Et voici les générations de Yits‘haq, fils d’Avraham : Avraham enfanta Yits‘haq. (25, 19)
La forme du verbe utilisée ici pour « enfanta » est holid, au factitif, et non yalad ou yalda, la forme de base (qal) employée habituellement pour une femme qui donne la vie. Cette tournure est techniquement correcte, puisqu’une femme donne naissance et qu’un homme « fait donner » naissance. Cependant, nous trouvons très souvent la déclinaison de yalad à propos d’un enfantement par le père, comme dans Beréchith 10, 15 et 24. Les deux formes sont donc acceptables. Cela étant, existe-t-il une raison particulière à l’emploi ici du mode factitif ?
Il y en a une effectivement, explique le Keli Yaqar. Le recours à cette tournure grammaticale signifie non seulement qu’Avraham a enfanté Yits‘haq, mais qu’il a été aussi la cause pour Yits‘haq de pouvoir enfanter à son tour. La Tora nous dira un peu plus loin (verset 21) que Rivqa était stérile, et que Yits‘haq et elle ont adressé des prières à Hachem pour qu’Il leur accorde une progéniture. Néanmoins, c’est son appel à lui que Dieu exauça. Rachi explique qu’Il a répondu à la requête de Yits‘haq, et non à celle de Rivqa, parce que la prière d’un juste, fils de juste, ne ressemble pas à celle d’un juste, fils d’un impie. Autrement dit, la prière de Yits‘haq a été exaucée par le mérite du vertueux Avraham. On peut donc dire que celui-ci a permis à Yits‘haq de pouvoir engendrer à son tour.
Et voici les générations de Yits‘haq, fils d’Avraham : Avraham enfanta Yits‘haq. (25, 19)
Les railleurs de l’époque se sont moqués d’Avraham et ont prétendu que Sara était devenue enceinte d’Avimélekh, explique Rachi. Somme toute, disaient-ils, elle avait vécu si longtemps avec son mari sans lui donner d’enfant, et voilà que, après un court séjour chez Avimélekh, elle avait eu un fils ! Pour discréditer leur allégation, Hachem a fait en sorte que Yits‘haq et Avraham présentent entre eux une très forte ressemblance physique, ce qui a convaincu tout le monde que, sans aucun doute, Avraham « avait enfanté Yits‘haq ».
Une question se pose : Yits‘haq avait quarante ans à la naissance de son fils, et la Tora a déjà indiqué à maintes reprises qu’il était « le fils d’Avraham ». Pourquoi avoir tant attendu pour dissiper les insinuations des moqueurs ?
Le Teroumath hadéchèn explique que c’est après la naissance de ‘Essaw et de Ya‘aqov que les persifleurs ont commencé de propager ces rumeurs. Comment est-il possible, se demandaient-ils, qu’un homme comme Yits‘haq, né de deux parents aussi saints, ait pu avoir un fils impie comme ‘Essaw ? Sara était assurément devenue enceinte d’Avimélekh, de sorte que les parents de Yits‘haq ont été l’un vertueux et l’autre, impie. Voilà comment lui-même a eu pour fils un vertueux et un impie.
Sachant que cela arriverait, Hachem a pris la précaution de donner à Yits‘haq, à sa naissance, un visage ressemblant intensément à celui d’Avraham. Personne ne pourrait ainsi prétendre sérieusement qu’il n’était pas son fils.
Yits‘haq supplia Hachem en face de sa femme, car elle était stérile. Hachem l’exauça, et Rivqa, sa femme, conçut. (25, 21)
L’ordre chronologique semble ici avoir été inversé. Pourquoi nous dire d’abord qu’ils ont prié, puis que la raison de leur prière était la stérilité de Rivqa ? N’aurait-il pas été plus logique que la Tora s’exprime en sens inverse, en indiquant d’abord que Rivqa était stérile, puis qu’elle et son mari ont prié ?
La progression suivie par le verset est en réalité tout à fait correcte, explique Rav Chelomo Ganzfried. Le Talmud (Yebamoth 64a) nous apprend que Rivqa était stérile parce que Hachem prend plaisir aux prières des justes. Il sait que ceux-ci réagissent à la souffrance par des requêtes et suppliques, raison pour laquelle Il les soumet à des épreuves. C’est donc bien Son désir de voir Yits‘haq prier qui était la cause de la stérilité de sa femme.
Yits‘haq supplia Hachem en face de sa femme, car elle était stérile. Hachem l’exauça, et Rivqa, sa femme, conçut. (25, 21)
Cette « supplication » de Yits‘haq est interprétée par Rachi comme une profusion intense de prières. Pour expliquer ce concept, le Maguid de Doubno indique que selon la procédure en usage dans les palais royaux, ceux qui plaident leur propre cause devant le souverain doivent être aussi brefs que possible. Les discours trop longs ne font que réduire les chances de succès. En revanche, celui qui soutient les prétentions d’un autre peut se permettre d’être beaucoup plus prolixe dans son discours. Les justes suivent la même formule dans leurs requêtes devant Hachem. Lorsqu’ils prient pour eux-mêmes, ils sont concis et succincts, mais quand ils implorent pour d’autres, ils s’étendent considérablement.
Celui qui prie pour autrui tout en ayant besoin de la même chose est exaucé en premier, nous enseigne le Talmud (Baba Qama 92a). Selon le Maguid de Doubno, celui qui prie pour son prochain dispose d’un autre avantage : Etant alors plus prolixe, il peut bénéficier lui-même des bienfaits que procurent les longues prières, celles qu’il n’aurait pas osé prononcer pour lui seul.
Telle est la signification de notre verset : Comme il priait pour sa femme, Yits‘haq pouvait s’exprimer à profusion. Il en est résulté que Hachem a accueilli sa propre prière, et qu’Il lui a accordé ce dont il avait besoin lui-même.
Le Rachbam interprète ce verset tout à fait différemment. Il interprète l’expression : « en face de sa femme » comme signifiant : « pour le bénéfice de sa femme ». Yits‘haq ne s’est jamais inquiété de ne pas pouvoir avoir d’enfants, puisque Hachem avait dit explicitement à Avraham (17, 19) : « Tu lui donneras pour nom Yits‘haq. J’établirai Mon alliance avec lui, comme alliance perpétuelle pour sa descendance après lui. » Dieu avait ainsi clairement indiqué qu’il n’était pas destiné à rester sans progéniture. Son souci était cependant pour Rivqa : Comme rien n’avait jamais été dit à son sujet, il était tout à fait possible que cette révélation divine eût à s’accomplir par une autre femme.
Cette interprétation est explicitement proposée dans le Midrach (Beréchith Rabba 63, 5), qui indique que Yits‘haq s’est ainsi adressé à Hachem : « Maître de l’univers ! Puissent tous les fils que Tu me donneras naître de cette femme vertueuse ! » Il était un fait acquis qu’il aurait des enfants ; la seule question était : avec qui ?