Cette semaine, nous allons découvrir dans les paroles d’Antigonos de So’ho, la direction spirituelle à laquelle l’homme doit aspirer et la nature de la relation qu’il faut tenter d’établir avec le Créateur.

(ג) אַנְטִיגְנוֹס אִישׁ סוֹכוֹ קִבֵּל מִשִּׁמְעוֹן הַצַּדִּיק. הוּא הָיָה אוֹמֵר, אַל תִּהְיוּ כַעֲבָדִים הַמְשַׁמְּשִׁין אֶת הָרַב עַל מְנָת לְקַבֵּל פְּרָס, אֶלָּא הֱווּ כַעֲבָדִים הַמְשַׁמְּשִׁין אֶת הָרַב שֶׁלֹּא עַל מְנָת לְקַבֵּל פְּרָס, וִיהִי מוֹרָא שָׁמַיִם עֲלֵיכֶם:

«Antigonos de So’ho reçut la Thora de Simon le Juste. Il disait: ‘Ne soyez pas comme des serviteurs qui servent leur maître afin de recevoir un salaire. Soyez comme des serviteurs qui servent leur maître sans attendre aucune rémunération, et soyez pénétrés de la crainte de D.ieu.’» (Chapitre 1, Michna 3)

 

Cette semaine, nous allons découvrir dans les paroles d’Antigonos de So’ho, la direction spirituelle à laquelle l’homme doit aspirer et la nature de la relation qu’il faut tenter d’établir avec le Créateur. L’occasion de réaffirmer l’opposition fondamentale entre la philosophie grecque et l’optique de la Thora…

On le voit, les Michnayoth de ce chapitre suivent l’ordre chronologique de la transmission de la Thora (messora), ce qui met en relief ce que l’auteur des Pirkei Avoth a choisi comme thème de la première Michna : la transmission ininterrompue depuis la révélation au Mont Sinaï jusqu’à son époque.

Par ailleurs, en situant chacun des tanaïms dans son contexte historique, nous pouvons mieux comprendre la portée et le sens profond de sa maxime et l’ordre clair de ces maximes nous facilite la tâche.

Car le message qu’ils ont transmis à leur génération est toujours étroitement lié à la situation spécifique du peuple juif à cette époque.

Dans le Dvar Thora de la semaine dernière, nous avons expliqué le message de Simon le Juste, en précisant sa nécessité à son époque, au début de l’avènement de l’Empire macédonien.

Après la disparition de Simon le Juste, une nouvelle ère commence.

Le mur qu’il a édifié pour parer à toute ingérence de la civilisation grecque au sein du peuple juif commence à s’ébrécher, et l’influence de la culture hellène commence à se faire sentir.

Pour mieux comprendre le désaccord profond qui oppose à cette époque la philosophie grecque à l’optique de la Thora, il est intéressant de citer deux textes de nos maîtres, qui se rapportent à Aristote, l’un des plus grands philosophes grec de tous les temps, qui fut d’ailleurs le maître à penser d’Alexandre le Grand.

Lettres sacrées

Le premier texte est de Na’hmanide, dans son commentaire sur la Thora (Lévitique 16 8):

« (…) Ceux qui disent avoir atteint la sagesse véritable en étudiant la philosophie grecque sont tous des adeptes de celui qui a renié l’existence de forces que son esprit n’a pas appréhendé (allusion directe à Aristote ndlr).

Il eut l’orgueil d’affirmer, lui et par la suite ses élèves qui étaient des gens de mauvaise foi (réchayim), que tout ce que leur logique ne réussissait pas à comprendre n’était pas vérité.»

Le deuxième texte est le témoignage percutant de l’un des élèves de prédilection du Gaon de Vilna, Rabbi Mena’hem Mendel de Shklov.

Dans l’introduction au commentaire du Gaon sur les Pirkei Avoth, qu’il a publié après la mort de son maître, Rabbi Mena’hem Mendel de Shklov révèle ce que le Gaon lui-même lui dévoila:

«Aristote était sans aucun doute un athée (kofer) tout au long de sa vie, et ce n’était pas seulement pas ignorance.

Pour preuve, dit le Gaon, s’il pouvait se présenter à moi aujourd’hui, j’aurai pu utiliser l’une des combinaisons de lettres sacrées (chemoth hakedochim que connaissaient les grands maîtres en Kabbala).

Je lui aurai ainsi montré sur cette table tous les secrets du système solaire et de ses galaxies dans leurs moindres détails, faisant briller les astres que j’aurai représenté, avec la même clarté que les étoiles illuminent les cieux.

Comment Aristote aurait-il pu continuer à affirmer que seules les lois de la nature régissent le monde?

Simon le Juste, qui était son contemporain et qu’il a connu, pouvait certainement faire la même chose que moi, ou beaucoup mieux encore.

Aristote savait donc pertinemment qu’il existait un système transcendant les lois naturelles, et en toute connaissance de cause, il refusait de se plier devant cette réalité.»

Optimisation

C’est donc une lame de fond très puissante qui a bouleversé l’esprit de nombreux Juifs de cette époque: un mouvement philosophique qui cherchait envers et contre tout, à renier toute transcendance.

Lorsque l’idée prédominante est que les lois de la nature sont toutes-puissantes, les concepts même de Thora et avoda (service divin), même s’ils sont encore présents, sont forcément affaiblis.

Celui qui a la conviction que tout est régit par les lois de la nature vit dans un système où l’objectif principal est le rendement, et l’optimisation des efforts pour atteindre une réussite matérielle.

Même celui qui reste attaché aux choses de l’esprit, est malgré tout influencé par la notion naturaliste du monde, et recherche surtout même dans les domaines spirituels, la rémunération divine.

Avec cet conception du monde, la notion du service divin désintéressé (lichma), qui a pour unique but la vénération du Créateur, s’estompe petit à petit, et la Thora et les mitsvoth ne deviennent qu’un moyen de gagner les bonnes grâces du Créateur et de mériter une rémunération (nous traiterons plus amplement de ce sujet dans le Dvar Thora de la semaine prochaine).

C’est devant cet état d’esprit répandu à l’époque qu’Antigonos décide de réagir.

Il choisit donc comme message une vérité absolue qui, même si elle s’adresse à des êtres humains d’un niveau tout à fait exceptionnel, est primordiale:

Si le concept de service divin désintéressé (avoda lichma) disparaissait, c’est le niveau général de l’humanité qui baisserait, sous l’influence de la philosophie «de la nature».

Et ce n’est qu’une question de temps pour que toute trace de «Thora et Avoda» soit effacée.

On le voit, le message d’Antigonos est parfaitement universel, même si dans son application, il s’adresse à des hommes d’un niveau moral et spirituel tout à fait exceptionnel.

Dans les mains de D.ieu

L’auteur du Tossafoth Yom-Tov, qui cite notamment son maître, le Maharal de Prague, fait remarquer qu’Antigonos n’a pas interdit ni même réprouvé un service divin accompli dans le but d’une rémunération divine.

C’est la raison pour laquelle il a choisit une forme d’expression répétitive.

En effet, il aurait pu se contenter de dire qu’il ne faut pas servir D.ieu dans l’intention d’être rémunéré, ce qui aurait laissé entendre que cette forme d’avoda est tout simplement interdite.

La répétition vient souligner qu’il ne s’agit que d’un niveau supérieur auquel il faut aspirer.

Le terme choisi dans la première phrase («Ne soyez pas comme des serviteurs) montre que le service divin, même s’il est accompli dans l’espoir d’une rémunération de D.ieu garde une valeur et confère à l’homme le titre de serviteur de D.ieu (eved Hachem).

Antigonos, dans sa maxime, a pour objectif de nous montrer la direction à prendre, le niveau spirituel à atteindre, la nature de la relation qu’il faut aspirer à établir avec le Créateur.

Même si le service divin du premier niveau n’est pas l’idéal, il garde une valeur non négligeable.

Ce qui est passionnant, c’est que le concept d’avoda lichma (service divin désintéressé), disqualifie définitivement la philosophie de la nature d’Aristote.

En se mettant entièrement au service de D.ieu, sans attendre aucune rémunération, on montre que l’on a clairement compris qu’au dessus des lois naturelles, c’est le Créateur du Monde qui régente l’univers (cf. l’ouvrage «Lehodoth Oulehallel», du Rav Chlomo Brevda chlita, p. 15-17).

Ce message reste d’une actualité brûlante.

Dans un monde matérialiste comme le nôtre, le seul moyen de conserver la Thora est de pousser des individus à élever leur attachement à D.ieu au plus haut niveau possible, en faisant fi de toutes les contingences matérielles.

Sans même espérer réussir une carrière rabbinique, le seul but étant de conserver, envers et contre tout, à travers les siècles, Thora et avoda.

C’est ainsi que ces valeurs pourront imprégner tout le peuple d’Israël.