De nos jours, nous sommes assis sur des chaises et mangeons à table, dans ce cas, comment doit on s’accouder ? afin que la consommation des 4 verres , ou des kazait de matsa soient agréable? en s’accoudant sur la table c’est trés desagréable, et ne correspond peut être pas à l’aspect “Herout” (liberté, et agréabilité) recherché…

Il y a en effet une opinion parmi les Rishonim selon laquelle il ne convient plus de s’accouder de nos jours.
Il s’agît du Raavia (§525, p.154). (Il est cité par de nombreux poskim : Tour (§472), Darkei moshé (§472), Agouda (Psa’him X, 92), Maharil (daf 15a –éd. Lublin 1904), Leket Yosher (p.88), Aboudarham, Hagahot Maïmoniot (HO’’M VII, 7), Maté Moshé (§620), Agour (§791), Mahari Weill (§153), Ma’hzor Kim’ha Deavishona (rabbi Yo’hanan de Trèves) )

Néanmoins le Ba’h (§472) , bien qu’enclin à retenir l’avis du Raavia , écrit que la majorité des Psokim opte pour maintenir l’obligation de Hasseiba (=s’accouder). Et le Leket Yosher (p.88) indique que le Raavia est le seul à considérer que la Hasseiba n’a plus de sens de nos jours ( Ya’hid Hou Badavar ). C’est aussi affirmé par le Hagahot Maïmoniot (HO’’M VII, 7) et le Beit Yossef (§472).

C’est un peu exagéré car il n’est assurément pas le seul (même depuis l’époque du Leket Yosher ) , il y a aussi le Raavan (daf 74b) [cité par le Mordekhaï Psa’him (34a, colonne 2) ]. Voir aussi dans le Likoutim Mehilkhot Amarkol (26b) (et Cf. Amarkol §23) que Rabeinou ‘Haim et Rabbi Baroukh de Mayence pensent comme le Raavia sur ce point. R. ‘Haim souligne même qu’au contraire, l’habitude des rois de nos jours est de manger en étant assis sur une chaise, c’est donc ce qu’il convient de faire.

Il y a aussi parmi les A’haronim des auteurs qui amènent une preuve à l’opinion du Raavia en se basant sur les mots du Yeroushalmi (Psa’him X, 1) qui justifient la Hasseiba (« car c’est l’habitude des esclaves de manger debout … ») , desquels il ressort que la Halakha de manger accoudé vient surtout dire qu’il ne faut pas manger debout (le soir de Pessa’h) , mais pas qu’il soit indispensable de manger accoudé (-même à l’époque des ‘Hazal !).

Il en résulte que de nos jours, celui qui mange debout ne serait pas quitte MÊME d’après le Raavia et aussi qu’il n’est absolument pas indispensable d’être accoudé. Voir Halikhot Olam (§472). En fait cette preuve est déjà amenée par le Touv Yeroushalayim (Psa’him X, 1) sans parler du Raavia .Voir aussi Shout Yeshouat Moshé (III, §48) .

Nous constatons donc qu’il est erroné de dire que le Raavia serait seul dans cette affaire. Toutefois, il demeure vrai que la majorité des Rishonim ne le suivent pas. Ces derniers semblent donc considérer que la Hasseiba est une Takana obligatoire et incontournable, sa raison d’être ne se résumerait pas seulement à symboliser la liberté, mais aussi à contribuer au Pirsoum Haness, c’est une idée que l’on retrouve chez un Rishon, Rabeinou Mena’hem Bar Shlomo (au XIIème siècle, on ne connait pas exactement ses dates, mais il a écrit son livre Even Bo’hen en 1143 et son Sekhel Tov en 1139) , dans son Midrash Sekhel Tov (Shemot, p.130) ( Tsarikh Hasseiba Mishoum Pirsoumei Nissa ).

D’après cette nouvelle idée, on peut comprendre l’intérêt de préserver l’habitude de la Hasseiba même si ce n’est plus le moyen de marquer sa liberté.
Il s’agirait donc de manifester et « publier » le Ness de Pessa’h par cette attitude. C’est l’explication que propose le Rav Kasher dans Hagada Shleima (p.70).

Cependant, je suis un peu sceptique sur l’originalité de cette nouvelle raison de la Hasseiba.
Je pense que le Sekhel Tov ne voulait rien dire de plus que ce que dit le Yeroushalmi Psa’him (X, 1) « Lehodia Sheyatsou Meavdout Le’heirout », ce qui ne signifie pas une Mitsva de Pirsoum Haness autre que le fait de manifester sa liberté par la Hasseiba… Ce qui doit aussi être l’intention du Rambam (‘hamets oumatsa VII, 6-7) .

En revanche, il est possible de parler de deux raisons distinctes pour expliquer la Hasseiba en se basant sur le Midrash (Shemot Raba XX, 18) qui explique le verset du début de Beshala’h « Vayassev Elokim ète haam »(Shemot XIII, 18) comme étant l’origine de l’obligation de s’accouder à Pessa’h, en souvenir de ce que D.ieu a « accoudé » les Hébreux (à la Sortie d’Egypte) (Vayassev milashon Hasseiba)
[Voir aussi Bamidbar Raba (I, 2) et sa citation dans le Or’hot ‘Haim (Hil. Pessa’h, §2) ].

Cette raison serait à distinguer de celle donnée par le Rambam (‘hamets oumatsa VII, 6-7) (qui parle de « Leharot Atsmo Keïlou Hou Beatsmo Yatsa… »).
C’est ainsi que l’explique le Or Aharon (I, §4, 2) et il souligne que selon la raison donnée par le Midrash , la Hasseiba serait une loi indépendante de la consommation, alors que selon la seconde explication, la Hasseiba est un détail de la Mitsva de consommation de la Matsa.
(C’est un grand classique, savoir si la Hasseiba fait partie de la Mitsva de Matsa ou si c’est une autre Halakha parallèle.)

Et même si l’on préfère se contenter d’une seule raison, pour montrer la liberté, il faudra encore comprendre la particularité de cette loi « même pour le pauvre » dont parle la Mishna (Psa’him 99b) ; pourquoi nous précise-t-on que « même le pauvre » devra s’accouder ?
Le Tosfot (Psa’him 99b) explique qu’on aurait pu se dire que puisqu’il n’a pas de quoi faire Hasseiba (=il ne possède pas de lit, ni de coussin) , il serait absurde de « singer » une Hasseiba en s’accoudant sur un banc.
C’est pourquoi la Mishna nous dit que le pauvre aussi, même s’il ne dispose pas de tout ce qu’il faut pour faire la Hasseiba convenablement car il n’a pas l’habitude de manger en position de Hasseiba, il devra tout de même pratiquer une Hasseiba avec les moyens du bord.

Il y a donc une nécessité à la Hasseiba, même si elle n’est pas naturelle et adaptée à la personne…

Peut-être que l’on peut encore ajouter une raison supplémentaire justement de nos jours où ce n’est plus habituel de s’accouder ; c’est ce qu’écrit le Aroukh Hashoul’han (O’’H, §472, 3) : étant donné qu’à Pessa’h il convient de faire des Shinouyim (des « anomalies ») dans les préparatifs du repas afin que les enfants soient amenés à poser des questions par eux-mêmes, il conviendra tout particulièrement de veiller à préserver la hasseiba qui constituejustement de nos jours une « anomalie ».

En conclusion : les décisionnaires suivent l’opinion majoritaire qui voit en la Hasseiba d’autres choses que le simple symbole de liberté, c’est pourquoi nous sommes toujours tenus de la pratiquer.

On prendra tout de même garde à ce que cela ne devienne pas un calvaire.