Une personnalité hors du commun
Plus que toute biographie classique, c’est certainement entre les lignes
d’événements quotidiens et de courtes anecdotes – communes mais pourtant
hautement révélatrices – que l’on est à même de mieux redessiner le portrait
d’un personnage. Voici donc quelques superbes et pourtant modestes actions
de ce grand homme que fut rav Chlomo Zalman Auerbach zatsal, extraits de
l’ouvrage « ‘Hiko Mamtakim » qui compte pas moins de 1700 témoignages
sur ce personnage.

Un père pour les orphelins

Parmi les nombreuses veuves dont
rav Chlomo Zalman avait la charge
financière, l’une d’elles lui manifestait
sa gratitude par une coutume
immuable : tous les quelques
mois, elle lui faisait parvenir les
fruits de chaque nouvelle saison
– les plus beaux qu’elle trouvait
– alors que leur prix était encore
nettement supérieur à la moyenne.
L’un des proches du rav lui fit remarquer
qu’il serait judicieux
de faire cesser ce manège : à ses
yeux, ces dépenses étaient nettement
superflues pour une femme
aux moyens si modestes ! Mais rav
Chlomo Zalman interrompit aussitôt
ces réflexions : « Il est question
ici d’une veuve brisée et esseulée
dont l’unique satisfaction en ce
monde est de me faire parvenir des
fruits de saison ! Vous voudriez
l’en priver également ? ».

A une autre occasion, une jeune
veuve qui venait de perdre son
mari dans la fleur de l’âge s’était
présentée chez le maître pour lui
faire part de la détresse dans laquelle
elle se trouvait. A la fin de
la conversation, elle l’avait questionné
sur les démarches à entreprendre
à la mémoire de son jeune
mari défunt ; or la réponse qui
lui fut donnée ne manqua pas de
l’étonner : « Écoutez-moi bien ! S’il
est une chose que vous pouvez faire
pour votre mari, c’est d’aller acheter
des jouets à vos jeunes orphelins
et d’aller vous promener avec
eux. Ce sera la plus belle élévation
pour l’âme de votre époux. Oubliez
le deuil et allez donc vous distraire
avec vos quatre enfants ! ».

Une grande abnégation
pour le peuple juif

L’un des disciples de rav Chlomo
Zalman, lui-même aujourd’hui
très renommé, est le rav Yéhouda
Adess, le directeur de la yéchiva
« Kol Yaacov ». Il avait adressé un
jour au maître une question très
particulière : en s’isolant six années
consécutives et en cessant
toute action sociale, expliqua-t-il,
il se savait en mesure de compléter
l’étude intégrale du Talmud et
de rédiger d’imposants ouvrages de
commentaires en tant que fruits de
son assiduité. Néanmoins, il était
conscient du fait que dans l’état
actuel des choses, ses nombreuses
responsabilités à l’égard de ses élèves
l’empêchaient de s’adonner à sa
vocation. Alors comment agir… ?

La réponse de son maître ne se fit
cependant pas attendre : « Quelle
assurance avons-nous que clôturer
l’étude du Talmud ou rédiger des
commentaires en Torah corresponde
plus à la Volonté divine que le
fait de former des élèves et de s’occuper
du peuple de D.ieu ? ».

Rav Yéhouda ne put cependant
réprimer une certaine réticence
devant cette réponse, et il insista
en demandant à son maître si sa
sentence était à mettre en pratique
; …Ce dernier lui déclara
alors : « Non seulement je le pense,
mais j’agis moi-même en conséquence
! ».

Savoir authentiquement
partager la douleur d’autrui

Les récits rendant compte de
l’amour et des profonds sentiments
qui animaient le rav à l’égard de
ses prochains sont légion ! Comme
il le répétait lui-même fréquemment,
« même un simple soupir
échappant des lèvres d’un homme
juste est à même d’influencer la
décision du Tribunal d’En-Haut ».
A plus forte raison, pouvons-nous
avancer, cette assertion sera-t-elle
vraie face aux sanglots d’un homme
droit et pur, comme en témoigne
cette émouvante histoire…

Dans un centre pour « Baalé Téchouva
» originaires d’Amérique
du Sud divisé en deux sections non
mixtes, un jeune homme et une
jeune femme étaient fiancés, et la
cérémonie de leur mariage approchait
à grands pas. Les invitations
avaient été envoyées et les parents
des futurs époux étaient déjà arrivés
en Eretz-Israël pour prendre
part aux réjouissances.

Mais quelques jours avant la date
du mariage, ce bonheur faillit
tourner en tragédie. En toute innocence,
la jeune fille raconta à son
futur époux que quelques années
auparavant, elle avait connu un
Argentin non-juif avec qui elle
avait vécu pendant un certain
temps. Ces révélations a priori
anodines laissèrent pourtant le
jeune marié consterné : il était en
effet Cohen et il lui était par conséquent
interdit de s’engager par les
liens du mariage avec une femme
ayant connu un homme dont l’alliance
est proscrite par la Torah. Le
mariage semblait donc fortement
compromis…

Anéanti par ces terribles révélations,
le jeune homme s’en remit
à son maître qui, se sentant luimême
impuissant face à cette situation,
prit parti d’accompagner
le jeune homme chez le maître de
la génération, rav Chlomo Zalman
Auerbach. Bien que ces faits eurent
lieu à une heure avancée de la nuit,
le rav décida néanmoins de se rendre
sur-le-champ à la demeure du
maître, en vertu de l’importance et
de l’urgence du problème.

Arrivés sur place, ils eurent l’heureuse
surprise de constater que
la lumière brillait encore dans sa
maison… A peine eurent-ils frappé
à la porte qu’ils furent introduits
chez le maître, à qui les deux hommes
racontèrent tous les détails de
l’affaire dans l’espoir que ce dernier
découvre une solution à cet
affligeant problème.
Malheureusement, sa réponse fut
univoque : il n’y avait aucune
dérogation halakhique qui puisse
permettre à ce couple de concrétiser
ce mariage… Mais à peine
avait-il prononcé sa terrible décision
que rav Chlomo Zalman éclata
en sanglots sous leurs yeux, exprimant
par ces pleurs le chagrin et
la compassion qu’il éprouvait pour
ce jeune couple. Ce sanglot, témoignèrent
les deux hommes, fut un
spectacle difficilement soutenable
tant il manifestait une profonde
détresse humaine !

Mais a posteriori, il s’avéra que
ces larmes entraînèrent visiblement
avec elles des conséquences
inespérées. Le lendemain matin,
débarqua en effet à Jérusalem un
homme originaire d’Argentine qui
s’avéra être un parent éloigné de
rav Chlomo Zalman. Au courant
de cette visite inattendue, l’homme
fut mis au courant des tragiques
événements ayant éclaté la veille
pour ce jeune couple originaire du
même pays que lui. S’informant davantage
sur les noms et les détails
de l’affaire, il s’exclama aussitôt
connaître parfaitement ce « nonjuif
argentin » qui était en réalité
un Juif cachant son identité et
dont le grand-père était un homme
pieux, connu de la communauté…
A peine entendit-il ce témoignage
que rav Chlomo Zalman convoqua
le couple pour leur annoncer qu’ils
pouvaient reprendre dès à présent
les préparatifs de leur mariage !

Un autre témoignage de cette affection
profonde qui l’unissait à
ses frères juifs fut porté le jour
de son décès, au coeur de la procession
funèbre qui l’accompagna
jusqu’à sa dernière demeure. L’une
des personnes ayant pris part à la
procession paraissait alors particulièrement
affectée par sa disparition,
au point d’être incapable
de réprimer les sanglots qui la secouaient.
Pourtant, les proches du
rav avouèrent au même instant ne
pas connaître cet homme, et rien
ne semblait le lier au défunt plus
que tout autre…

Dès que ses pleurs lui laissèrent un
moment de répit, quelques personnes
l’accostèrent, pour tenter de lui
apporter du réconfort et le questionner
sur son si profond chagrin.
C’est à ce moment qu’il révéla les
faits suivants : « Mon histoire débute
il y a très longtemps, alors que
je n’étais qu’un jeune homme. Pendant
cette période, les caprices de
mon insouciance m’amenèrent aux
pires égarements : je rejetai alors
en bloc toutes les valeurs du judaïsme,
m’écartant totalement des
chemins de la Torah. Évidemment,
tous mes proches et toutes mes
connaissances antérieures cessèrent
aussitôt de me fréquenter ; ils
coupèrent totalement les liens avec
moi au point, semble-t-il, d’effacer
mon existence de leur mémoire…
Cette situation ne fit qu’empirer
mon état d’esprit : je me sentais
banni et proscrit ».

Après une courte pause, l’homme
reprit son récit en lâchant un profond
soupir : « La seule personne
qui ne coupa pas les liens avec moi,
qui m’appelait et prenait de mes
nouvelles avec une constance et une
assiduité qui me sidéraient fut rav
Chlomo Zalman zatsal ! Cet intérêt
qui jamais ne fut en défaut, conclut
l’homme, fut l’amorce de mon retour
vers D.ieu, et c’est lui seul qui
me donna le courage de rejoindre le
chemin de la Torah… ».

Le regard perçant d’un
décisionnaire !

Un homme s’était un jour présenté
à lui pour une question halakhique
pratique : dans la mesure où le
principe du érouv est souvent sujet
à caution, il souhaitait faire preuve
de rigueur à ce sujet et prendre sur
lui la ‘houmra de ne plus porter
davantage dans le domaine public
le jour du Chabbat. Mais à la place
des compliments qu’il s’attendait à
recevoir, la réponse que lui donna
rav Chlomo Zalman n’abonda pas
du tout en son sens : « Rien ne
vous retient de continuer à agir
suivant la coutume de vos parents.
Mais sachez que si vous souhaitez
prendre sur vous une rigueur
supplémentaire, il vous faut en
premier lieu étudier la question et
approfondir les différents aspects
halakhiques. C’est seulement une
fois que vous serez convaincu de
la pertinence d’une ‘houmra qu’il
conviendra de l’appliquer ! Mais il
ne faut en aucun cas se contenter
d’imiter simplement les ‘rigueurs’
des autres ! ».

C’est également dans les circonstances
suivantes que l’on put déceler
ce regard perçant qui le caractérisait
: un jeune homme vivant
dans son quartier de Chaaré
‘Hessed était venu un jour le trouver
en lui annonçant avec une profonde
émotion qu’il avait l’occasion
unique de se porter acquéreur des
volumes du Talmud dans lesquels
avait étudié le Gaon de Vilna en
personne ! Il précisa qu’outre l’ancienneté
de cette édition, les pages
de ces lourds volumes étaient encore
imprégnées de la cire des bougies
à la lumière desquelles le Gaon
s’était absorbé dans son étude… Il
venait donc demander conseil à rav
Chlomo Zalman sur cette opportunité
en lui expliquant qu’il pouvait
conclure l’affaire le jour même
pour la somme de 30 000 shekels
– une somme colossale à l’époque.
Mais la réaction du maître le laissa
pantois : « Voici, prenez donc mon
propre Talmud qui est lui aussi très
vieux. Et si vous y tenez tant, je
peux également faire couler sur ses
pages quelques gouttes de cire… ».
Quelques temps plus tard, le même
homme s’était rendu à nouveau
dans la demeure du maître, et à
peine ce dernier l’aperçut-il qu’il
s’empressa de lui formuler une requête
: une veuve de ses connaissances
endurait de lourds problèmes
financiers, et elle avait à ce
jour besoin d’une aide de 30 000
shekels. Mais par ses hésitations et
son silence, l’homme laissa clairement
entendre qu’il ne pouvait ou
ne souhaitait pas se défaire d’une
pareille somme.

La réponse du rav fut évidemment
tranchante : « C’est lorsqu’on attache
tant d’importance aux collections
anciennes que l’on se voit
finalement incapable de compatir à
la douleur d’une pauvre veuve… ».

Les lourdes tentures de la personnalité
humaine ne sont jamais
parfaitement pénétrables ; surtout
lorsqu’il s’agit des hauteurs atteintes
par ces grands hommes qui,
toute leur vie durant, s’attachent
à parfaire et à améliorer leur être.
Mais c’est à travers ces courtes
anecdotes – qu’il faut toujours détacher
de leur caractère succinct et
ponctuel – que nous pouvons néanmoins
être en mesure de discerner
l’envergure d’un personnage tel
que rav Chlomo Zalman Auerbach
zatsal.

Yonathan Bendennoune

(A partir d’extraits de l’ouvrage « ‘Hiko
Mamtakim » du rav Eliyahou Naé, dans lequel
sont rassemblés des témoignages pour
la plupart de première source, recueillis
auprès de 220 élèves et proches du rav).


Avec l’accord exceptionnel d’Hamodia-Edition Française

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