Le 15 Av
La dernière Michna du Traité talmudique
Taanit (p.26/b) enseigne
que « Rabban Chimon ben Gamliel
dit qu’Israël ne vécut pas de jours
de fête aussi exceptionnels que
Yom Kippour et le 15 Av ». Or,
dans son commentaire des Michnayot,
et conformément à l’une
des 5 explications proposées par
la Guémara, le Rambam explique
que c’est effectivement le 15 Av
que les derniers survivants de la
génération du désert comprirent
qu’ils ne mourraient pas. Puisque,
alors que chaque soir du 9 Av ils
creusaient leur propre tombe et
s’y glissaient pour recevoir le
verdict qui les attendait, comme
il est dit : « Vos cadavres resteront
dans ce désert, vous tous qui
avaient été dénombrés, tous tant
que vous êtes, âgés de vingt ans
et au-delà, qui avez murmuré contre Moi ! » (Bamidbar, 14, 29) ;
ou encore : « Vos enfants iront errant
dans le désert, quarante années,
expiant vos infidélités, jusqu’à
ce que le désert ait reçu toutes
vos dépouilles » (Idem., 33), c’est
à la fin de la quarantième année
passée dans le désert, le 15 du mois
de Av, que les membres de l’Assemblée
d’Israël reprirent confiance
en eux (voir aussi Rachi, « chéKalou
Météi Midbar », Traité Taanit,
p.30/b). Ainsi Maïmonide écrit :
« Prenant conscience du fait que
D.ieu avait mis fin à Sa colère, les
enfants d’Israël firent de ce jour, un
jour de fête ». A telle enseigne que
cette temporalité qui débute dès le
premier Chabbat qui suit la date du
9 Av est historiquement prédisposée
à la « consolation » (Né’hama).
Expression d’une nouvelle relation
que le Saint béni soit-Il entretient
désormais avec son peuple et qui
se dévoilera tout particulièrement
entre Roch haChana et Yom Kippour,
cette période se poursuit durant
le mois d’Eloul au point où,
comme l’explique le Ran dans son
commentaire du Traité talmudique
Roch haChana, (p.15/b), elle porte
aussi le nom de « jours de volonté
» (Yémé Ratson), D.ieu désirant
à nouveau le peuple d’Israël pour
peuple de prédilection.
Si l’on comprend pourquoi le jour
de Yom Kippour est appelé un jour
de fête – puisqu’en effet, comme
l’explique la Guémara, c’est en ce
jour que le peuple d’Israël reçoit
à nouveau la Torah, ainsi que le
rappelle juste ensuite cette Michna
sur le verset : « béYom ‘Hatounato
– au jour de ses fiançailles » (Le
cantique des cantiques, 3, 12) du
peuple d’Israël (représenté ici en
la personne du roi Chlomo) avec
D.ieu, c’est-à-dire du don des secondes
Tables (Rachi) –, la question
reste toutefois posée de savoir
pour quelle raison cette Michna du
Traité talmudique Taanit retient
précisément la date du 15 Av pour
exprimer cette date anniversaire
des retrouvailles d’Israël et du
Tout-Puissant.
Certes, le Rambam explique : « La
dernière année, la plaie qui frappait
les membres de la génération
du désert stoppa. Ils attendirent
pourtant la moitié du mois avant
d’être convaincus et pour retrouver
confiance en eux…C’est pourquoi,
ils firent de ce jour, un jour
de fête » (Ibid.). Pourtant, à la suite
de cette Michna du Traité talmudique
Taanit (p.26/b) précité, le texte
continue en ces termes : « En ces
jours en effet, est-il écrit, les filles
de Jérusalem sortent habillées de
vêtements blancs qu’elles prêtent
[« les unes aux autres, même les
plus riches d’entre elles », Rachi],
afin de ne pas faire honte à celles
qui n’en ont pas (…). Puis les filles
de Jérusalem sortent et constituent
des rondes (‘Holot) dans les
vignes… ». Puis, à la dernière page
de ce même Traité (p.31/a), commentant
ce passage de la Michna,
la Guémara de conclure : « Rabbi
Eléazar a déclaré : – Dans le futur,
le Saint béni soit-Il constituera
une ronde (Ma’hol) pour les justes.
Il s’assoira entre eux tous dans le
Jardin d’Eden, et chacun d’entre
eux pointera du doigt, comme il est
dit : Et on dira en ce jour : ‘Voici
notre D.ieu en qui nous avons mis
notre confiance pour être secourus,
voici D.ieu en qui nous espérions !
Soyons à la joie, à l’allégresse !’
(Isaïe, 25, 9) ».
Or, commentant ce rapprochement,
l’auteur du fameux « Bné Issakhar
», le rav Tsvi Elimélekh mi-
Dinov (Maamar ‘Hodché Tamouz-
Av, 4) écrit : « Le sens profond de
la ronde est que tous ceux qui y
participent tournent sans qu’aucun
d’entre eux ne se trouvent ni devant,
ni derrière, ni plus haut, ni
plus bas. Au point où cette métaphore
est venue nous enseigner que
dans les temps futurs, il n’existera
aucune jalousie, ni aucune animosité
entre les justes ; en un mot,
aucune compétition. Voilà pourquoi,
ce jour [du 15 Av] constitue
une fête ! On en trouve même une
allusion dans le nombre 15, puisqu’en
effet la quinzième lettre de
l’ ‘Alef-Bet’, c’est la lettre ‘Samekh’
– absolument ronde, sans début ni
fin ».
Ainsi, peut-être nous sera-t-il
permis, à la lueur de cette précision,
de comprendre plus en profondeur
pour quelle raison c’est
précisément le 15 Av que, selon
les mots du Rambam, les derniers
survivants de la génération du désert
« firent de ce jour, un jour de
fête ». Car en définitive, il semble
légitime de faire remarquer que
cette date est précisément celle de
la pleine lune, c’est-à-dire de cette
complétude que l’astre de la nuit
atteint le 15 de chaque mois… .
La ronde des justes
Comme nous venons de le voir, si
en cette date du 15 Av – comme à la
fin des temps – il est question d’une
ronde, c’est précisément dans la
mesure où une telle configuration
dispose ses participants dans une
parfaite situation d’égalité. Entre
eux bien entendu, mais aussi visà-
vis du centre autour duquel ils
s’organisent. Tant et si bien qu’il ne
serait pas faux de dire que le cercle
que forme toujours une ronde exprime
l’idée même d’unité et par-là
même, celle de la Né’hama, de la
consolation. Puisque, si nous creusons
quelque peu la signification
étymologique du terme Ma’HoL
– la ronde, nous verrons qu’elle
comporte l’idée même de Mé’HiLa
(la clémence, ou le pardon). Comme
cela ressort par exemple de ce
passage des Psaumes – que nous
lisons tous les matins en ouverture
de la prière quotidienne –, et où le
roi David s’exclame : « Tu as métamorphosé
pour moi mon deuil en
ronde [joyeuse] (leMa’hol Li) ; Tu
as dénoué mon cilice, et de la joie
Tu as fait ma ceinture » (Psaumes,
30, 12). Grâce à cette harmonie
qui la caractérise, la ronde exprimerait
en ce sens la joie prise à
cette égalité et à ce synchronisme
exemplaires par lesquels les créatures
se vivent en accord avec leur
Créateur. Légèreté de la danse,
et « insouciance partagée, commune
et réciproque » (René Lévy,
La divine insouciance, p.556), la
ronde serait le symbole de cette
« confiance (Emouna) et [de cette]
sûreté (Bita’hon) attestant la présence,
même lointaine infiniment,
de D.ieu » (Idem.). Ainsi, lorsque
la Guémara s’étonne et demande :
« L’on comprend pour quelle raison
[la Michna a fixé] Yom Kippour
comme un jour de fête pour
Israël, dans la mesure où ce jour
est consacré au pardon (Sli’ha) et à
la clémence (Mé’hila) – le jour où
furent données les secondes Tables
de la Loi –, mais pourquoi le 15
Av ? » (Traité Taanit, p.30/b), elle
cherche avant tout à mettre sur un
même plan d’égalité la clémence
de Yom Kippour et celle du 15 Av.
Identité qu’elle trouvera dans les 5
réponses proposées, en particulier
dans celle que le Rambam a retenue
dans son commentaire de la
Michna, à savoir : l’arrivée à son
terme de la condamnation à mort
de la génération du désert.
Et l’on comprend déjà pour quelle
raison cette date devait coïncider
avec la pleine lune, c’est-à-dire
avec cette rondeur qui la caractérise
et qui, comme la ronde, exprime
la même idée de plénitude
et d’unité. Puisque comme cela est
connu, dans l’adresse divine faite
à Moché Rabbénou et qui stipule :
« ha’Hodech hazé lakhem – Ce mois
sera pour vous » (Chémot, 12, 2),
l’astre auquel le destin d’Israël est
lié n’est autre que la lune et l’exil
auquel celle-ci est soumise depuis
sa « révolte » lors de l’OEuvre de la
Création. Comme l’enseigne Rabbi
Chimon ben Pazi au sujet du verset
: « Et D.ieu fit les deux grands
luminaires. Le grand pour servir
le jour et le petit pour officier la
nuit » (Béréchit 1, 16), quand il dit :
« La lune s’exclama devant le Saint
béni soit-Il : ‘Maître du monde, se
pourrait-il que deux rois règnent
sous une même couronne ?’ Au
point où D.ieu lui répondit : ‘Va et
réduis-toi !’ (…) » (Traité talmudique
‘Houline, p.60/b). Tributaire
en ce sens du même mouvement
paradoxal que suivent les phases
de la lune depuis sa renaissance
en chaque début de mois et son
accroissement progressif jusqu’à
atteindre cette taille et cette clarté
où pour ainsi dire la luminosité de
l’astre de la nuit est de même intensité
que la lumière du soleil, le
15 du mois précisément, Israël vit
en chaque Roch ‘Hodech une véritable
résurrection, avec l’espoir
que la lune retrouve sa plénitude
originelle, comme nous le disons
dans ce passage que nous récitons
après la bénédiction sur la lune
(Birkat haLévana) : « Qu’il soit fait
selon Ta volonté… que la luminosité
de la lune soit comme celle du
soleil, comme la lumière des sept
jours de la création, avant que la
lune ne soit diminuée… et que s’accomplisse
pour nous ce verset :
‘Les enfants d’Israël rechercheront
l’Eternel leur D.ieu, et David leur
roi’ (Hochéa 3, 5) ». Dire donc,
que les survivants de la génération
du désert prirent conscience,
le 15 Av, de la promesse d’avenir
du Tout-Puissant, cela signifie en
d’autres termes qu’ils réalisèrent
que D.ieu acceptait leur rétablissement
au sein de cette dialectique
inscrite au coeur même de la Création
et dont Israël – depuis la sortie
d’Egypte – s’est porté garant parmi
les hommes, à savoir : le fait de se
faire le récipiendaire (Mékabel) du
dévoilement de D.ieu (Achpa’a),
afin de devenir soi-même la source
qui renvoie et diffuse (Machpia) à
travers le monde ici-bas, la hauteur
de cette révélation…
Yehuda Rück
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