Voilà quelques mois, le ministre Zeev Elkin a lancé une mise en garde sur l'avenir de l'Autorité palestinienne, soulignant qu'elle risquait de s'effondrer après la disparition de Mahmoud Abbas.
Actualité Juive : Pourquoi pensez-vous que l'Autorité palestinienne pourrait s'effondrer après la disparition de son président actuel ?
Zeev Elkin : Ce risque existe en raison de l'absence de tout système de succession organisé. Mahmoud Abbas détient trois fonctions : il est le chef du Fatah, organisation politique, il est le leader de l'OLP qui représente l'ensemble du peuple palestinien, et il est aussi président de l'Autorité palestinienne (AP). Succéder à Mahmoud Abbas au Fatah ou à l'OLP, c'est encore possible, même si cela risque de susciter de nombreux affrontements. Mais le vrai problème, c'est la succession de Mahmoud Abbas à la tête de l'Autorité palestinienne.
A.J.: Quelles sont vos craintes ?
Z. E. : Même Mahmoud Abbas, lorsqu'il a succédé à Arafat a dû se soumettre à des élections pour devenir président de l'AP. Aujourd'hui, la possibilité de tenir des élections est très réduite. Pour plusieurs raisons. Tout d'abord, on voudra faire participer les habitants de Gaza. Or Gaza dépend du Hamas. Si le Hamas participe aux élections, il aura de grandes chances de l'emporter, et en pareil cas, le Fatah s'opposera à la tenue du scrutin.
A part cela, il y a la question de Jérusalem-est. Je ne pense pas que les Palestiniens accepteront de tenir des élections sans la participation des Arabes de Jérusalem-est, une possibilité inacceptable pour Israël.
Tout cela rend la tenue d'élections très improbable. Par ailleurs, il n'y a guère de successeur possible. Le Premier ministre palestinien n'est pas un personnage politique, c'est un technocrate. Au Parlement, élu voilà dix ans, le Hamas a la majorité. Il ne paraît pas être en mesure de prendre part au processus de succession.
Il ne semble donc pas possible de transmettre les rouages du pouvoir dans l'Autorité palestinienne d'une manière organisée. En l'absence de tels mécanismes institutionnels, on peut s'attendre à une guerre sans merci au sein de l'Autorité palestinienne entre les différentes forces en présence qui disposent de grandes quantités d'armes.
« L’effondrement de l’AP nous offrirait de nouvelles possibilités à exploiter »
A.J.: Ces luttes conduiront-elles, selon vous, à un effondrement de l'AP ?
Z. E. : Je pense que c'est très probable, surtout en l'absence d'un héritier naturel et alors que beaucoup luttent pour le pouvoir. Il risque d'y avoir aussi des problèmes financiers. Cela conduira à un grand désordre. L'effondrement ne sera pas forcément total. Il est possible qu'au niveau local, certains réussissent à s'imposer.
A.J.: Quelles seront les conséquences d'une telle situation pour les Israéliens ?
Z. E. : Cette situation recèle beaucoup de défis mais aussi des possibilités.
Du point de vue des risques, le premier sera sécuritaire. Si l'AP commence à s'effondrer, beaucoup de gens disposant d'armes vont cesser de recevoir leur salaire. Il est possible qu'ils tournent leurs armes contre nous. Cela nous obligera à prendre des mesures de protection et de défense.
Le second domaine, c'est le contrôle civil des territoires que nous pourrions être conduits à reprendre en charge, au moins partiellement, en cas d'effondrement de l'AP.
Autre question : comment réagira le monde ? La communauté internationale continuera-t-elle à verser des dons aux Palestiniens en l'absence de l'AP ? Il y dans ce domaine, de nombreuses questions.
Au niveau diplomatique : qui héritera du siège de l'AP au Nations unies ? Sera-ce l'OLP qui en est le titulaire officiel ou l'Etat de Gaza qui survivra ?
Mais cet effondrement de l'AP nous offrirait aussi de nouvelles occasions, des possibilités à exploiter. Car la stratégie d'Oslo qui nous accompagne jusqu'à ce jour nous cause bien des difficultés. Par exemple, la vague d'attentats que nous connaissons depuis quelques mois n'est généralement pas le fait d'organisations terroristes, elle est liée à une forme de conscience collective et à un endoctrinement effectué dans les écoles, les médias et les mosquées. L'effondrement de l'Autorité palestinienne nous offrirait une occasion d'influer sur ces questions.
A.J.: Vous avez tiré le signal d'alarme mais qu'est-il possible de faire pour empêcher une telle dégradation de la situation ou se préparer à l'affronter ?
Z. E. : Je pense que nous déployons des efforts considérables, nous-mêmes et le monde entier, pour tenter de sauver l'Autorité palestinienne. Je pense que ce n'est pas très utile car, quoi que nous fassions, l'AP s'effondrera en raison de problèmes politiques internes.
Il faut se préparer dans le domaine sécuritaire, pour les affaires civiles, politiques et diplomatiques. Dans le domaine militaire, on fait quelque chose, mais cela ne suffit pas. Et pour le reste on ne fait pratiquement rien.
A.J.: Vous êtes pessimiste ? Il faut se préparer à une période difficile ?
Z. E. : Je ne suis pas pessimiste. Nous avons affronté des situations plus difficiles que celle-là. Mais il vaut toujours mieux être prêt. C'est pour cela que j'ai choisi d'en parler publiquement pour que ces idées pénètrent dans l'opinion. J'en parle aussi dans des forums plus discrets. Même s'il n'est pas sûr à cent pour cent que cela va se produire, le risque est suffisamment sérieux pour que l'on s'y prépare.
Isabelle Puderbeutel pour Actualité Juive