Il s’est produit ici une inversion des rôles, fait remarquer Rachi. Dans ce verset, la Tora confère à Yithro l’honneur d’être « le beau-père de Moché ». Or, il est rapporté plus haut (4, 18) : « Moché alla, il retourna chez Yèthèr, son beau-père », impliquant que c’est lui qui se glorifiait alors de sa parenté avec Yithro, et non l’inverse.
La Torah nous enseigne ici en quoi l’homme se rend véritablement digne d’honneur, explique Rav Ye?hezqel Levenstein, le Machguia?h de Ponevezh. Par le passé, Moché était fier de son beau-père assoiffé de sagesse. Cette qualité mérite tant de respect que la Torah détaille : « chez Yèthèr, son beau-père ». Mais après le don de la Tora ?, c’est Yithro qui se targuait d’avoir pour gendre Moché, parangon de la vraie sagesse, dont il se flattait d’être le subalterne.
Ce verset nous rapporte également que Yithro était le prêtre de Midyan.
Quel est l’intérêt de cette information ?
La Tora nous apprend ici une règle importante en matière de conversions, explique Rav Chelomo Ganzfried. La Guemara (Yebamoth 24b) nous annonce qu’à l’époque messianique, le judaïsme n’acceptera plus de conversions, de même qu’il n’en a pas accepté pendant les règnes de David et Chelomo. A ces époques-là, quand la prospérité des Hébreux était à son apogée, les motivations des candidats à la conversion étaient suspectes, comme pouvant être dictées moins par une conviction sincère que par de l’opportunisme. Cela étant, comment la conversion de Yithro a-t-elle pu être acceptée, à un moment où le monde entier tremblait devant les succès spectaculaires des enfants d’Israël ?!
Le Talmud (Yebamoth 76a) résout une difficulté semblable à propos de la fille de Pharaon, qui s’est convertie et a épousé Chelomo (I Melakhim 3, 1). Il s’agissait, explique-t-il, d’une princesse égyptienne comblée, qui bénéficiait d’un statut et d’un mode de vie privilégiés. Elle n’avait donc pas besoin d’une conversion pour améliorer son standing.
C’est pourquoi elle a pu être acceptée, à une époque où d’autres candidats auraient été repoussés.Il en est allé de même pour Yithro. Lui aussi, en tant que prêtre de Midyan, jouissait d’un grand prestige et de maints privilèges. Il ne manquait de rien, et ce n’est certainement pas la perspective d’avantages personnels qui l’a motivé. Sa sincérité ne faisant donc aucun doute, il a pu être accepté comme converti.
Cette idée figure explicitement dans le commentaire de Rachi sur le verset (18, 5) « Yithro, beau-père de Moché, vint chez Moché avec sa femme et ses fils vers le désert? » : « Nous le savons bien, que [Moché] était dans le désert ! En réalité, le texte s’exprime ici à l’éloge de Yithro. Il menait jusque-là une existence constellée d’honneurs, et c’est par dévouement qu’il s’est rendu dans le désert, lieu de désolation, pour écouter des paroles de Tora. »
Cet homme qui était le prêtre ? et même, selon le Targoum, « le maître » de Midyan ? a néanmoins voulu partir dans le désert. La sincérité de sa démarche en vue de se convertir ne fait dès lors aucun doute.
Yithro prêtre de Midyan, beau-père de Moché, entendit tout ce que Dieu avait fait pour Moché et pour Israël Son peuple, que Hachem avait fait sortir Israël d’Egypte. (18, 1)
Ce verset comporte de nombreuses singularités. Il rapporte d’abord que Yithro entendit « tout ce que Dieu (Eloqim) avait fait » ? une action générale, et non limitée à une conjoncture particulière. Puis il poursuit : « ? que Hachem avait fait sortir Israël d’Egypte » ? en mettant l’accent sur l’événement spécifique qu’a été l’Exode.
De plus, la phrase mentionne d’abord « Eloqim », Nom représentant l’Attribut de stricte justice, puis « Hachem », qui désigne l’Attribut de miséricorde. La première partie du verset, enfin, nomme « Moché et Israël », et la seconde seulement « Israël ».
Pendant leur séjour en Egypte, explique Rav Israël Salanter, les Hébreux, à l’exception de la tribu de Léwi, s’étaient rendus coupables de pratiques idolâtres.
Comment ont-ils pu, dès lors, mériter les prodiges de leur délivrance et tous les autres dont ils ont bénéficié ?
Le verset résout cette question en différenciant deux sortes de miracles.
Quand les enfants d’Israël se sont tenus au bord de la mer, menacés par les chars égyptiens, et quand ils ont lutté contre ?Amaleq, ils se trouvaient tous menacés par un grave danger.
C’est pourquoi les mérites de Moché et ceux du reste de la tribu de Léwi, restés d’une totale fidélité à la Tora et à la volonté de Hachem, ont protégé le peuple entier, dont la libération a été justifiée même à l’aune de l’Attribut de stricte justice.
L’Exode, en revanche, ne s’appliquait pas vraiment aux membres de la tribu de Léwi. Bien qu’ils fussent restés en Egypte jusqu’à la fin, ils n’avaient jamais été asservis. Les miracles, dès lors, n’ont été accomplis qu’au profit des autres enfants d’Israël qui, avec le temps, avaient sombré dans l’idolâtrie. Puisque le mérite de Léwi ne pouvait pas les protéger, leur délivrance n’a été réalisée qu’en vertu de l’Attribut de miséricorde.
Cette distinction résout les difficultés présentées par notre verset. Yithro a entendu parler de « tout ce que Dieu (Eloqim) avait fait pour Moché et pour Israël ». En d’autres termes, il a été informé de tous les miracles qui avaient été réalisés pour « Moché », c’est-à-dire pour la tribu de Léwi ; et pour « Israël » ? pour le reste des enfants d’Israël ? par l’Attribut de stricte justice. En outre, il a entendu parler de l’Exode, par lequel « Hachem avait fait sortir Israël d’Egypte », en accomplissant des miracles pour les Hébreux sous l’égide de l’Attribut de miséricorde.