A l’occasion de la rencontre d’Eliézer le serviteur d’Avraham, et de Rivka, la future épouse d’Its’hak, la Torah nous décrit avec maints détails et à plusieurs reprises (dans un seul et long chapitre de quelque 67 versets !) les actes de générosité que cette dernière s’empressa d’accomplir. Puisque telle devait être l’épreuve qui permettrait à Eliézer de déterminer les traits de caractère escomptés par Avraham chez la femme que son fils allait épouser. Et ce, pour qu’elle puisse effectivement être digne de devenir l’une des mères (imaot) de l’Assemblée d’Israël. C’est ce que souligne Rachi au sujet de la prière qu’Eliézer adresse à l’Eternel quand il est dit : « La jeune fille à laquelle je dirai : ‘Veuille pencher ta cruche que je puisse boire’. Si elle dit : ‘Bois, et je ferai aussi boire tes chameaux’, c’est elle que Tu auras désignée », (Béréchit, 21, 14). A propos de quoi le grand maître de Troyes écrit : « Elle est digne de lui puisqu’elle agit avec bonté. Il convient donc qu’elle entre dans la maison d’Avraham ». Pourtant, une difficulté devrait sauter aux yeux de tout lecteur attentif. La bienveillance extraordinaire dont Rivka fit alors preuve semble dépasser de beaucoup ce qui est exigé par la Torah ellemême ! En effet, l’obligation que nous avons de nous soucier du bien-être d’autrui nous impose-telle d’apprendre du comportement de Rivka Iménou d’agir en tous points comme elle le fit ? Trouverions- nous cela normal qu’une toute jeune fille (selon les commentateurs, elle était âgée de 3 ou 14 ans, voir Traité talmudique Yévamot, page 61/b) qui, à la vue d’un groupe d’ouvriers robustes occupés à leur ouvrage, les accoste pour leur proposer de se reposer et d’effectuer elle-même leur tâche à leur place ? Pourtant, c’est bien ce que Rivka semble avoir fait ! Car en voyant un groupe de chameliers, tous plus solides les uns que les autres, elle s’empresse d’abreuver leurs chameaux… Avraham adopta quant à lui un comportement similaire lorsque, voyant au loin dans le désert trois hommes qu’il pense être des Arabes (voir Rachi), il se précipite à leur rencontre, les invite à se reposer à l’ombre de son campement et s’affaire activement à leur préparer un repas royal… Est-ce donc un tel comportement extrême que la Torah nous demande de retenir des actions de nos pères ?
Pères et fils
Afin de pouvoir répondre à cette question, il convient de comprendre qu’il existe en réalité une distinction de nature entre ce que nous nommons les « avot » (les ancêtres de ce qui deviendra l’Assemblée d’Israël) et les « banim », leurs descendants. Pour mieux l’entendre, prenons un exemple. Nos maîtres nous enseignent qu’en-dehors des différentes manifestations du feu telles qu’elles nous sont données à voir dans la nature, se tient – dans un tout autre domaine de la représentation – un « feu élémentaire » ou primordial (yéssod haEch) qui les rend toutes possibles. Pure ignescence, un tel feu n’a rien à voir avec la combustion d’éléments matériels dont relèvent tous les phénomènes incandescents que nous connaissons ici-bas – ces derniers constituant déjà des éléments composés des quatre réalités élémentaires que sont l’air, l’eau, le feu et la terre. Ainsi, même s’il était possible de déterminer la température d’une telle source thermique originelle, nous nous trouverions alors en présence d’une quantité de chaleur illimitée. Et ce, parce qu’à la différence de ses manifestations matérielles et partielles telles que nous les percevons au quotidien, la puissance de ce « feu élémentaire » ne connaît aucune limite, ni n’est circonscrite par aucun contour. Elle est, à l’image de son Créateur, radicalement absolue… Et telle est effectivement la différence de nature qui sépare les « avot » de leurs descendants. Avraham, on le sait, est le premier homme à avoir dévoilé dans le monde la middat ha’hessed, l’attribut de générosité, Its’hak révélant celui de la crainte du Ciel (yirat chamaïm). Chacun d’eux ayant, pour ainsi dire, porté à son paroxysme telle ou telle qualité, ces traits caractéristiques de leur personnalité, dont ils expérimentèrent l’essence de l’être jusque dans son intégrité originelle, étaient chez eux sans limite et vécus sous la forme de leur expression pure, c’est-à-dire au stade de leur essence première et inconditionnelle. Tel serait le propre de ce que nous désignons par le terme de « Av » (père ou principe) : il constitue l’a priori radical et substantiel de toutes les modalités qui dériveront de sa nature première ! Inversement, les « fils » (banim), leurs descendants dont le caractère est toujours déjà le produit de l’assemblage complexe de chacune de ces propriétés originelles révélées dans leur parfaite autonomie par nos ancêtres, ne devront jamais prétendre pouvoir se débarrasser de leur surdétermination existentielle afin d’inaugurer on ne sait quel « principe premier d’autonomie » – car autant soutenir alors qu’il serait raisonnable de se débarrasser du père (…) ! Mais qu’ils ne croient pas non plus qu’ils seraient susceptibles d’imiter à la lettre les comportements de nos patriarches puisque, nous l’avons vu, il existe un véritable partage de nature entre le fondement (av) et ses dérivées (toladot).
A notre propre échelle !
C’est donc en définitive dans un intervalle assez restreint – celui des conditions de la possibilité de notre présence au monde – et à certaines occasions seulement, lorsqu’il convient effectivement d’agir de la sorte et avec toute la perspicacité qui s’impose – qu’il nous est donné de nous comporter « à la manière » de nos ancêtres. Certes, nous avons l’obligation d’apprendre des actions de nos pères ce qu’est l’essence profonde de telle ou telle qualité dont ils révélèrent le sommet – puisqu’en tant que descendants légitimes, nous avons effectivement hérité de ces traits de caractère –, mais c’est à la condition d’être ensuite capables d’exprimer chacune d’elles au travers de la complexité qui est la nôtre et à notre propre échelle…
Yehuda Rück À partir d’un enseignement du rav Chimchon David Pinkous zatsal extrait de son livre « Tiférèt Torah » (paracha ‘Hayé Sarah)
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