qui était fatiguée, et c’est la clé de sa déchéance.

Cette fatigue, ce manque de vigueur de l’âme trouve son origine dans une mida fondamentale. Le secret de cette fatigue étrange, nous allons le découvrir dans l’ouvrage Chaaré Kedoucha , de Rabbi ?Haïm Vital (l’élève de prédilection du Ari Hakadoch).

« Toutes les mauvaises Midoth sont ancrées dans les quatre composantes de l’âme : le feu, le vent, l’eau et la poussière. (?)

“L’élément poussière ( afar ) est l’origine de l’attribut du chagrin ( atsvouth ) et il en découle la mida de atslouth (fatigue, paresse) pour accomplir la Thora et les mitsvoth .

“Cela est dû au chagrin de l’âme. En effet, l’individu qui s’acharne à la poursuite des biens matériels des plaisirs de ce monde procure à son âme une sensation profonde d’insatisfaction. (Volume 1- 2).

“(?) Le chagrin empêche le service divin, l’accomplissement des mitsvoth et l’étude de la Thora. Le chagrin ouvre la porte aux tentations du yetser hara , mauvais penchant. (Volume 2 ? 4) »

Une étape fatidique

Cette fatigue d’Essav n’était pas un état d’âme passager, mais le résultat d’une interversion des valeurs. Essav avait mis toute son énergie dans la recherche des plaisirs de ce monde et dans l’acquisition de biens matériels.

Profiter au maximum de ce monde ( olam hazé ) était devenu pour Essav une fin en soi. Le pas pour succomber à toutes les tentations et commettre les fautes les plus graves était facile à franchir. Et Essav le franchit.

La conséquence inévitable fut le mépris pour le droit d’aînesse, c’est-à-dire pour le service divin.

La réaction de D.ieu fut immédiate : « Bazouï ata méod , tu es très méprisable ! » (Ovadia 1 ; 2).

Essav perd toute sa grandeur potentielle et devient méprisable aux yeux de D.ieu.

Evidemment, Essav ne devient pas un véritable hérétique : il n’est pas athée. C’est ce qui explique qu’il reste pleinement conscient de la portée incommensurable des bénédictions de son père.

Mais cette foi n’est pas véritable. C’est cette fausseté que nos maîtres expriment par les mots : kafar baikar , qui renie l’essentiel.

Qu’est-ce que l’essentiel ? C’est de comprendre le but de la création de l’homme. Au niveau d’Essav, le fils d’Isaac, le petit-fils d’Avraham, cette interversion des valeurs équivalait à un reniement global de D.ieu.

On observe le même processus au moment où Amalek attaque Israël.

La Thora remarque : « Tu étais alors fatigué, à bout de forces, et il ne craignait pas D.ieu » (Deutéronome 25 ; 18).

Rachi explique les termes « et il ne craignait pas D.ieu », comme se rapportant à Amalek.

Le Ohr Ha’haïm hakadoch, pour sa part, interprète les mots « et il ne craignait pas D.ieu », comme se rapportant à Israël !

Le fait de ne pas craindre D.ieu était la conséquence de cette fatigue, fatigue de l’âme.

Amalek, qui est l’émanation et le descendant d’Essav, pourra avoir prise sur Israël si ce dernier est lui aussi en état de fatigue, cette même fatigue qui a mené Essav à sa fin.

Essav aurait dû devenir l’ancêtre du peuple juif ; par son choix de vie et son positionnement philosophique, il est devenu son ennemi le plus farouche et ce jusqu’à la fin des temps.

Par le Rav Eliahou Elkaïm de la yéchiva Daat H’aim