Le rav Chlomo Zini, rabbin de la communauté des Oranais, rue du Faubourg Saint-Honoré (8e), connaissait Ilan Halimi zal. Il raconte pour Hamodia de quelle manière il a été mêlé à cette affaire et revient sur le déroulement de l’enquête.

– Hamodia : Dans quelles circonstances avez-vous connu la victime ?
Chlomo Zini : Un an et demi avant son enlèvement tragique, Ilan zal a participé à une Bar-Mitsva organisée dans ma communauté. J’ai prononcé une dracha sur la beauté d’Israël. Il m’a abordé pour me dire que cela lui avait fait chaud au cœur. Nous avons sympathisé. Il m’a expliqué qu’il souhaitait revenir à la Torah après s’être éloigné des Mitsvot. Il envisageait aussi une future alya. Nous avons conservé des liens et il avait mon numéro de téléphone portable…

– C’est parce qu’il était en possession de ce numéro que vous avez eu affaire au chef du « gang des barbares », Youssouf Fofana ?
– Ce point n’a jamais été élucidé. Toujours est-il que Fofana a obtenu mon numéro d’une manière ou d’une autre et savait que j’étais proche d’Ilan zal. Le 29 janvier 2006 vers 22 heures, j’ai reçu des messages vocaux. Je me trouvais à une cérémonie dans la synagogue. Fofana affirmait qu’il avait séquestré un « Juif religieux » et qu’il fallait que j’intervienne en tant que rabbin. Puis, il m’a donné des instructions précises concernant, entre autres, une vidéo montrant le jeune homme aux mains de ses geôliers. À charge pour moi de la récupérer dans une boîte aux lettres du 6e arrondissement. Je me suis immédiatement rendu à la police qui, par précaution, est allée à l’adresse indiquée à ma place. J’ai passé 48 heures au siège de la PJ, quai des Orfèvres, car les enquêteurs étaient persuadés – à tort – que j’allais recevoir à nouveau un coup de fil des kidnappeurs.

– Rétrospectivement, comment jugez-vous l’attitude des policiers ?
Plutôt mal. D’abord, le mobile antisémite, pourtant évident, a été longtemps écarté. Ensuite, Ruth Halimi voulait négocier une transaction financière pour que son fils soit libéré. Mais les policiers ont jeté de l’huile sur le feu. Ils ont aggravé par leur extrême nervosité la folie du gang et de Fofana en particulier. Ses revendications successives étaient certes incohérentes, mais peut-être aurait-on trouvé un terrain d’entente… Il est trop tard pour le dire. Enfin, les chefs de la PJ étaient convaincus qu’ils avaient affaire à des pros, alors que ces malfrats étaient des minables ! En conséquence, ils ont jugé inutile de lancer un appel à témoins avec le signalement de Fofana. C’était une grave erreur : ils étaient plus d’une vingtaine dans la bande et à Bagneux, le voisinage les connaissait. Je pense que le pire aurait pu être évité. C’est une simple supposition, mais je reste persuadé que les enquêteurs se sont beaucoup trompés.

– 10 ans après, a-t-on tiré tous les enseignements du drame ?
– Pas du tout ! Pour moi, l’affaire Halimi zal n’est pas un point de départ, mais la première conséquence spectaculaire d’un autre point de départ : celui du déni de la société face à la montée de l’antisémitisme d’origine islamiste. C’est un mensonge par omission très prégnant dans les médias. S’il y a eu prise de conscience, elle se situe au sommet de l’État. Il est évident que Nicolas Sarkozy comme François Hollande, et bien sûr Manuel Valls connaissent la réalité du terrain, l’évolution dramatique que l’on observe dans certaines zones urbaines, l’exode des Juifs… Mais au bas de l’échelle, le déni est encore là. Pire encore : le complotisme prospère. Au lendemain des attaques du 13 novembre, on a accusé Israël, en prétendant que la question palestinienne était à l’origine de tout. Ce genre de délire antisémite, qui rappelle l’époque où l’on proclamait que les Juifs pratiquaient le « meurtre rituel », n’est plus l’apanage de l’extrême droite. Il vient plutôt de la gauche radicale et cela m’inquiète infiniment pour l’avenir de notre communauté.

Propos recueillis par Axel Gantz pour Hamodia