Le thème des « Bikourim » – les prémices des fruits de la terre d’Israël présentés au Temple après la fête de Chavouot – est
très dense et profond. En effet, au fil des divers enseignements de nos Sages, nous nous apercevons qu’une importance toute
particulière était autrefois attribuée à cette offrande et qu’il est ici question de bien plus qu’un « sacrifice » parmi tant d’autres…
Dans le premier chapitre de notre paracha,
la Torah énonce le principe des Bikourim :
« Quand tu seras arrivé dans le pays que
l’Éternel ton D.ieu te donne en héritage, (…)
tu prendras des prémices de tous les fruits
de la terre, (…) tu les mettras dans une corbeille
et tu te rendras à l’endroit que l’Éternel
ton D.ieu t’aura donné (…) », (Dévarim,
26, 1-2). Arrivée au Temple de Jérusalem,
cette corbeille était remise entre les mains
du Cohen alors en fonction, qui la balançait
pendant que le propriétaire du champ
ou du verger lisait le passage du vidouy ;
enfin, les fruits étaient offerts à la famille
des Cohanim en service au Bet Hamikdach
pendant cette période.
Les processions de Bikourim
L’offrande des Bikourim était en réalité l’occasion
de manifestations impressionnantes
puisque c’est en grandes pompes que l’on
conduisait ces paniers de fruits jusqu’au
Temple de Jérusalem.
Inspiré par les enseignements de la Michna
Bikourim (notamment le chapitre
3), Maïmonide décrit ces festivités en ces
termes : « Dans chaque région rattachée à
l’un des Maamadot [« cercles » de personnages
importants qui se comptaient en Israël
au nombre de 24- Ndlr], on se rassemblait
dans la ville du Maamad afin que les particuliers
n’entreprennent pas la montée à
Jérusalem de manière individuelle, comme
il est dit : ‘Quand le peuple est nombreux,
c’est une gloire pour le Roi’, (Michlé 14, 28).
On dormait dans les rues de la ville – de
crainte qu’une impureté ne survienne dans
une maison – et au matin, le représentant
proclamait : ‘Levez-vous ! Montons à Tsion
jusqu’à l’Éternel notre D.ieu !’. Un taureau
marchait devant la procession, ses cornes
étaient recouvertes d’or et une couronne de
branches d’olivier trônait sur son front pour
rappeler que les Bikourim proviennent des
sept espèces de la Terre d’Israël. Des flûtes
jouaient devant [chacune de ces processions]
jusqu’à ce qu’elles approchent de Jérusalem.
(…) Les seconds, les responsables
et les intendants du Temple sortaient à leur
rencontre. (…) Tous les artisans de Jérusalem
se tenaient devant eux et les saluaient
en leur disant : ‘Nos frères, habitants de tel
endroit ! Soyez les bienvenus !’… ». C’est
donc avec des égards tous particuliers que
les porteurs des Bikourim étaient accueillis
à Jérusalem, puisque même des personnes
employées – les « artisans » évoqués ici
– pouvaient interrompre leur propre travail
pour aller aux devants de ces pèlerins.
Mais c’est certainement dans les mots du
Midrach suivant que s’exprime le mieux la
formidable dimension des prémices : « Rav
Houna dit au nom de rav Matna : ‘C’est par le mérite de trois choses que le monde fut
créé : par le mérite de la ‘Hala, par le mérite
des dîmes, et par le mérite des Bikourim.
Pourquoi cela ? Parce qu’il est dit :
‘Au commencement – Béréchit [également :
pour le ‘commencement’]’ (…) ; or, il n’est
de commencement que les Bikourim comme
l’énonce le verset : ‘Le début des prémices
de ta terre’, (Chémot, 23, 19) », (Béréchit
Rabba 1, 4).
Ce don des fruits de la terre constitue donc
l’un des principes élémentaires de la Création
de l’univers. Pourquoi cela ?
Sans compte ni mesure…
La première michna du Traité Péa, célèbre
pour son enseignement, nous apprend
notamment que les Bikourim ne sont pas
soumis à une « mesure minimale » : « Voici
les choses qui n’ont pas de mesure : le coin
des champs, les prémices (…) ». Dans l’absolu,
le propriétaire d’un champ pourrait
donc se rendre quitte du devoir des Bikourim
en amenant un simple grain de blé au
Temple. Or, si chacun des éléments énoncés
dans cette michna est également exempt de
mesure minimale, la raison invoquée pour
les prémices de fruits semble faire écho au
Midrach déjà cité plus haut : « Parce qu’il est
dit à leur sujet : ‘Le début des prémices’ et
que la Torah n’a pas stipulé de mesure à leur
sujet », (Barténoura ibid.).
La quintessence des Bikourim semble donc
converger vers ce concept de « réchit » – le
« commencement » – qui en fait l’un des éléments
fondamentaux de la Création et en
vertu duquel nulle mesure minimale n’est
requise pour les rendre conformes.
De fait, cette idée de « commencement »
se précise davantage dans le vidouy – la
« confession » – que chaque propriétaire
devait prononcer au moment où ses fruits
étaient balancés par le Cohen.
Dans ce texte que nous récitons en grande
partie dans la Haggada de Pessa’h, nous
résumons brièvement les péripéties du Patriarche
Yaacov : « L’Araméen ayant oppressé
mon père, il descendit en Égypte, y vécut
en étranger, peu nombreux d’abord, puis il
y devint une nation considérable, puissante
et nombreuse (…) », (ibid. 5). Avec ces mots,
nous mettons en relief les préludes quasiment
insignifiants du peuple d’Israël face à
sa prodigieuse destinée ultérieure qui le fit
devenir une nation « considérable, puissante
et nombreuse ».
Le vidouy enchaîne ensuite dans le même
élan : « (…) Alors les Égyptiens nous traitèrent
de manière inique, nous opprimèrent et
nous imposèrent une dure servitude » ; une
référence à cette période de servitude et de
déchéance sociales que connurent nos ancêtres
dans ce pays étranger, ce qui n’empêcha
toutefois pas le Saint Béni soit-Il de
« nous faire sortir de l’Égypte avec une Main
puissante et un Bras étendu en opérant signes
et prodiges » pour nous conduire jusqu’à
« cette terre où coulent le lait et le miel »
et nous gratifier de ses plus beaux fruits. A
nouveau, nous mettons en évidence par ces
mots la genèse douloureuse de notre peuple
– qui aurait dû le conduire à son extinction
immédiate ! – et ce dénouement merveilleux
par lequel nos pères purent s’installer
sur notre terre.
En résumé, le regard que les Bikourim nous
invitent à porter sur toute notre Histoire
– et de là sur notre propre identité ! – met
en rapport notre condition première si humble
et dérisoire avec l’aboutissement prodigieux
auquel nous sommes parvenus. Ainsi
saisissons-nous une part même infime des
premiers « fruits de la terre » – un seul grain
de notre récolte à son état embryonnaire !
-, ce qui nous fait par là prendre conscience
de la modestie de nos origines au regard
de l’aboutissement vers lequel D.ieu nous a
propulsés. C’est pour cela que les Bikourim
constituent l’un des principes élémentaires
du monde, dans la mesure où ils illustrent
en substance le principe ex nihilo de la
Création du monde : « Au commencement,
D.ieu créa le ciel et la terre », c’est-à-dire
à partir du néant absolu « car Il a parlé, et
tout naquit », (Psaumes, 33, 9).
Un message éternel !
En leur qualité de principe élémentaire de
la Création, l’enseignement des Bikourim
continue de siéger au coeur même de notre
existence bien qu’ils ne connaissent
plus aujourd’hui d’application en l’absence
du Temple. En effet, si D.ieu propulse ainsi
l’homme à des sommets à partir d’une
condition plus que modeste, c’est que toute
réussite dépend nécessairement de la précarité
de ses débuts. Si les plus longues marches
commencent par quelques premiers
pas modestes, c’est que leur force réside en
particulier dans cette modicité première…
Le message de Bikourim est donc de ne pas
voir « le chas de l’aiguille » comme une dérogation
accordée au bénéfice du « moindre
effort », mais que c’est au contraire à
l’aide de moyens modestes qu’écloront
les plus grandes oeuvres. Si bien qu’au
lieu de dire que tous ces « petits détails »
de notre vie sont également nécessaires
pour donner corps à nos objectifs spirituels,
il faut au contraire affirmer que
eux seuls nous permettent d’y accéder !
Yonathan Bendennoune
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