Il est rapporté dans le Tour (ouvrage halakhique du quatorzième siècle dont s’est inspiré l’auteur du Choul‘han ‘aroukh) que l’on doit, la veille de Roch hachana, se comporter comme on le fait en une veille de fête : On s’y prépare dans la joie, on revêt de beaux habits, on se fait couper les cheveux…
Comment concilier cet enseignement avec celui selon lequel on doit s’attendre, ce jour-là, à être incessamment jugé ? Pourquoi devons-nous tant nous préoccuper de notre aspect extérieur ?
Le peuple d’Israël n’a pas, à Roch hachana, l’état d’esprit d’un accusé préoccupé par le sort qui l’attend. Il est assuré d’avoir droit à un miracle, il pressent que son jugement aboutira à son acquittement. Les deux journées qui vont s’ouvrir seront donc, pour lui, ainsi que nous l’apprennent certains exégètes, des jours de joie.
Mais sur quels critères se sont appuyés ceux-ci pour pouvoir affirmer aussi péremptoirement qu’il se produira un tel miracle ? Ne sommes-nous pas sur le point d’être jugés, et ne devons-nous pas nous attendre au pire ?
Nos Sages nous apprennent que l’on ne récite pas la prière de Hallel (« Psaumes de louanges ») les jours de Roch hachana. Pour quelle raison, demande rabbi Abahou ?
Serait-il possible, lui répond-on, que nous, êtres humains, alors que le Saint béni soit-Il tient ouverts devant Lui les livres de jugement, chantions les Psaumes de Hallel, qui sont une expression d’allégresse, au lieu de trembler et d’implorer Son pardon ?
Et pourtant, nous devons faire abstraction de l’ouverture devant Lui des livres de la vie et de la mort. Nous ne devons pas craindre d’apprendre qui vivra et qui mourra… Il nous faut au contraire nous préparer, nous embellir, nous faire couper les cheveux, comme pour un jour de fête.
Observons, de surcroît, que nous ne supplions pas Hachem, dans nos prières, de nous accorder la vie (mis à part le début et la fin de la ‘amida).
Comment comprendre qu’en ces jours aussi menaçants nous n’exprimions pas ce désir ?
L’homme a été créé comme une entité individuelle à lui seul, comme un ye‘hidi, et à Roch hachana, kol baei ‘olam ‘ovrim lefanaw ki-venei marom (« tous ceux qui sont venus au monde passent devant Lui comme un troupeau », c’est-à-dire l’un après l’autre, individuellement).
Ce jour-là, l’homme revient à cet état premier.
Hachem le juge face à lui-même, comme au jour de sa naissance, Il regarde ce qu’il y a en chacun de nous, avec toutes nos qualités et nos défauts.
Hachem vérifie si le comportement de chaque homme a été en adéquation avec le potentiel qui lui a été livré lorsqu’il est venu au monde, et tout le monde passe devant Lui, en tant qu’individu indépendant de la collectivité à laquelle il appartient.
Chaque individu est devenu à lui seul un tsibbour, une collectivité, responsable du monde entier.
Chaque homme doit savoir que pendant ces jours-là, il devient responsable de ses actes à l’échelle mondiale.
Un seul individu ne peut pas, dans les affaires humaines, introniser à lui seul un roi. Pour qu’il y ait une monarchie, il faut que tout un parti la veuille.
Mais nous, en ces jours de Roch hachana, nous lisons chacun individuellement les malkhouyoth, cette tefila qui proclame Hachem comme Roi. En formulant une telle déclaration, nous nous comportons comme si nous représentions chacun le monde entier.
La communauté juive ne peut pas être dans la détresse chez la totalité de ceux qui la composent. Nous ne serons jamais entièrement détruits, étant données la promesse, l’alliance (berith) que nous tenons de Hachem et selon lesquelles le monde ne sera pas détruit. Voilà pourquoi chaque individu, qui est à lui seul un monde entier en ces jours redoutables, espère qu’il bénéficiera d’un miracle.
C’est pourquoi ces jours deviennent pour nous des jours de joie.
Si la teqi‘a, le son ininterrompu du chofar que nous sonnons à Roch Hachana, par lequel commencent et se concluent toutes les sonneries et qui représente l’année qui s’écoule, est entrecoupé de sonorités saccadées, c’est peut-être pour nous faire prendre conscience de ce que le cours de l’année est traversé par une certaine continuité et monotonie. Il faut savoir faire des coupures pour effectuer un ‘hechbon néfech (« introspection spirituelle » ou « examen de conscience ») et réaliser pleinement un roch la-chana, une « tête pour l’année », un renouveau spirituel qui nous fera commencer l’année qui s’ouvre avec de nouvelles résolutions, afin qu’elle ne ressemble pas à celle qui vient de s’achever.Ketiva ve‘hatima tova !
Rav Dov Roth-Lumbroso