« La vie de Sara fut de cent ans, de vingt ans et de sept ans, telle fut la durée de sa vie » (Béréchit 23, 1). La formulation particulière de ce verset conduisit Rachi à lui donner une interprétation bien connue : « Elle était aussi exempte de fautes à cent ans qu’à vingt ans (…) et aussi belle à vingt ans qu’à sept ans… » De prime abord, s’interroge rav Its’hak Hutner, la beauté d’une femme est bien plus prononcée à l’âge de vingt ans qu’à sept ans. Or dans ce texte, nos Sages semblent au contraire considérer comme « modèle de beauté » celle d’une enfant de sept ans…
D’après lui, ceci laisse apparaître le profond fossé séparant notre manière d’envisager la beauté, et celle avec laquelle nos Sages la considéraient. A leurs yeux, la plus authentique beauté est incarnée par la pureté, l’innocence et la parfaite candeur qui marquent les traits d’une enfant. Loin d’accorder de l’importance aux mille atours dont se part une femme mûre, c’est au contraire la pureté qui caractérise la beauté. Et chez Sara, cette qualité l’accompagna toute sa vie durant…
De tout temps, Sara a toujours été considérée comme un modèle de piété et de bonté, dont s’inspirèrent les femmes pieuses de notre peuple. Les histoires qui suivent illustrent comment des femmes surent se hisser aux plus haut degrés pour servir leur Créateur et leur peuple.
Osnat Barzani, la « tanaïte »
La « tanaïte » – voilà comment on avait coutume d’appeler la Rabbanit Osnat Barzani, comme référence aux Sages de la Michna, les « tanaïm ». A l’image de Sara, son illustre ancêtre, cette femme exceptionnelle sut prendre les responsabilités qui s’imposèrent à elle, tout en s’attachant à une pudeur jamais mise à défaut.
Il y a environ quatre siècles, la communauté juive du Kurdistan était dirigée par rav Chmouel Barzani. Réputé comme l’un des plus grands maîtres de cette contrée, rav Chmouel consacra sa vie à son peuple. Portant sur ses épaules le joug de toute la communauté kurde, il guida son peuple, enseigna la Torah et forma de nombreux élèves. Sa fille, Osnat, était dotée de qualités peu communes. Elle épousa l’un des plus importants élèves de son père, rav Yaacov Barzani, qui était également son cousin. Peu après leur mariage, le couple partit s’installer dans la ville de Amadia, où il fonda une yéchiva. Plus tard, ils élurent domicile dans la grande ville de Mossoul, en Irak.
Malheureusement, rav Yaacov Barzani décéda à la fleur de l’âge, laissant derrière lui une veuve et un jeune orphelin, Chmouel, appelé au nom de son illustre grand-père. Privés de leur maître, les élèves de la yéchiva se sentirent perdus : qui leur enseignerait désormais la Torah ? Beaucoup, incapable de poursuivre leur étude d’eux-mêmes, songèrent même à renoncer à étudier.
Voyant cela, la « tanaïte » Osnat décida de prendre les rênes de l’institut talmudique : elle commença à assurer des cours quotidiens, dans l’attente que son fils grandisse et puisse reprendre l’œuvre de son père et de son grand-père. La Rabbanit Osnat prenait place dans une petite pièce, sous le grand Bet Hamidrach, dans laquelle on avait aménagé une petite fenêtre munie d’un épais rideau, et c’est à travers cette « mé’hitsa » qu’elle prodiguait ses enseignements. Dotée d’une vive intelligence, son érudition était exceptionnelle, autant dans la maîtrise des sujets les plus complexes que dans ses connaissances générales. Il s’avéra que c’est à son père, rav Chmouel, qu’elle devait sa brillante instruction. Comme elle en témoigna elle-même : « Mon père ne m’a jamais enseigné aucune métier ni aucun art, hormis la connaissance du Savoir divin, fidèle au verset : ‘Tu t’y consacreras jour et nuit’… »
Les nombreux disciples qu’elle forma avec le temps lui furent entièrement dévoués, et ne tarirent pas d’éloge sur elle. L’un d’eux, rav Pin’has Hariri, lui écrivit ainsi dans une lettre : « A mon maître, la Rabbanit Osnat, (…) N’oubliez pas, de grâce, de nous mentionner dans vos prières, car il est évident que vos prières sont agréées comme des offrandes sacrées, et qu’elles montent jusque dans les Cieux… » (Récit rapporté dans le Mayan Hachavoua)
La Rabbanite ‘Hava Bakhrakh
Dans le monde de la Halakha, l’un des responsa les plus célèbres est du à rav Yaïr ‘Haïm Bakhrakh, auteur du ‘Havot Yaïr. Dans la préface de son livre, il explique l’une des raisons qui l’incita à lui choisir ce nom : « J’ai également choisi ce titre en souvenir de ma grand-mère, ‘Hava, la mère de mon père, une femme pieuse. Si elle mérite cet hommage, c’est d’une part parce que par son biais, notre famille est liée au grand maître, connu sous le nom de rav Leib Prague (…). Mais aussi pour son érudition, car sa maîtrise de la Torah était unique dans sa génération. J’ai souvenance qu’elle possédait un volume du Midrach Rabba, sans commentaires, et elle l’étudiait à sa manière, selon sa compréhension. Dans de nombreux endroits, elle proposait des interprétations différentes de celles du Matnot Kéhouna, et tout lecteur verra que ses explications sont plus exactes. J’en ai d’ailleurs rapporté plusieurs dans mes ouvrages en son nom. Elle a également commenté les prières des fêtes, les séli’hot, le commentaire de Rachi sur la Torah, (…) et à plusieurs reprises, lorsque les grands de la génération avaient quelque doute sur l’un de ces textes, c’est elle qui le leur résolvait. (…) Devenue veuve à l’âge de trente ans, elle refusa de se remarier, par hommage pour son mari, mon grand-père rav Chmouel. Mon père m’a également raconté que le saint Gaon rav Yéchaya [Horowitz], auteur du Chlah HaKadoch, lorsqu’il partit s’installer en Erets-Israël, proposa à ma grand-mère de l’épouser. Mais elle refusa. Rav Yéchaya avait alors déclaré : ‘C’est à cause de mes fautes que je n’ai pas mérité de m’unir à cette sainte personne…’ » Par Yonathan Bendennnoune,en partenariat avec Hamodia.fr