La manière dont la Torah nous enjoint de ne pas
formuler de mensonges est très particulière : « De
tout propos mensonger tu t’éloigneras » ; or, cette
expression prescrivant de « s’éloigner » d’un acte
interdit est tout à fait exceptionnelle puisqu’elle
ne se retrouve en aucune autre circonstance…

De fait, le principe même d’imposer
à l’homme de s’écarter
des risques d’infraction
– comme on le fait par exemple en
s’interdisant le Chabbat de déplacer
les objets dont l’usage est interdit,
relève par définition d’une
forme de barrière – généralement
établie par décret rabbinique. Or
exception à la règle, c’est la Torah
elle-même qui nous enjoint ici non
seulement de ne pas formuler de
mensonges, mais qui plus est de
« fuir » cette pratique.

Selon les maîtres de la ‘Hassidout
(rapportés par le ‘Hidouché haRm
Rim au nom de rabbi Bounam de
Pachiss’ha), cette exception vient
en fait révéler la gravité du mensonge
dans la mesure où la vérité
constitue le principe essentiel du
bien en ce monde. C’est également
en ce sens que la Torah nous enjoint
par ailleurs de « poursuivre
la justice », puisqu’elle seule est à
même de faire régner le bien dans
ce monde.Mais dans un tout autre registre,
cette expression peut également
s’expliquer à travers les lignes
d’une très fameuse discussion talmudique
sur laquelle s’opposèrent
les écoles de Chamaï et d’Hillel.

La mariée est-elle belle ?

Dans le Traité Kétoubot (page
17/a), les Sages de la Michna s’interrogent
sur la manière dont il
convient, pendant la célébration
d’un mariage, de faire l’éloge de
la jeune épouse devant le marié
: « Beth Chamaï disent : ‘[on
décrit] la mariée telle qu’elle est !’
Beth Hillel disent : ‘La mariée est
belle et gracieuse’ ! Beth Chamaï
demandèrent à Beth Hillel : ‘Si
la mariée devait être boiteuse ou
borgne, pourrait-on pour autant
la considérer comme étant belle et
gracieuse ? La Torah dit pourtant : De tout propos mensonger tu t’éloigneras ! Beth Hillel répondirent à
Beth Chamaï : ‘D’après vous, si un
homme devait avoir fait un mauvais
achat, devrait-on en faire l’éloge ou
le critiquer à ses yeux ? Il est évident
que l’on doit le féliciter de son
achat ! C’est d’ici que nos Sages ont
appris : Que l’homme fasse toujours
preuve de complaisance envers ses
semblables !’ ».

Comme le révéla le Maharal de
Prague (dans son ouvrage Nétivot
Olam, Nétiv haEmet, chapitre 1),
les arguments de ces deux illustres
écoles s’expliquent comme suit :
selon Beth Hillel, il est évident que
les éloges que l’on peut faire sur la
beauté d’une mariée sont parfaitement
subjectifs – car à l’instar de
cet homme qui vient de s’acheter un
bien, il ne fait aucun doute qu’aux
yeux du marié, sa jeune épouse est
resplendissante, et c’est pourquoi il
n’est en rien mensonger de la déclarer
« belle » puisqu’à ses yeux, elle
l’est effectivement.
Selon Beth Chamaï en revanche, il
n’est pas donné à l’homme de voiler
la vérité – telle que lui-même la
conçoit – sous le couvert de la subjectivité
de son interlocuteur : on
ne peut décrire une personne ou un
bien que tels qu’ils sont seulement
perçus par nos yeux. Et donc, le fait
de tenir compte des appréciations
extérieures relève fatalement d’une
forme de mensonge.

Or, si Beth Chamaï font ici preuve de
tant de rigueur, conclut le Maharal,
c’est précisément en vertu de l’expression
particulière de notre verset
– qui ne se suffit pas de nous interdire
le mensonge, mais même de « le
fuir »…

Inversement, semble-t-il, il se pourrait
que la position de Beth Hillel résulte
elle aussi de la tournure inhabituelle
de notre verset : en effet, s’il
était dit « ne mens pas » à l’instar de
toutes les autres défenses de la Torah,
nous aurions effectivement décelé
dans l’interdit du mensonge une
connotation absolue. Néanmoins, la
Torah nous enjoint ici de nous « éloigner
» du mensonge : autrement dit
que l’homme, conscient de sa propre
subjectivité, doit tendre à s’écarter
de ce qui est mensonger par rapport
à lui-même et à son environnement.
Et par conséquent, il est tout
à fait légitime que, pour les éloges
prononcés lors d’un mariage, l’on
s’en remette au regard porté par
le nouveau marié aux yeux de qui
sa jeune épouse est sans nul doute
la femme la plus gracieuse au
monde !

Y. BENDENNOUNE


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