Plusieurs centaines d'élèves, de rabbanim et de proches ont accompagné, à la sortie de Yom Kippour, le rav Moché Botschko zatsal vers sa dernière demeure au cimetière de Sanhédria à Jérusalem, où il repose désormais aux côtés de son illustre père, rav Yera'hmiel Eliaou Botschko zatsal, fondateur de la yéchiva Ets-'Haïm à Montreux en Suisse.
Le rav Moché Botschko qui était âgé de 93 ans s'est éteint à l'entrée de Kippour. Conformément à sa demande expresse et répétée, aucune oraison funèbre n'a été prononcée durant les obsèques : « Je voudrais qu'à la place, on étudie », avait demandé le rav. Seul son fils, rav Shaoul David Botschko a pris la parole pour évoquer l'exceptionnelle personnalité de son père, son inébranlable émouna, son extrême modestie, son amour pour tout être quel qu'il soit, sa quête permanente de vérité, et sa conduite sans reproche en tant que père et époux.
Rav Moché Botschko est né à Montreux, à Pessa'h 1917 (5667). Son père rav Yéra'hmiel Eliaou était, déjà à l'époque, considéré comme une sommité rabbinique. Perçu très jeune comme un « illouy », un génie de la Torah, le rav Yéra'hmiel Eliaou avait été l'un des proches disciples du Saba de Novardok, le rav Yossef Yosel Horovitz, et avait puisé, à sa source, les fondements de la Torah du Moussar dispensée dans la célèbre yéchiva lituanienne qu'il dirigeait. C'est avant la première guerre mondiale que le rav Yéra'hmiel Eliaou s'installera à Montreux après s'être marié avec Sarah Sternbuch, la fille du rav Naftali Sternbuch, connu pour sa sagesse et sa générosité, qui vivait à Bâle. La famille Sternbuch et en particulier la belle-sœur de Sarah Sternbuch, Reïcha Sternbuch, (qui fut la sœur du rav 'Haïm Yaacov Rottenberg zatsal) se distinguera durant la Seconde Guerre Mondiale en créant en Suisse un impressionnant réseau de sauvetage qui permit d'arracher des milliers de Juifs des griffes nazies.
En 1927, alors qu'il n'a que dix ans, le jeune Moché Botschko assiste à l'inauguration de la yéchiva Ets-'Haïm fondée par son père sur les hauteurs de Montreux. Très rapidement, le renom de cette yéchiva, la première fondée en Europe de l'Ouest au XXe siècle, va dépasser les frontières suisses. De nombreux élèves viendront étudier à la yéchiva de Montreux, qui à l'époque s'inscrit dans la lignée des grandes yéchivot lituaniennes et dans la plus pure tradition du Moussar. À l'approche de la Shoah, et pendant la guerre, la yéchiva deviendra aussi un refuge pour de nombreux Juifs et en particulier des rabbanim d'Europe de l'Est et Centrale obligés de fuir l'occupation nazie comme le rav Shlomo Wolbe zatsal ou le rav Yé'hiel Weinberg, le "Srideï esh"! Avant la guerre, rav Moché Botschko interviendra auprès des autorités suisses et, à l'aide d'un habile stratagème obtiendra un permis de séjour et de travail pour le rav Aaron Leib Steinman chlita qui vivait alors à Brisk. C'est ainsi que le rav Steinman passera la Seconde Guerre Mondiale à Montreux et enseignera à la yéchiva, jusqu'à son départ en Eretz Israel en 1946 !
C'est un an plus tard, en 1947, que rav Moché Botschko se marie à Montreux avec Helène Epstein, la fille du rav Ye'hezkel Epstein de Londres qui fut le premier traducteur et commentateur du Talmud en anglais.
À cette époque, rav Moché enseigne à la yéchiva mais dans la famille Botschko, on met une pointe d'honneur à ne pas vivre de l'enseignement de la Torah. Comme l'avait fait son père avant lui, rav Moché dirige donc un magasin de confection qui lui permet de disposer d'un salaire suffisant pour faire vivre sa jeune famille. En 1956, le rav Yéra'hmiel Eliaou Botschko décède. Et la direction de la yéchiva sera confiée pendant six ans au rav Its'hak Sheiner chlita, actuel roch Yéchiva de Kamenitz à Jérusalem. D'ailleurs le rav Its'hak Sheiner ainsi que le rav Moché Sternbuch, Av Beth Din de la Eda 'harédit étaient présents aux obsèques du rav Moché Botschko à Jérusalem. En 1963, lorsque le rav Sheiner décide de s'installer en Israël, c'est rav Moché qui prend la direction de la yéchiva. À partir de là et avec un réel courage, il va l'ouvrir vers d'autres horizons. D'abord sur le plan de l'orientation spirituelle et idéologique : sous la conduite de rav Moché, la yéchiva va se rapprocher du monde de la Torat Eretz Israël et de l'enseignement du rav Avraham Its'hak Hacohen Kook. D'ailleurs, le père de rav Moché, rav Yéra'hmiel pourtant pilier de l'Agoudat Israël en Europe, avait été en contact étroit avec le rav Kook pendant la première guerre mondiale et c'était même lui qui avait permis une rencontre entre le rav Kook et le fameux Nazir de Jérusalem, le rav David Hacohen, père du grand rabbin de 'Haïfa le rav Shaar Yachouv Cohen.
Principal reflet de ce changement d'orientation : la yéchiva célèbrera dès 1968, le Yom Yérouchalaïm en invitant des sommités rabbiniques d'Israël comme le rav Ovadia Yossef, alors Rishon-le-Tzion. Second tournant : l'arrivée de ce que le rav Moché appelait « les études générales ». Jusqu'au début des années 70, la yéchiva de Montreux est une yéchiva gvoha où l'on n'étudie que le « kodesh ». Mais rav Moché Botschko prend pleinement conscience du développement de la communauté juive de France avec l'arrivée des Juifs d'Afrique du Nord et il perçoit les besoins spécifiques de cette nouvelle jeunesse juive française. C'est ainsi qu'il décide d'introduire dans le programme de la yéchiva des études générales destinées aux élèves de seconde, première et terminale, selon le programme français.
Le succès sera immédiat. La yéchiva accueillera alors une quarantaine d'élèves avec des promotions allant de 6 à 20 élèves. La répartition en petites classes et la qualité du corps enseignant « généraliste » vont permettre aux jeunes de continuer à étudier le kodesh pendant le plus clair de la journée avec seulement deux heures de « 'hol » par jour. Les résultats au baccalauréat français sont excellents. Des jeunes parisiens, strasbourgeois et d'autres encore découvrent grâce à rav Moché l'attrait pour le limoud tout en poursuivant leur scolarité. Mais surtout ils goûtent à l'esprit « montreusien » qui devient rapidement célèbre (voir encadré).
Pendant 14 années, la yéchiva de Montreux encadrera autant de promotions d'élèves qui dans leur immense majorité décideront de s'installer en Israël en restant fidèle à l'esprit et l'enseignement inculqués par le rav Moché Botschko. Durant cette période, rav Moché fondera un beth midrach destiné à former des cadres enseignants en kodesh pour la France et Israël. Toujours dans le même esprit de dévouement et d'adaptation aux besoins du moment, rav Moché demandera à son fils, le rav Shaoul David de fonder un lycée-yéchiva près de Paris à Elisabethville (qui se déplacera ensuite à St-Maur). En 1985, rav Moché va opérer, toujours avec le courage qui le caractérise, un autre tournant majeur dans la vie de la yéchiva. À la grande déception des notables de Montreux, il va décider de faire « monter » l'ensemble de la yéchiva en Israël. C'est une « première » : en effet, jamais une yéchiva ne s'est installée en Israël de « son plein gré ».
La yéchiva ré-ouvre ses portes à Jérusalem et prend le nom de « Heichal Eliaou » du nom du père de rav Moché. Elle va devenir une yéchiva « hesder » qui associe l'armée et l'étude de la Torah. En 1995, la yéchiva se déplacera à nouveau pour s'installer dans la localité de Ko'hav Yaacov. C'est alors que le rav Moché confiera la fonction de roch yéchiva à son fils, le rav Shaoul David Botschko qui l'occupe jusqu'à ce jour en cumulant la fonction de rav de la localité de Ko'hav Yaacov. Au cours des dernières années, rav Moché qui vivait avec son épouse à proximité de son fils, est resté toujours impliqué dans le développement de la yéchiva tout en se consacrant à l'écriture de commentaires sur le Chas et sur la Paracha (« Héguioné Moché »,« Iyouné Moché »).
Preuve de son humilité, il signe ses ouvrages de son simple nom, Moché Botschko, sans le moindre titre. Il y a trois ans, les anciens élèves de la yéchiva ont organisé à Jérusalem, un émouvant rassemblement d'hommage à rav Moché Botschko à l'occasion des 80 ans de la yéchiva et des 90 ans de leur rav. Jeudi 16 septembre, quelques heures après avoir terminé une nouvelle série de commentaires sur la Torah (voir encadré) qui prouvait sa vivacité intellectuelle, rav Moché Botschko a été transporté à l'hôpital Hadassa à la suite d'un affaiblissement général. Lui qui avait su émouvoir aux larmes, des générations d'élèves en chantant d'une voix pure le Kol Nidré, est décédé à l'heure précise où cette prière retentissait dans les synagogues après avoir pu réciter le vidouï dans la prière de min'ha. Quelques heures plus tard, son petit-fils rav Nahoum Botschko, donnait naissance dans le même hôpital, à un petit garçon, le premier à porter aujourd'hui le nom de Moché Botschko, digne descendant d'une dynastie de rabbanim d'exception…
Que le souvenir du rav Moché Botschko zatsal, homme de courage et de modestie, soit béni.
L'esprit « montreusien » forgé par rav Moché Botschko
Pour beaucoup, Montreux c'était avant tout, une yéchiva. Mais pour les privilégiés qui ont eu la chance d'y étudier, « Montreux » c'était, avant tout, une grande famille. Dans le même esprit de proximité donné par son père, rav Moché Botschko et son épouse la rabbanite Hélène vont se dévouer corps et âme pour leurs élèves avec une entière abnégation, devenant une sorte de « parents adoptifs » de ces élèves. L'une des images, pourtant apparemment anodine, qui marquera une génération d'élèves, c'est de voir le roch yéchiva, rav Moché Botschko, remonter à pied, le pas alerte, vers la « villa Quisisana », siège de la yéchiva, les bras chargés des victuailles de la journée : « C'était rav Moché qui préparait les salades de Séouda Chlichit, se souvient le rav Elie Kling, élève puis rav à la yéchiva. Et nous trouvions cela normal ! Nous savions que rav Moché avait un magasin et nous trouvions cela normal ! …
Finalement il y avait quelque chose de dangereux à faire sa première expérience de la vie à la yéchiva de Montreux : nous risquions en effet, de croire que le monde entier est comme cela : rempli de personnes idéalistes mais simples, sages mais modestes, aussi exigeants envers eux-mêmes qu'envers les autres tels que l'étaient rav Moché et son épouse », explique avec humour le rav Kling, qui dirige aujourd'hui l'oulpena 'Hemdat Hadarom dans le Néguev. « À Montreux nous avions le sentiment d'avoir trouvé une seconde maison, confirme Philippe Marmor, ancien élève et médecin à Strasbourg. Je me souviens de la séouda chlichit conviviale et animée, ponctuée de zmirot et de divré torah. Je me souviens de l'accueil de rav Moché et de son épouse, les vendredis soir chez eux après le repas de chabat »
Mais l'esprit « montreusien » dispensé par rav Moché Botschko, c'était aussi un enseignement d'une richesse très particulière : « Je me souviens d'un jour où j'étais plongé dans un livre de commentaires de richonim et d'a'haronim sur une discussion de guemara, raconte, le Dr Mickael Wygoda, lui aussi ancien élève puis enseignant. Rav Moché s'est approché de moi et m'a dit : "Et la souguia elle-même, vous en êtes-vous déjà imprégné ?" Pour rav Moché, l'essentiel n'était pas d'accumuler des réflexions que d'autres avaient faites, mais c'était plutôt de susciter en nous des interrogations, des questionnements.
Rav Moché avait cette capacité de faire traverser chaque souguia dans un creuset de logique et de bon sens et il nous incitait à poser toutes les questions qui pouvaient surgir », explique Mickael Wygoda qui est aujourd'hui le directeur du département du Droit hébraïque au ministère de la Justice.
D.H. (Témoignages rassemblés dans le recueil « Véhaïsh Moché », publié en 2007).
L'ultime enseignement du rav Botschko
La veille de son décès, et à l'âge de 93 ans, rav Moché Botschko a terminé un nouveau commentaire de la Torah. Voici l'ultime enseignement qu'il a rédigé quelques heures avant son hospitalisation, et qui se rapporte à la paracha « Vezot Habera'ha », lue à Sim'hat Torah : « "Et personne ne connaît le lieu de la sépulture de Moché jusqu'à ce jour". Il n'est pas erroné d'affirmer que l'intention profonde de ce verset est d'insister sur le fait que, pour le peuple d'Israël, Moché Rabbénou n'est pas mort. Il vit et reste vivace dans le cœur et dans l'âme du peuple d'Israël. À chaque fois qu'un Juif prend un 'houmach et lit quelques versets, il permet d'affirmer que Moché Rabbénou n'est pas mort et qu'il vit dans l'esprit de chaque Juif"
Daniel Haik
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