Lorsque D.ieu annonce à Avraham que sa descendance sera abondante, celui-ci émet des doutes : « Que me donneras-Tu alors que je m’en vais sans postérité ? » D.ieu fait alors sortir le patriarche en plein air et lui dit : « Regarde le ciel et compte les étoiles : peux-tu en supputer le nombre ? Ainsi, dit-Il, sera ta descendance. »

Rachi commente ce verset ainsi : « ‘Il le fit sortir’ – Il lui dit : Sors donc de tes croyances astrologiques. Tu as vu dans les astres que tu n’auras pas de fils, mais si Avram n’a pas de fils, Avraham quant à lui en aura… »

Dans le Talmud, cette même discussion entre D.ieu et Avraham est rapportée avec une légère nuance : « Rav Yéhouda a dit au nom de Rav : D’où savons-nous qu’Israël n’est pas assujetti à un mazal [sort astrologique] ? Du verset qui dit : ‘Il le fit sortir’ –D.ieu dit à Avraham : ‘Sors donc de tes calculs astraux, car le peuple d’Israël n’est pas assujetti aux astres ! En quoi consiste ton calcul ? Dans le fait que Jupiter se tient à l’ouest ? Moi-même, Je le dévie de sa trajectoire et le place à l’est !’ »
Israël dépend-il des astres ou non ?
Dans ce même passage, le Talmud s’étend pourtant longuement sur des estimations précisément issues des astres : « Il est écrit dans les notes de Rabbi Yéhochoua ben Lévi : celui qui naît un dimanche sera un homme entier, chez qui ne se mêleront aucune autre qualité (…) c'est-à-dire qu’il sera soit entièrement bon, soit entièrement mauvais. Pourquoi ? Parce que le jour et la nuit furent créés en ce jour. Celui qui naît un lundi sera un homme coléreux. Pourquoi ? Parce que les eaux furent séparées en ce jour. Celui qui naît un mardi sera un homme riche et porté à la concupiscence. Pourquoi ? Parce qu’en ce jour, les herbes furent créées… » Et ainsi de suite, le Talmud énonce de nombreux traits de caractères dépendants du jour de la semaine ou de l’heure du jour pendant lequel un homme vient au monde.
Ces « prédictions » suscitèrent un certain nombre d’interrogations. Tout d’abord, le Talmud lui-même s’intéresse à la question de savoir si les astres ont effectivement une influence sur le sort ou le caractère des hommes. Bon nombre de Sages – parmi lesquels Rabbi Yo’hanan, Rav, Chmouël ou encore Rabbi Akiva – estiment qu’« Israël n’est pas assujetti à un mazal [sort déterminé par les astres] », comme nous l’avons vu plus haut. Mais d’autres s’opposent à cette vue et considèrent qu’Israël, autant que toutes les nations du monde, ne peut échapper à leur influence : « Rabbi ‘Hanina dit : Le mazal offre l’intelligence, le mazal offre la richesse, et Israël est assujetti à un mazal. »
Avant toute chose, il convient de déterminer la signification exacte de cette discussion. Le Ran (Drachot haRan chap. 8) s’étend longuement sur ce sujet et nous éclaire sur différents points. En étudiant attentivement ce passage du Talmud, note-t-il, on remarque que la discussion entre les Sages du Talmud n’est pas de savoir si les astres ont, oui ou non, une influence sur le destin des hommes. En effet, les différentes preuves que le Talmud apporte pour démontrer qu’Israël n’est pas assujetti au mazal indiquent clairement que, selon tous les avis, le mazal possède néanmoins une certaine influence. Par exemple, dans le passage cité plus haut où l’on voit que D.ieu somma Avraham de quitter ses croyances astrologiques, il apparaît que le destin du patriarche était effectivement de ne pas enfanter. Et c’est seulement grâce à une intervention divine – celle de modifier son nom ou de déplacer directement l’astre en question – que ce sort put être modifié.
Il apparaît donc que tous les avis s’accordent à penser que les astres sont effectivement influents. Ceci explique donc le sens des différentes prédictions énoncées par le Talmud lui-même, qui peuvent tout à fait faire l’unanimité. Alors en quoi consiste la discussion opposant ces Sages ? A savoir si l’homme peut échapper à son destin : d’après Rabbi Yo’hanan, tout homme peut s’y soustraire à l’aide de prières ou de mérites particuliers. Selon Rabbi ‘Hanina, le sort des hommes est immuable, l’homme destiné à être riche le sera forcément, et vice-versa…
Ceci étant, le Ran soulève une difficulté particulièrement épineuse : les versets de la Torah regorgent de promesses de bonheur et de sérénité – déjà dans ce monde-ci – pour les hommes respectueux de ses commandements. Or, si le sort de l’homme est déterminé à sa naissance de façon immuable, comme le pense Rabbi ‘Hanina, que signifient toutes ces promesses ?
Pour résoudre cette énigme, le Ran explique qu’il existe en vérité deux moyens d’échapper à l’influence des astres : on peut soit s’opposer à eux et contrecarrer directement leur action, soit se soustraire à leur effet en modifiant sa propre situation. Autrement dit, même l’homme atteint d’un mauvais sort peut y échapper en changeant simplement la donne : par exemple, modifier sa position géographique, en allant là où cette influence n’agira pas, ou encore modifier l’une ou l’autre de ses caractéristiques personnelles. C’est en ce sens que nos Sages disent que « celui qui change de lieu d’habitation change son mazal » ou que le fait de changer de nom influe sur le mazal.
Or ce second point, explique le Ran, fait l’unanimité : même si l’on admet que l’influence des astres est immuable, chacun peut néanmoins s’y soustraire par des palliatifs. C’est en cela que s’expliquent les promesses de bonheur qu’évoque la Torah : même si elle ne garantit par l’immunité face aux astres, elle peut néanmoins préserver l’homme de leur influence en l’incitant d’une manière ou d’une autre à modifier sa propre situation, l’écartant à son insu des catastrophes inscrites dans son destin…
Ouvrons une petite parenthèse : cette conclusion apporte un éclairage fort intéressant au commentaire de Rachi dans notre paracha. D’après lui, la manière dont D.ieu assura au patriarche que son signe astral ne l’empêchera pas d’avoir des enfants tient du fait qu’Il changera son nom, d’Avram en Avraham. Or, cette explication n’apparaît nulle part dans les textes talmudiques ! (On peut tout au plus la déduire d’un passage du Midrach, Béréchit Rabba 44, 12). Pourquoi Rachi ne se contenta-t-il pas de citer intégralement le Talmud, comme il le fait généralement, dans lequel il apparaît que D.ieu allait modifier l’axe de Jupiter ?
La réponse est que Rachi ne voulait pas s’en tenir à cette seule explication, qui s’oppose à l’avis de Rabbi ‘Hanina selon qui D.ieu n’intervient pas directement sur l’influence astrale. C’est pourquoi il préféra opter pour une modification réalisée sur la personne d’Avraham, qui est efficace selon tous les avis ainsi que nous l’avons vu dans le Ran…
Etre intègre avec D.ieu
Il nous reste un autre point à élucider : une mitsva de la Torah nous enjoint d’« être intègres avec l’Eternel notre D.ieu », qui implique, selon le Talmud (Pessa’him 113/b), une interdiction formelle de solliciter les Chaldéens, notoirement versés dans les sciences astrologiques. En nous enjoignant d’être « intègres » avec D.ieu, la Torah nous impose donc d’« avoir confiance en Lui pour tout ce que l’avenir nous réserve » (Rachi ad loc.).
Les différentes prévisions astrologiques du Talmud ne contredisent-elles pas cet ordre explicite ? D’autant plus que dans ce passage, il est relaté que Rabbi Akiva éprouva une grande inquiétude lorsqu’il apprit de la bouche des Chaldéens que sa fille mourrait, mordue par un serpent, le jour de son mariage. Son inquiétude n’allait-elle pas en contradiction avec cette mitsva de la Torah ?
L’un des commentaires du Ein Yaacov (Hakotev, fin de Chabbat) explique qu’en réalité, cette interdiction ne concerne que celui qui fait a priori la démarche d’interroger les Chaldéens, en sollicitant leurs présages astraux. En revanche, si l’on est informé d’un danger imminent, d’une manière ou d’une autre, rien ne nous interdit d’y prêter attention et de nous efforcer d’y réchapper.Par Yonathan Bendennnoune, en partenariat avec Hamodia