De 1945 à 2005, il a traqué les criminels nazis cachés dans le monde entier. Du célèbre Eichmann au policier qui, un jour de 1942, arrêta Anne Frank. Rescapé des camps, Simon Wiesenthal était un homme en quête de justice. Et un personnage controversé. Tom Segev, journaliste israélien, en brosse un portrait passionnant.
 

La scène se passe en hiver, fin 1949. Depuis quatre ans, Wiesenthal accumule des fiches sur les responsables de la Shoah. Notamment sur un certain Adolf Eichmann, l'un des principaux exécutants de la solution finale, dont l'épouse réside à Altaussee, paisible village au coeur de l'Autriche.

Le 20 décembre, un officier autrichien avertit Wiesenthal qu'Eichmann a été repéré. Le nazi projette de passer le Nouvel an en famille. Le guet-apens est préparé par des agents autrichiens. Wiesenthal s'en ouvre – « erreur fatale », dira-t-il – à un agent israélien qui, par sa présence remarquée à Altaussee, va faire capoter l'embuscade. Eichmann flaire le coup, s'enfuit dans la neige.

Cet échec « fera bouillir le sang de Wiesenthal jusqu'à la fin de ses jours », note Tom Segev, qui vient de publier une biographie sur le chasseur de nazis. Eichmann ne sera repris qu'en 1960, en Argentine.

Dès cet épisode, dont il donnera quatre versions contradictoires, tout Wiesenthal est là. La traque, impitoyable, qui devient sa raison de vivre après l'horreur des camps ; l'Autriche, où malgré la persistance de l'antisémitisme, il décide de rester ; les ambiguïtés du personnage et les eaux troubles de l'espionnage.
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Les nazis. Son obsession. Il a survécu à cinq camps, notamment « grâce à des Allemands respectables », insistera-t-il. « C'est un point central du personnage, estime Tom Segev. Pour lui, la justice n'est pas la vengeance, c'est d'ailleurs le titre de son autobiographie. » Alors, Wiesenthal, dès sa libération en 1945, fait des listes, récolte les noms propres, empile les documents, les bottins téléphoniques, les coupures de journaux.

Dans ces centaines de classeurs, l'histoire du XXe siècle défile. La naissance d'Israël et du Mossad, son service d'espionnage. Il fut un de leurs agents ? « Oui, répond Tom Segev, mais en fait c'est plutôt le Mossad qui travaillait pour lui. »
Au fil des ans, Wiesenthal devient une célébrité mondiale, grâce à ses « trophées ». Eichmann (même si son rôle est controversé) ; la capture du « boucher de Vilnius » ; celle de Karl Silberbauer, l'officier qui arrêta Anne Franck. Mais le personnage irrite et entretient une part d'ombre

Wiesenthal ne croyait pas à la culpabilité collective allemande. « Sa vision de la Shoah n'était pas restrictive. Il a toujours fait mémoire du massacre des Tsiganes. » En fait, Wiesenthal aura été, selon ses propres mots, la « mauvaise conscience » des criminels. Les anciens nazis se savaient traqués. Ce fut là son vrai tour de force : faire que la peur change de camp.

Laurent MARCHAND.
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