Depuis une semaine, la propagation à la Lybie de la grande vague de soulèvements qui déferle depuis un mois déjà sur le Maghreb et le Proche-Orient se passe de manière très chaotique et violente, du fait même de la nature hyper-despotique, répressive et " tribale " du régime mis en place voilà 42 ans, lors d'un coup de force du colonel Mouammar Kadhafi et de sa clique d'officiers.

Car dans la longue série des cortèges, des émeutes et des protestations enregistrées par " effet de domino " dans tout le monde arabe, c'est justement la dictature la plus coriace et la plus ancienne qui a réprimé, de la manière la plus sauvage qui soit, la foule sans cesse plus grande de ses opposants : en tirant sur eux à la mitrailleuse depuis des hélicoptères comme dimanche à Benghazi et, pire encore, en les faisant pilonner le lendemain par ses jets de combat comme à Tripoli… Et de fait, le triste avertissement lancé dimanche par Seif Kadhafi, le fils du dictateur, est déjà en train de se réaliser : « La Lybie n'est pas l'Égypte, a-t-il dit. Et si cette guerre civile se propage, le pays risque de connaître des fleuves de sang, avec des dizaines, voire des centaines de milliers de morts ! ».

Alors que toute la Lybie est déjà plongée dans une sanglante épreuve de force qui a fait au moins 600 morts en sept jours et que des civils se font mitrailler jour après jour par les soldats restés encore fidèles à la junte – ce qui rappelle les sinistres pratiques des pires dictatures sud-américaines d'extrême droite dans les années 1960 et 1970 -, aucun des grands pays européens alliés jusque-là avec le régime Kadhafi pour de basses raisons pétrolières, comme la France, n'a émis de protestations à la hauteur des crimes commis par le colonel. Sans doute par crainte que son départ du pouvoir ne laisse une Lybie exsangue et sans nulle alternative institutionnelle ni structure de remplacement…

C'est que deux sortes de raisons fort sérieuses, de nature socio-économique, font redouter aux dirigeants ouest-européens la chute de plus en plus probable de ce colonel mégalomane et sanguinaire d'un autre temps qui s'est toujours pris pour un " prince du désert " : une flambée incontrôlable des prix du pétrole (le prix du baril est ainsi dépassé les 90 dollars) ; et aussi le risque non négligeable d'un énorme afflux de réfugiés africains aux portes sud de l'Europe, la Lybie de Kadhafi ayant toujours joué jusque-là en Méditerranée centrale un rôle " tampon " et régulateur dans ces énormes migrations de travailleurs clandestins.
Le président de l'association mondiale des originaires de Lybie, Meïr Kahlon, commente pour Hamodia la situation dans son pays natal:
« Depuis le début de cette semaine, le contact avec mes amis là-bas est coupé. Il s’agit de proches du pouvoir, des universitaires et il serait trop dangereux pour eux de me parler.
Il n’y a plus aucun Juif en Lybie. Par contre, on trouve encore des Juives qui avaient été enlevées et converties de force à l’Islam lorsqu’elles n’étaient encore que des jeunes filles. Il y a eu des dizaines de cas comme cela avant que l’immense majorité de la communauté ne fuit le pays à partir de 1948. Certaines vivent encore, mais aucune n’a gardé de contact avec leurs familles d'origine ou avec le monde juif. Elles ont eu des enfants qui selon la halakha sont Juifs eux aussi mais je doute qu’aucun d’entre eux n’en soit conscient. En effet, elles ont toutes caché leurs origines. Il y a quelques années, l’une d’entre elle s’est rendue en Jordanie dans le plus grand secret afin de rencontrer les membres de sa famille qui vivaient en Israël. Je crois que c’est le seul cas de ce genre. En 2007, avec des diplomates israéliens, nous avons rencontré des représentants de Kadhafi. L’objectif était de voir ce qu’il était possible de faire concernant les vestiges de la communauté juive en Lybie. Mais nous n’avons trouvé aucun terrain d’entente… Une partie des synagogues ont été transformées en églises ou en mosquées. Les autres ont été détruites. Idem pour les cimetières.

Du grand cimetière juif de Tripoli, par exemple, il ne reste rien : des routes et des immeubles ont été construits dessus. J’espère vraiment qu’une démocratie verra le jour en Lybie et que nous pourrons nous y rendre. Énormément de Juifs libyens rêvent de visiter la terre où leurs parents où eux-mêmes ont vécu. Je me souviens que lorsque la Tunisie a commencé à accueillir des touristes israéliens vers 1993, beaucoup de personnes originaires de Lybie y sont allés dans l’espoir de passer la frontière, ou au moins s’en approcher. Moi-même, depuis 1949, je n’y suis jamais retourné. Je n’étais alors qu’un petit garçon et il ne me reste que les films, lehamodias photos…et mes souvenirs. ( En partenariat avec le journal Hamodia)