Le mois de Tichri est une succession de dates importantes, allant de Roch Hachana jusqu’à Sim’hat Torah, en passant par Yom Kippour et Soukot. Ce florilège de fêtes ne manqua pas d’interpeller les commentateurs : que signifie ce brusque passage d’une atmosphère à l’autre ?
L’explication suivante est issue d’un discours de rav Matityahou Salomon chlita, le Machguia’h de la yéchiva de Lakewood (cité dans Kémotsé Chalal Rav).
Un premier élément d’explication apparaît dans l’un des Avinou Malkénou que l’on récite pendant les dix jours séparant Roch Hachana de Yom Kippour : « Notre Père, notre Roi, écris-nous dans le livre des mérites ! » De prime abord, que signifie cette prière ? En effet, si nous possédons effectivement des mérites, nul besoin n’est d’adjurer le Créateur de nous accorder le crédit de nos bonnes actions. Et si, a contrario, nous n’avons pas de mérites, comment peut-on demander à D.ieu de nous attribuer des actions que nous n’avons pas réalisées ?
Selon rav Daniel Movchovitz, le Roch Yéchiva de Kelm, la réponse est que nous formulons là une demande future : nous implorons D.ieu de nous accorder le mérite d’être, à l’avenir, les intermédiaires par lesquels de bonnes actions seront accomplies. La règle veut en effet que l’on « précipite les mérites par le biais de personnes méritantes ». En priant D.ieu de nous inscrire dans le « livre des mérites », nous l’implorons de nous donner le mérite… d’accumuler des mérites ! Comme si nous lui disions : « Si une quelconque mission doit être accomplie, donne-nous la chance d’être désignés pour la réaliser ! »
Cette petite prière renferme donc tout notre avenir potentiellement. Elle peut nous permettre de pénétrer dans ce formidable cercle vertueux, dans lequel chaque mérite en entraîne un autre à sa suite. Voilà pourquoi nous implorons D.ieu de nous inscrire dans ce livre « d’opportunités » – qui décide du partage des tâches de toutes les bonnes actions à réaliser.
Tichri – le retour des Nuées de Gloire
Poursuivons à présent avec un second point. Aussitôt après être sortis de Yom Kippour, nous entrons dans la fête de Soukot – la « période de nos réjouissances ». Or précisément, pourquoi nos Sages désignèrent cette fête comme un symbole de joie ? Si Pessa’h est appelé la « période de notre délivrance », et Chavouot celle « du Don de la Torah », c’est parce que ces événements marquèrent ces dates du calendrier. En revanche, rien n’explique que Soukot soit un moment spécifiquement consacré à la joie, puisqu’à notre connaissance, aucun événement particulièrement joyeux ne s’y est déroulé.
La réponse, selon le Machguia’h de Lakewood, réside dans un commentaire du Gaon de Vilna sur Chir HaChirim (1, 4). Ce dernier s’interroge sur la raison pour laquelle nous célébrons Soukot précisément pendant le mois de Tichri. En effet, étant donné que cette fête commémore les Nuées de Gloire qui entourèrent le campement d’Israël pendant les quarante ans d’errance dans le désert, il aurait été plus logique de célébrer Soukot au mois de Nissan, période à laquelle ces Nuées se manifestèrent pour la première fois. Le Gaon répond en expliquant qu’à la suite du Veau d’or, les Nuées se retirèrent du campement d’Israël. Et c’est seulement à la suite de Yom Kippour, après que Moché donna l’ordre de construire le Tabernacle et que l’ouvrage commença le 14 du mois de Tichri, que les Nuées revinrent.
Cette explication laisse apparaître que Soukot ne commémore pas simplement le miracle des Nuées de Gloire : cette fête célèbre le retour des Nuées après la faute du Veau d’or, lorsque le pardon de Yom Kippour fut entériné. Et si Soukot est un symbole de joie, c’est parce que cette période porte le témoignage du retour de la Chékhina dans le campement des Hébreux, après que leurs fautes furent expiées. Et depuis lors, nous célébrons chaque année cette fête en souvenir des Nuées de Gloire – ou plus précisément, en souvenir de la joie que celles-ci suscitèrent à l’annonce du pardon consécutif à Yom Kippour.
Suivant la même approche, rav Yérou’ham Leibovitz de Mir soutient également que la joie particulière de Soukot est « la Joie du pardon ». A cet égard, le Talmud enseigne dans le traité Souka (53/a) que pendant les réjouissances de Sim’hat Bet Hachoéva, on se rassemblait dans le Temple pour rendre grâce à D.ieu par des chants, des danses et toutes sortes de spectacles. Pendant ces festivités, ajoute le Talmud, « certains chantaient : ‘Heureuse notre enfance qui n’a pas fait honte à notre vieillesse’ – ce sont les Justes et les hommes aux belles actions qui s’exprimaient ainsi. D’autres chantaient : ‘Heureuse notre vieillesse qui a expié notre enfance’ – ce sont les repentis qui s’exprimaient ainsi. Mais les uns comme les autres chantaient en chœur : ‘Heureux qui n’a pas fauté ! Et celui qui a fauté, qu’il se repente !’ » Ce témoignage laisse clairement apparaître que pendant cette fête, la joie tenait essentiellement du pardon des fautes.
Il apparaît que Soukot constitue la suite logique de Yom Kippour. Non seulement parce qu’elle célèbre le pardon de Yom Kippour, mais également – pour rejoindre l’idée du rav Movchovitz – car elle constitue un formidable réservoir de mitsvot. Après avoir demandé au Créateur de nous « inscrire dans le livre des mérites » – c’est-à-dire dans une « spirale de mérites » –, nous sommes propulsés dans cette fête qui nous offre de nombreuses occasions de pénétrer dans ce cercle vertueux.
Ce sont donc ces deux formidables circonstances – celle de voir toutes nos fautes expiées, et celle d’avoir aussitôt l’occasion d’accomplir de nombreuses mitsvot – qui doivent susciter en nous, à Soukot, une joie profonde et envoûtante.
Par Yonathan Bendennnoune,en partenariat avec Hamodia.r