Nos Sages enseignent que les Dix commandements furent tous énoncés simultanément, et qu’ensuite, Moché énonça chacun d’eux dans le détail. Comme nous allons le voir, cette tournure particulière laisse apparaître la relation de l’existence toute entière au Créateur.

Le Midrach rapporte l’idée suivante : « Les vingt-deux lettres qui composent la Torah furent toutes gravées par une plume de feu, par l’écriture du Saint béni soit-Il. Lorsqu’Il voulut créer le monde, toutes les lettres se présentèrent devant Lui. L’une réclama : ‘Crée le monde avec moi !’, l’autre revendiqua de même. Au début, le tav comparut (…) jusqu’à la lettre beth, avec laquelle débute le mot ‘Béréchit’. À ce constat, le aleph se tint de côté et se tut. Le Saint béni soit-Il l’appela et lui dit : ‘Pourquoi gardes-tu le silence ?’ Le aleph répondit : ‘Maître du monde ! Je n’ai aucun argument à Te présenter, car toutes les autres lettres ont une valeur numérique multiple, et moi je ne vaux qu’un.’ D.ieu lui répondit : ‘Ne crains rien, car tel un roi, tu es supérieure à toutes les autres lettres. Tu es un, Je suis un et la Torah est une, c’est donc par Toi que Je donnerai la Torah à Mon peuple, comme il est dit : ‘Anokhi – Je suis l’Eternel ton D.ieu…’ » (Otiot DéRabbi Akiva).
Par quelques mots succincts, le Maharal de Prague explique l’idée qui se cache derrière ce Midrach : « La Torah est le contrepoids du monde : si la nature de celui-ci réside dans la multiplication, la Torah est quant à elle l’ordre de toute l’existence. Et le fait qu’elle lie ainsi le monde entier jusqu’à l’unifier prouve l’Unicité de son Ordonnateur » (Tiféret Israël 34). Efforçons-nous de mieux saisir le sens de ces explications.
Du singulier au pluriel
Le fondement de la réalité physique réside dans la multiplicité : atomes et molécules se combinent de sorte à donner le jour aux innombrables substances qui composent la nature. Telle que l’expérience semble le démontrer, toute matière repose sur des éléments naturels, indépendants les uns des autres. De la sorte, la pluralité semble régner en maître dans les fondements de l’existence. Ce qu’enseigne le monothéisme de la Torah, c’est que toute cette multiplicité a pour origine une Unicité absolue, émanant du Créateur Lui-même. Et la totalité des mécanismes physiques – donnant le corps à des réalités aussi diverses que variées – n’ont qu’un seul but : révéler leur Source unique, que l’on appelle le Règne du Créateur.
Dans le vocabulaire midrachique, la Royauté se définit en effet comme la réunion d’éléments épars. Le roi est le personnage autour duquel l’ensemble d’une nation se réunit : c’est à travers lui que naît le sentiment d’appartenance à une même patrie, l’union de sujets multiples que rien ne semble lier. À l’échelle de la Création, le principe de Royauté consiste donc à mettre en lumière l’union fondamentale qui sous-tend toute l’existence.
L’instrument par lequel cette union se révèle n’est autre que la Torah : c’est à travers elle que le Créateur « communique » avec l’humanité, lui permettant de tracer le chemin remontant jusqu’à Lui. À cet égard, explique le Maharal, la Torah est « l’ordre de toute l’existence » – c’est elle qui coordonne les éléments en un tout indissociable, révélant leur origine unique.
Ceci explique l’idée des lettres beth et aleph, par lesquelles furent respectivement façonné le monde et la Torah. Le beth a en effet une valeur numérique de deux : il est le principe de base de la multiplicité, le creuset dans lequel l’Unique donna le jour à des éléments divers. C’est pourquoi le récit de la Création débute par « Béréchit », pour dire que le « commencement » originel est inscrit dans l’idée même du pluriel.
Mais par ailleurs, la Torah – c’est-à-dire la Parole divine qui se manifeste ici-bas – vise quant à elle à remettre les choses dans leur juste perspective : le beth de la Création est lui-même précédé par un aleph, par lequel débute le premier des Dix commandements : « Anokhi – Je suis l’Eternel ton D.ieu. » Car c’est en ayant conscience de l’existence d’un Créateur unique, que l’on sera à même de créer le lien entre les éléments de la Création et de tous les attribuer à une même origine. C’est ainsi que la Torah constitue le dévoilement de la Royauté divine, c’est-à-dire qu’elle met en évidence l’Unique qui se cache derrière le multiple.
L’alphabet dans le aleph
Ce principe apparaît au fil de nombreux Midrachim et commentaires de nos maîtres. Ainsi, le Gaon de Vilna écrit que le aleph est la plus importante des lettres de l’alphabet, « car sa forme contient l’ensemble des 26 autres lettres » (Likoutim 29). En effet, la forme achourit du aleph – tel qu’on l’écrit dans un Séfer Torah – est composée d’un youd dans sa partie supérieure, d’un vav qui forme sa partie centrale, et d’un autre youd qui lui sert de pied. Si l’on additionne la valeur numérique de ces trois lettres, on obtient un total de 26.
Ce nombre correspond à la totalité des autres lettres de l’alphabet hébraïque (21 lettres régulières et 5 lettres finales). Ceci évoque l’idée énoncée plus haut, selon laquelle le aleph englobe toute la multiplicité de la Création, évoquée par les différentes autres lettres dont la valeur est également multiple. Par ailleurs, le nombre 26 correspond également à la valeur numérique du Nom divin, indiquant que ce Nom – qui rappelle l’Unicité du Créateur – est à l’origine de toutes les variations de l’existence.
Le silence le plus absolu
Le Midrach suivant fait allusion à cette même idée : « Lorsque le Saint béni soit-Il S’exprima sur le mont Sinaï, Il fit taire le monde entier, afin que tous sachent que rien n’existe hormis Lui. Et c’est seulement alors qu’Il proclama : “Je suis l’Éternel ton D.ieu“ » (Chémot Rabba 29). Plus loin, le Midrach donne davantage de précisions sur ce point : « Rabbi Avahou dit au nom de Rabbi Yo’hanan : Lorsque le Saint béni soit-Il donna la Torah, pas un oiseau ne pépia, pas un volatile ne prit les airs, pas un taureau ne meugla, pas un ange ne vola, pas un Séraphin ne clama ‘Saint ! Saint !’, la mer cessa de s’agiter et l’humanité entière se tut. Le monde entier observa le silence et la Voix surgit : ‘Je suis l’Éternel ton D.ieu’. »
Avec l’annonce du premier des Dix commandements, il apparut que rien au monde – autant la réalité physique que spirituelle – ne possède d’existence propre. Tous les éléments comprirent à cet instant que « rien n’existe hormis Lui », et que la réalité contingente n’a pour but que de révéler Son existence absolue. À cet égard, lorsque D.ieu clama Lui-même, sur le mont Sinaï, qu’Il est le Créateur et le Maître de toute chose, il dévoila ouvertement Sa Toute-Puissance, sans passer par l’intermédiaire de Ses créatures. Ayant momentanément perdu leur rôle à jouer ici-bas, les éléments observèrent tous le silence, car leur fonction avait été suppléée par l’annonce du premier commandement : « Je suis l’Éternel ton D.ieu. »  Par Yonathan Bendennnoune,
(D’après MiMaamakim.)