RAPIDE SURVOL DE LA PRESENCE JUIVE EN TUNISIE :
La présence juive en Tunisie est ancienne sans qu’on puisse la dater exactement. Nous avons des preuves de la présence juive dans la Carthage romaine . Les fouilles entreprises à l’époque du protectorat ont permis de découvrir des vestiges de cette présence juive, tels que la nécropole de Gammarth ou la synagogue de Naro (Hammam-Lif). Le Talmud fait d’ailleurs souvent mention des rabbins de Carthage. On trouve à diverses reprises la mention קרטגגאה à côté du nom d’un rabbin 1 . Mais il est probable que l’implantation des Juifs en Tunisie est bien antérieure à la période romaine. La tradition orale des Juifs de Djerba fait remonter leur présence sur l’île à la destruction du temple de Salomon par Nabuchodonosor en 586, mais rien ne confirme scientifiquement cette tradition.
Formée au début de juifs déportés de Judée par les Romains et de Berbères convertis, la population juive de Tunisie augmente au fur et à mesure de la conquête arabe (7ème siècle) de juifs venus de Perse et l’Irak. Plus instruits, ces derniers contribuent à la construction de Kairouan , la nouvelle capitale de l’Ifrikya. Ils apportent avec eux le Talmud et les commentaires rabbiniques jusque là inconnus dans cette contrée. Kairouan devient un grand centre de culture juive (9ème- 10ème siècle) en relation avec les académies d’Israël et de Bagdad : « A aucun moment la science juive ne fut plus florissante qu’à Kairouan » 2 . Les campagnes lancées sur la Tunisie par les Fatimides du Caire (11 ème siècle) puis par les Almohades (12 ème -13 ème siècles) entraînent pour la population juive des conversions forcées, des massacres, et un siècle d’intolérance religieuse. Ce n’est qu’à partir du 13 ème siècle avec le pouvoir Hafside que les communautés juives peuvent se reconstituer dans le cadre du Pacte de la Dhima qui leur assure une liberté de culte moyennant le paiement d’impôts spéciaux et de nombreuses discriminations. Elles se renforcent à partir du 15 ème siècle par l’arrivée de juifs chassés d’Espagne, puis à partir du 17 ème siècle par des juifs venus de Livourne originaires d’Espagne et du Portugal et revenus au judaïsme après une longue période de marranisation.
La première génération de l’âge d’or moderne est constituées de rebbi Avraham Cohen 3 et rebbi çéma’h çarfati 4 . Leur principal disciple est rebbi Avraham Taïeb 5 . Ces trois rabbanim vont renouveler l’étude du Talmud à Tunis et sont les initiateurs de la fameuse méthode tunisienne d’étude de la Guémara appelée ?Youn tounsi 6 .
A cette première génération succédèrent de grands maîtres comme rebbi Nathan Borgel 7 , auteur du ? hoq Natan , l’un des plus importants commentaires sur le séder Kodachim , imprimé en annexe de toutes les éditions modernes du Talmud, rebbi Yiç’hak Lumbroso, auteur du Zéra’ Yiç’hak , un extraordinaire recueil de gloses sur la plus grande partie du Talmud ou rebbi Avraham Cohen Yiç’haki, auteur de Michmérot Kehouna , auteur de commentaires sur tous les traités du Talmud ! C’est à cette époque que rebbi Haïm Yossef David Azoulay (le hida ) visita Tunis 8 qu’il qualifia de ?ir gdôla chel Hahakhamim vechel hasôfrim (une ville grande en savants et en scribes).
A partir du 19 ème siècle, les juifs de Tunisie sont très attirés par la modernité européenne. L’exemple des Livournais (ou « grana »), l’impact de la Révolution française en Tunisie et, surtout, la conquête de l’Algérie par la France entraînent de plus en plus de tentatives d’échapper au pouvoir beylical et d’adopter le mode de vie européen. Ce mouvement s’accentue avec la création de l’Ecole de l’Alliance Israélite Universelle à Tunis en 1878 puis le Protectorat français en 1881.
Les communautés juives bénéficient alors d’une liberté totale de culte et la scolarisation dans l’enseignement français adopté avec enthousiasme par les familles modifie la structure sociale et culturelle de la Communauté. Elle aura le triste privilège d’être la seule communauté d’Afrique du Nord confrontée pendant la 2 ème guerre mondiale à la présence des allemands qui entraîne malgré sa brièveté des sévices, des amendes forcées, des camps de travail, des assassinats et quelques déportations. Composée de plus de 100.000 membres à la veille de l’Indépendance, elle se trouve aujourd’hui réduite selon les meilleures estimations à 1.500 personnes environ.
1 Le Talmud cite par exemple un קרטגגאה חנה רב .
2 S. D.Goiten, A Mediterraneam Society, T.2, p. 203.
3 Surnommé Baba Rebbi , décédé en 1715.
4 Décédé en 1717 à Jérusalem.
5 Surnommé Baba Sidi, décédé en 1741.
6 La qualité principale de cette étude est son caractère analytique très proche du texte. C’est un style d’étude différent de celui de la majorité des yéchivot d’aujourd’hui, tant séfarades qu’achkénazes. De nos jours, on encourage plutôt l’élaboration d’exposés fondamentaux afin d’arriver à une synthèse des concepts exposés par la Guémara.
7 Décédé à Jérusalem en 1791.
8 En 1774.