Une loi de vie sociale
par Rav Eliahou Elkaïm de
Dans la maxime que nous allons étudier cette semaine, Nitaï d’Arbèle nous livre des règles de vie concernant nos relations sociales…
La lecture de cette Michna provoque dès l’abord un étonnement: s’il faut s’éloigner d’un voisin mauvais, il est évident qu’il est déconseillé de se lier à un homme méchant.
Pourquoi l’auteur de cette Michna a-t-il trouvé nécessaire de faire cette précision?
D’autant que le premier terme employé ‘cha’hen ra’ (voisin mauvais) est moins péjoratif que le second ‘racha’ (méchant).
Pour éclaircir la pensée de Nitaï d’Arbèle, nous citerons deux interprétations de nos maîtres.
La première est celle de l’auteur du Midrach Chmouel.
Pour lui, et il suit en cela l’interprétation de Maïmonide, le danger de se lier avec des personnes considérées comme des réchaïm (méchants), liens d’amitiés ou liens sociaux, consiste dans l’influence que ces personnes peuvent avoir sur nous et dans la tendance naturelle que nous aurons à les imiter.
Pour répondre à notre question première, le Midrach Chmouel se base sur un texte du Talmud (Kidouchine 40a) qui définit les notions de racha (méchant) et ‘ra’ (mauvais), et leur différence.
Le terme racha définit celui dont la conduite va volontairement à l’encontre des lois de vie fixées par la Thora.
Il est appelé ra lachamayim, mauvais vis à vis de son Créateur.
Mais un telle personne peut toutefois entretenir de bonnes relations avec son entourage, et n’est donc pas nécessairement ra labrioth, mauvais vis à vis des hommes.
En ce qui concerne le terme ra, il désigne ceux qui sont mauvais envers leur entourage (ra labrioth), et dont la conduite envers les autres hommes va à l’encontre de la droiture et de la morale.
Amélioration du caractère
Par l’emploi d’un vocabulaire différent et par une apparente répétition, l’auteur de la Michna nous enseigne ici une double vérité.
Si notre voisin est apparemment d’une piété exemplaire, mais que son attitude dans les relations humaines est déplorable, c’est-à-dire qu’il est ra, il nous est conseillé de le fuir, car un tel voisinage ne pourra créer que des frictions.
Nous disons apparemment car la piété, ce qui signifie respecter les lois de la Thora, concerne au même titre les devoirs de l’homme envers son Créateur que ses devoirs envers les autres hommes.
Tout ce qui touche aux midoth (traits de caractère) fait également partie de nos devoirs vis à vis du créateur puisque c’est une partie intrinsèque de la Thora.
Il est donc impossible de dissocier ces deux domaines: celui qui est mauvais envers les hommes est forcément mauvais envers D.ieu.
Et l’auteur de la Michna poursuit en précisant qu’il ne faut pas s’y tromper: s’il faut fuir celui qui a de mauvaises relations avec les hommes mais qui est apparemment pieux, il faut également s’éloigner de celui qui entretient de bonnes relations avec son entourage mais qui est ra lachamayim (qui a de mauvaises relations avec D.ieu), c’est-à-dire le racha.
Pourquoi? Parce que le risque est grand de suivre son mauvais exemple et de voir notre attachement à la Thora diminuer.
D’après cette interprétation, Nitaï d’Arbèle, outre son conseil de fuir les querelleurs, nous met en garde contre l’influence négative de notre entourage sur notre comportement.
Sans même entretenir des relations proches avec nos voisins, la simple observation de leur comportement peut émousser notre attachement à la Thora (cf. Dvar Thora Nitsavim 5762).
L’auteur du Midrach Chmouel ajoute que Nitaï d’Arbèle, par sa maxime, complète celle de Josué ben Pera’hia.
Il faut juger son prochain avec indulgence (dan lekaf ze’houth), mais seulement dans le cas où nous n’avons pas de raisons certaines de penser qu’il est mauvais (ra).
A l’inverse, dans le cas où nous avons la confirmation qu’il est effectivement méchant, nous avons le devoir de le soupçonner, à chaque occasion, d’agir avec de mauvaises intentions.
Dans ce cas, il nous faut s’éloigner de lui, comme l’a fixé Rabbénou Yona (cf. Dvar Thora précédent).
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«Leur plainte s’élèverait vers Moi»
La dernière partie de notre maxime (‘ne désespère pas du châtiment divin’) vient répondre à une question fondamentale.
Quand un racha prospère et réussit, celui qui l’observe vient à penser que finalement, l’action de ce dernier n’est peut-être pas aussi mauvaise qu’il le considérait.
Et c’est toute la valeur que nous donnons aux commandements de D.ieu qui est diminuée.
A ces éventuelles constatations, Nitaï d’Arbèle précise que le châtiment divin s’accomplit tôt ou tard.
Parfois, nous n’avons pas la patience d’attendre le dénouement réel d’un événement, mais en réalité, en portant un regard distancié sur l’histoire, on constate que le mal ne reste jamais impuni.
Le ‘Hafets ‘Haïm, qui a vécu près de cent ans, disait souvent qu’il avait vu, au cours de sa longue vie, s’accomplir tous les châtiments annoncés par la Thora.
Et il racontait une anecdote pour illustrer son propos.
Dans le village du ‘Hafets ‘Haïm, à Radin, en Pologne, un homme était propriétaire d’un appartement qu’il louait à une pauvre veuve et ses huit enfants.
Vint un moment où la pauvre femme ne put payer son loyer, et il la mit soudainement à la rue en plein hiver, ignorant les supplications de cette mère éplorée et l’indignation de toute la communauté.
Après cet incident, notre homme continua sa vie tout à fait normalement, dans la prospérité et l’aisance.
Le ‘Hafets ‘Haïm, quand à lui, restait persuadé que les mots de la Thora allaient s’accomplir:
«Ne faites pas souffrir la veuve et l’orphelin. Car leur plainte s’élèverait vers Moi, et assurément Je l’entendrai.
Et mon courroux s’enflammera et Je vous ferai périr par le glaive, et vos femmes deviendront veuves et vos enfants orphelins.» (Nombres 22 21-23)
De longues années plus tard, cet homme fut mordu par un chien enragé, et ce cruel propriétaire mourut dans d’atroces souffrances. Fin tragique, personne ne voulut s’occuper de sa sépulture, par peur de la contagion.
C’est ainsi qu’il faut comprendre les mots de Nitaï d’Arbèle.
Celui qui se lie aux méchants…
Rabbénou Yona trouve un sens différent à cette injonction.
D’après lui, même si une personne n’est pas influencée dans son comportement par les agissements d’un racha, le fait même d’entretenir une relation d’amitié avec quelqu’un qui haït D.ieu, peut provoquer que cette personne, même si elle est juste, subisse le même sort que celui du racha.
A l’appui de ses propos, il cite un extrait de ‘Avoth de Rabbi Nathan’:
«Celui qui se lie aux méchants, même s’il n’agit pas comme eux, sera châtié comme eux» (30 3)
Rabbénou Yona poursuit son explication en disant que le Roi voit les amis de ses ennemis comme ses propres ennemis.
C’est la même idée que le prophète exprima au roi Yéhochafath de Judée qui était un juste. Il s’allia par la suite avec Ahazyahou, roi idolâtre d’Israël. Le prophète lui ditalors :
«Parce que tu t’es allié avec Ahazya, le Seigneurruinera ton entreprise. C’est la raison pour laquelle les navires firent naufrage et ne parvinrent pas à Tarsis» (Chroniques II 20 37)
On le comprend, ce genre de punition concerne particulièrement l’alliance avec des ennemis déclarés de D.ieu.
C’est dans ce sens que Rabbénou Yona interprète la suite de la Michna.
Il explique que ‘ne désespère pas du châtiment divin’ s’adresse à celui qui croit pouvoir se lier au racha et se séparer de lui avant que ce dernier ne soit frappé par le châtiment divin.
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Equilibre et pérennité spirituelle
Et Rabbénou Yona de poursuivre: ‘Ne crois pas que tu pourras choisir le moment pour t’éloigner de lui. Le courroux divin peut s’abattre n’importe quand, et tu risquerais d’être associé à lui au moment du châtiment.’
Nous conclurons par les paroles de Rabbi Moché Almoznino, que reprend le Midrach Chmouel, et qui apportent une précision à la règle de Rabbénou Yona.
L’auteur de la Michna a choisi une forme négative: ‘Ne te lie pas au racha’.
Il aurait pu dire: ‘Eloigne-toi du racha’, ou ‘fuis-le’, mais il a choisi cette forme dans une intention très particulière.
Il veut nous dire que c’est seulement dans le cas où nous recherchons l’amitié ou des contacts avec le racha que cela entraîne des conséquences négatives. Son influence risque alors d’agir sur nous.
En lui donnant de l’importance, on va finalement chercher à lui ressembler.
En revanche, si ce même racha recherche notre compagnie, en manifestant le désir de profiter de notre influence bénéfique pour tenter de changer, cette situation est tout à fait souhaitable. Et il ne faut pas repousser une telle personne.
On le voit, en quelques mots, Nitaï d’Arbelle a développé un véritable système de réflexion quant aux relations sociales. Suivre ses conseils est une garantie de vie pour atteindre l’équilibre et la pérennité spirituelle, pour nous et pour nos enfants.