« D.ieu parla à Moché en disant : Rends-toi chez
Pharaon car J’ai endurci son coeur afin d’opérer
tous Mes prodiges autour de lui ». Autrement
dit, ce verset semble suggérer que chaque plaie
supplémentaire produite par Moché sous les
yeux de Pharaon fut un motif pour que le coeur
du terrible monarque s’endurcisse davantage…
Or cette relation de cause à effet mérite d’être
éclaircie : chaque plaie n’était-elle pas au
contraire susceptible d’adoucir les sentiments de
Pharaon ?

L’abondance des preuves incite
généralement les hommes
à en déduire les conclusions
qui s’imposent ; or dans le verset
précité, il apparaît que c’est au
contraire pour endurcir le coeur
de Pharaon et accomplir sous ses
yeux tous ces prodiges que tomba
l’ordre divin adressé à Moché :
« Va chez Pharaon »…

De fait, bien qu’il soit ici clair que
l’entêtement de Pharaon était dû à
la Volonté divine – comme le précisent
à maintes reprises les verssets
« J’ai endurci son coeur » -, la
Torah laisse néanmoins entendre
à cet endroit que cette incroyable
obstination était précisément la
conséquence des dix plaies…
Alors comment comprendre cette
relation ?

Dans ses écrits, le ‘Hafets ‘Haïm
apporte quelques remarques esssentielles
concernant les dix plaies
d’Egypte, qui nous permetront
sans doute de résoudre également
cette anomalie. Ainsi, en préambule
à notre paracha, le saint Zohar
rapporte cet enseignement :
« Rabbi Yéhouda ouvrait son enseignement
en disant : ‘Heureux
le peuple qui connaît la téroua [la
sonnerie du Chofar], qui s’oriente
à la lumière de Ta Face’ ». Or quelle
relation rabbi Yéhouda voyait-il
entre ce verset et le début de cette
section de la Torah ?

Il nous faut justement comprendre,
précisait le ‘Hafets ‘Haïm, que ce
verset explicite l’un des caractères
propres au peuple juif par lequel il
se distingue totalement des nations
du monde dans la relation qu’il
entretient avec D.ieu. Le Midrach
Tan’houma (Yithro, 16) commente le commandement de la Torah « Ne M’associez aucune divinl
nité, dieux d’argent ou dieux d’or »,
(Chémot 20, 20) en ces termes :
« C’est-à-dire : n’adoptez pas à mon
égard l’attitude que suivent les nations du monde avec leurs croyances ! Car lorsqu’elles sont comblées
par le bien, elles les honorent (…),
et lorsqu’elles sont accablées par les
épreuves, elles les méprisent… ».

Comme l’Histoire le prouva d’innombrables fois, lorsqu’un peuple
voue un amour conditionnel pour
sa foi et que celle-ci n’est plus en
mesure de répondre à ses attentes, il lui tourne tout simplement
le dos… Chez le peuple d’Israël en
revanche, la foi et la confiance des
Juifs en D.ieu sont d’une ténacité
telle qu’elles sont capables de surmonter les pires épreuves. Le Midrach poursuit en effet ses explicb
cations en ces termes : « Mais vous,
rendez grâce pour le bien autant
que pour le mal, comme l’annonça
le roi David : ‘Je lèverai la coupe
de ma délivrance et j’invoquerai le
Nom de D.ieu ; je trouverai la peine
et les épreuves, et j’invoquerai le
Nom de D.ieu’, (Psaumes 116). Job
également tint les mêmes propos :
‘D.ieu a donné, D.ieu a pris, que le
Nom de D.ieu soit glorifié !’, (Job, 1,
21). Or sa femme lui déclara à cet
instant : ‘Combien t’obstineras-tu
dans ta croyance ? Jure par D.ieu
et meurs !’ ; mais il lui répondit :
‘Ton langage est celui des infidèles !
Quoi ? Nous accepterions le bien de
l’Éternel et le mal nous le refuserions… ?’ ».

Dans ce passage, le Midrach s’étend
sur les « bienfaits » de la douleur et
des épreuves au point de déclarer :
« L’homme doit se réjouir des épreuves davantage que des bienfaits », et
aussi de conclure : « Les épreuves
apportent la faveur divine davantage que les sacrifices : car si les
sacrifices sont un don d’argent, les
épreuves sont un don du corps ! ». Or
cette capacité à accepter les épreuves de la vie est une dimension spécifique du peuple juif : chez lui, la
confiance inconditionnelle en D.ieu
est d’une telle intensité qu’il est à
même de prononcer la bénédiction « Béni sois-Tu, Juge de Vérité »
face à des circonstances douloureuses, de la même façon qu’il le fait
à l’annonce d’un heureux évènement (Traité talmudique Berakhot,
page 60/b).

Dans les autres croyances en revanche, cette dimension n’existe
pas : les épreuves n’incitent leurs
fidèles qu’à se rebeller et à nier ce
qui était pourtant la veille évident
à leurs yeux ! Par conséquent, non
seulement la douleur n’adoucit-elle
pas leurs sentiments et ne les incite-t-
elle pas au repentir et à l’introspection, mais au contraire, elle n’est
qu’un prétexte de plus pour rejeter
en bloc toutes les résolutions passées… Lorsque l’ego de l’homme est
mis en question, il est ainsi aveuglé
par son point de vue très personnel :
l’épreuve est alors perçue comme la
preuve d’une négation incontestable de ses croyances d’hier ! C’est
donc en ce sens qu’il fut annoncé à
Moché : « Va chez Pharaon car J’ai
endurci son coeur » ; en effet, c’est
précisément à la mesure des plaies
et des épreuves qui frappèrent Pharaon que son coeur ne cessa de s’endurcir davantage, au point où D.ieu
décréta chez lui un statut de « non retour
» qui lui ferma toutes les
portes du repentir. Par opposition à
Pharaon, nous révèle rabbi Yéhouda
dans l’enseignement précité du Zohar, le peuple d’Israël se distingue
par sa capacité à accepter l’épreuve
comme une Volonté divine et à
courber l’échine devant elle, ce que
suggère le verset : « Heureux le peuple qui connaît la téroua ».

C’est de fait ce son du chofar qui
représente la soumission face
à la Volonté divine et qui permet à notre peuple de surmonter
les épreuves du temps, sans jamais que sa foi n’en soit altérée !

Yonathan Bendennoune


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