« Tu pourras te donner un roi, celui
dont l’Éternel, Ton D.ieu, approuvera
le choix : c’est un de tes frères
que tu dois désigner pour ton roi ; tu
n’auras pas le droit de te soumettre
à un étranger, qui ne serait pas ton
frère » (Dévarim, 17, 15).
C’est par ce verset que la Torah nous
enjoint de ne nommer comme roi
qu’un homme issu du peuple d’Israël
à proprement parler, et non un prosélyte.
Par extrapolation, nos Sages nous
apprennent dans le Talmud que non
seulement le titre de roi, mais même
« tout pouvoir que tu attribueras ne
pourra être donné qu’à une personne
issue de ton peuple », (Traité Yévamot,
page 45/b). De ce fait, nous ne
pouvons non plus nommer de prosélytes
au titre de « nassi » [prince de
la nation] ou de « Av bet din » [chef
de tribunal]. Et ce, dans la mesure
où ces fonctions supposent une ascendance
certaine sur le peuple.
Or, comme nous y invite rav Yonathan
Eibeschütz dans son « Yéarot
Dvach » (Tome I, Drouch 14), nous
allons nous apercevoir que loin de
constituer une quelconque forme de
discrimination, cette règle reflète en
réalité la qualité profonde caractérisant
les prosélytes, laquelle s’avère
totalement incompatible avec toute
forme de pouvoir…
Joute verbale…
Dans le Traité talmudique Yoma
(page 71/b), on trouve à ce sujet une
anecdote pleine de significations :
« [A la fin de son service de Yom
Kippour] un Cohen-Gadol sortit du
Temple raccompagné par le peuple
tout entier. En chemin, ils croisèrent
les Sages Chemaya et Avtalyon
[dont les aïeuls, descendants du roi
San’hériv, s’étaient convertis au judaïsme-
Ndlr]. Le peuple quitta alors
le Cohen-Gadol et suivit les deux
Sages. Finalement, ces derniers allèrent
prendre congé du Cohen-Gadol,
mais celui-ci leur formula un souhait
[sarcastique] : ‘Que les nations
du monde rentrent en paix !’. Ils lui
répondirent : ‘Que les nations qui
suivent l’exemple d’Aharon rentrent
en paix et que le fils d’Aharon qui
ne suit pas l’exemple d’Aharon ne
rentre pas en paix !’ ». Si le personnage
d’Aharon est évoqué ici, note
Rachi, c’est en fait un rappel à la
qualité principale du père de la tribu
des Cohanim qui sans cesse « poursuivait
la paix », contrairement à ce
Cohen-Gadol qui, comme beaucoup
de ses semblables en cette période
du Second Temple, n’était guère vertueux
(voir Maharcha).
Or, cette altercation à l’issue de
Yom Kippour soulève quelques remarques
: comment ce Cohen-Gadol
pensa-t-il affecter Chemaya et
Avtalyon en leur rappelant leurs
origines non-juives alors que plusieurs
générations s’étaient écoulées
depuis lors ? Par ailleurs, qu’est-ce
qui permit à ces deux Sages de dire
d’eux-mêmes qu’ils « recherchaient
la paix » à l’instar d’Aharon ? Il semblerait
au contraire que le fait qu’ils
aient ainsi détourné l’attention du
peuple du Cohen-Gadol en son heure
de gloire ne fut pas une attitude
particulièrement bienséante…
Conversion et abnégation
En réalité, il apparaît qu’un lien
profond unit la tribu des Cohanim
à la communauté des prosélytes. Le
Midrach formule en effet l’idée suivante
: « ‘Le Lévi (…) et le converti
viendront’, (Dévarim 14, 29) – Un
converti est semblable à un Cohen
et un Lévi » (Yalkout Chimoni, Bo,
paragraphe 213).
De fait, la plus grande qualité de
coeur d’Aharon – celle qui lui valut
de recevoir le statut de « prêtre »
– se manifesta le jour où il alla à la
rencontre de Moché son frère, après
que ce dernier fut délégué par D.ieu
pour aller délivrer le peuple hébreu
de l’esclavage égyptien. En effet,
non seulement Aharon était-il l’aîné
des enfants d’Amram mais de plus,
il était déjà considéré par les Hébreux
comme un prophète de D.ieu
– contrairement à son frère qui avait
grandi dans la maison de Pharaon.
Par conséquent, Moché s’inquiéta
à juste titre de ce qu’allait être la
réaction « légitime » d’Aharon lorsqu’il
apprendrait que c’est lui, son
jeune frère, qui fut désigné comme
envoyé de D.ieu… Mais comme cela
fut annoncé à Moché : « A ta vue, il
se réjouira dans son coeur ! »… Cette
réaction, nous annonce le Talmud
(Traité Chabbat, page 139/b), valut à
Aharon les plus hautes distinctions :
« Pour quelle raison Aharon méritat-
il la prêtrise ? Parce qu’il ‘vit Moché
et se réjouit dans son coeur’ ».
Il s’avère ainsi que la qualité essentielle
d’Aharon – par laquelle il devint
le chef de file de la tribu des Cohanim
– fut cette abnégation et cet
« oubli de soi » face à son frère !
Or, poursuit rav Yonathan Eibeschütz,
il apparaît que cette même
disposition de coeur est formellement
requise pour tout prétendant à la
conversion : le propre d’un prosélyte
consiste à accepter le peuple juif dans
sa situation (provisoire) d’infériorité,
pendant que son honneur est bafoué
par les nations du monde. C’est
pourquoi à l’époque de David et de
Salomon, nul candidat à la conversion
ne fut accepté dans la mesure
où le prestige qui entourait alors le
peuple d’Israël était totalement incompatible
avec la démarche exigée
de ces personnes… Voilà pourquoi
« un converti est semblable à un Cohen
et un Lévi », dans la mesure où
la condition sine qua non de toute
conversion est une abnégation totale
au regard de la situation du peuple
juif en ce bas monde.
Dans cette vision des choses, révèle
le « Yéarot Dvach », cette discussion
qui opposa les Sages Chemaya et Avtalyon
avec le Cohen-Gadol pourra
être envisagée sous un tout nouvel
angle : en voyant que le peuple rejoignit
les deux grands Sages, le Cohen
leur rappela leurs origines converties.
Ce faisant, il insinua que leur
appartenance au peuple juif dérivait
précisément de la dimension spécifique
à sa propre tribu et de ce fait,
jamais ils ne pourraient prétendre
dépasser le plus grand des Cohanim.
Toutefois, la réplique des Sages
s’avéra plus percutante encore : s’il
est vrai que toute conversion s’apparente
à la qualité la plus marquante
de la tribu d’Aharon, c’est en vertu
des dispositions morales qui le caractérisaient,
dans la mesure où cet
homme s’éloignait de toute forme de
jalousie et fuyait la discorde comme
le pire des maux ! Et de ce fait, firent
remarquer les deux maîtres, un prosélyte
fidèle à ces principes surpasse
certainement un descendant se trouvant
dans la droite lignée d’Aharon
mais qui ne s’y conformerait pas…
C’est donc en vertu de ses propres
dispositions morales que le prosélyte
n’a pas accès aux hautes fonctions
publiques au sein du peuple juif. En
effet, la Torah estime que toute forme
de domination amènerait fatalement
cet homme à perdre l’abnégation si
pure dont il fit preuve en rejoignant
notre peuple, et c’est pour préserver
chez lui cette haute qualité morale
qu’il convient de lui refuser tout
pouvoir et toute charge honorifique.
Yonathan Bendennoune
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