Le début de la paracha de Nasso est en vérité la continuité de la précédente, Bamidbar. Dans les derniers versets de celle-ci, D.ieu ordonna de recenser la première famille issue de Lévi, à savoir celle de Kéhat : « Qu’on fasse le relevé des têtes des enfants de Kéhat, selon leurs familles par maisons paternelles… » (4, 2). Notre paracha débute avec le recensement de la seconde famille : « Qu’on fasse aussi le relevé des têtes des enfants de Guerchon… » (4, 21) puis de la troisième famille des Lévites : « Les enfants de Mérari, selon leurs familles par maisons paternelles, tu les recenseras » (4, 29).
Le ‘Hatam Sofer (cité dans Itouré Torah) note une singularité dans l’expression de ces différents ordres. Pour les enfants de Guerchon, la Tora ajoute une précision : « Qu’on fasse ‘aussi’ le relevé… » Et tout l’inverse pour Mérari, le verset n’évoque même pas l’idée de faire « faire le relevé des têtes », mais ordonne simplement à Moché de « recenser » cette famille. Que devons-nous en comprendre ?
Selon le maître de Presbourg, ces trois familles symbolisent les trois différentes situations que connut le peuple juif au cours de son histoire. « Kehat » représente l’apogée de notre histoire, ces périodes où Israël vécut sur sa terre, rassemblé comme une même communauté (de la racine « Kéhila », comme on le voit dans le verset : « Il rassemblera [Ikehat] les peuples »). Les enfants de Kehat furent d’ailleurs Amram – littéralement le « peuple distingué » [Am-Ram] –, Itshar – qui éclaira [de la racine tsohar] l’humanité par sa sagesse –, ‘Hevron – un peuple vivant uni et soudé [‘haboura] – et Ouziel – personnifiant la « puissance de l’Eternel ». Pour ces périodes, il convenait de rappeler au peuple que leurs réussites émane de « leurs têtes » – c’est-à-dire de leur illustre ascendance, des « maisons paternelles » fondées par les patriarches.
Guerchon quant à lui évoque les périodes d’exil – quand le peuple juif vit comme un « étranger » [guer] parmi les nations – mais pendant lesquelles il jouit d’une certaine sérénité. Les deux fils de Guerchon furent Livni – c’est-à-dire un peuple « purifié » [mélouban] par l’exil – et Chimi – un peuple qui ne doit sa survie qu’à son « obéissance » [chemi’a] aux mitsvot. Ces périodes ambivalentes – ponctuées de difficultés et de quiétude à la fois – méritent donc « elles aussi » de rappeler au peuple que sa pérennité n’est due qu’à ses racines : « Qu’on fasse aussi le relevé des têtes des enfants de Guerchon. »
Quant au troisième type de périodes que peut connaître notre peuple, c’est celui de Mérari – littéralement « l’amertume » –, ces temps sombres marqués par les persécutions et les menaces d’anéantissement. Les enfants de ces périodes sont Ma’hli – les maux et la souffrance [de ma’hala – la maladie] – et Mouchi – l’« expulsion » et le bannissement, contraignant le peuple à errer d’un pays à l’autre. Pour ces générations, il n’est nullement besoin d’invoquer en leur faveur le souvenir des ancêtres. Le poids des persécutions leur offre une légitimité spécifique – supérieure à toutes les précédentes et ne requérant aucunement un « relevé des têtes ». C’est pourquoi il est simplement dit à leur sujet : « Tu les recenseras » – car chaque individu ayant vécu ces périodes possède son propre mérite, de façon parfaitement autonome.
Par Yonathan Bendennnoune,avec Hamodia.fr