Michna 3
(ג) אַנְטִיגְנוֹס אִישׁ סוֹכוֹ קִבֵּל מִשִּׁמְעוֹן הַצַּדִּיק. הוּא הָיָה אוֹמֵר, אַל תִּהְיוּ כַעֲבָדִים הַמְשַׁמְּשִׁין אֶת הָרַב עַל מְנָת לְקַבֵּל פְּרָס, אֶלָּא הֱווּ כַעֲבָדִים הַמְשַׁמְּשִׁין אֶת הָרַב שֶׁלֹּא עַל מְנָת לְקַבֵּל פְּרָס, וִיהִי מוֹרָא שָׁמַיִם עֲלֵיכֶם:
Michna 3
(ג) אַנְטִיגְנוֹס אִישׁ סוֹכוֹ קִבֵּל מִשִּׁמְעוֹן הַצַּדִּיק. הוּא הָיָה אוֹמֵר, אַל תִּהְיוּ כַעֲבָדִים הַמְשַׁמְּשִׁין אֶת הָרַב עַל מְנָת לְקַבֵּל פְּרָס, אֶלָּא הֱווּ כַעֲבָדִים הַמְשַׁמְּשִׁין אֶת הָרַב שֶׁלֹּא עַל מְנָת לְקַבֵּל פְּרָס, וִיהִי מוֹרָא שָׁמַיִם עֲלֵיכֶם:
«Antigonos de So’ho reçut la Thora de Simon le Juste. Il disait: ‘Ne soyez pas comme des serviteurs qui servent leur maître afin de recevoir un salaire. Soyez comme des serviteurs qui servent leur maître sans attendre aucune rémunération, et soyez pénétrés de la crainte de D.ieu.’» (Chapitre 1, Michna 3)
par Rav Eliahou Elkaïm de
Cette semaine, nous allons découvrir dans les paroles d’Antigonos de So’ho, la direction spirituelle à laquelle l’homme doit aspirer et la nature de la relation qu’il faut tenter d’établir avec le Créateur. L’occasion de réaffirmer l’opposition fondamentale entre la philosophie grecque et l’optique de la Thora…
On le voit, les Michnayoth de ce chapitre suivent l’ordre chronologique de la transmission de la Thora (messora), ce qui met en relief ce que l’auteur des Pirkei Avoth a choisi comme thème de la première Michna : la transmission ininterrompue depuis la révélation au Mont Sinaï jusqu’à son époque.
Par ailleurs, en situant chacun des tanaïms dans son contexte historique, nous pouvons mieux comprendre la portée et le sens profond de sa maxime et l’ordre clair de ces maximes nous facilite la tâche.
Car le message qu’ils ont transmis à leur génération est toujours étroitement lié à la situation spécifique du peuple juif à cette époque.
Dans le Dvar Thora de la semaine dernière, nous avons expliqué le message de Simon le Juste, en précisant sa nécessité à son époque, au début de l’avènement de l’Empire macédonien.
Après la disparition de Simon le Juste, une nouvelle ère commence.
Le mur qu’il a édifié pour parer à toute ingérence de la civilisation grecque au sein du peuple juif commence à s’ébrécher, et l’influence de la culture hellène commence à se faire sentir.
Pour mieux comprendre le désaccord profond qui oppose à cette époque la philosophie grecque à l’optique de la Thora, il est intéressant de citer deux textes de nos maîtres, qui se rapportent à Aristote, l’un des plus grands philosophes grec de tous les temps, qui fut d’ailleurs le maître à penser d’Alexandre le Grand.
Lettres sacrées
Le premier texte est de Na’hmanide, dans son commentaire sur la Thora (Lévitique 16 8):
« (…) Ceux qui disent avoir atteint la sagesse véritable en étudiant la philosophie grecque sont tous des adeptes de celui qui a renié l’existence de forces que son esprit n’a pas appréhendé (allusion directe à Aristote ndlr).
Il eut l’orgueil d’affirmer, lui et par la suite ses élèves qui étaient des gens de mauvaise foi (réchayim), que tout ce que leur logique ne réussissait pas à comprendre n’était pas vérité.»
Le deuxième texte est le témoignage percutant de l’un des élèves de prédilection du Gaon de Vilna, Rabbi Mena’hem Mendel de Shklov.
Dans l’introduction au commentaire du Gaon sur les Pirkei Avoth, qu’il a publié après la mort de son maître, Rabbi Mena’hem Mendel de Shklov révèle ce que le Gaon lui-même lui dévoila:
«Aristote était sans aucun doute un athée (kofer) tout au long de sa vie, et ce n’était pas seulement pas ignorance.
Pour preuve, dit le Gaon, s’il pouvait se présenter à moi aujourd’hui, j’aurai pu utiliser l’une des combinaisons de lettres sacrées (chemoth hakedochim que connaissaient les grands maîtres en Kabbala).
Je lui aurai ainsi montré sur cette table tous les secrets du système solaire et de ses galaxies dans leurs moindres détails, faisant briller les astres que j’aurai représenté, avec la même clarté que les étoiles illuminent les cieux.
Comment Aristote aurait-il pu continuer à affirmer que seules les lois de la nature régissent le monde?
Simon le Juste, qui était son contemporain et qu’il a connu, pouvait certainement faire la même chose que moi, ou beaucoup mieux encore.
Aristote savait donc pertinemment qu’il existait un système transcendant les lois naturelles, et en toute connaissance de cause, il refusait de se plier devant cette réalité.»
Optimisation
C’est donc une lame de fond très puissante qui a bouleversé l’esprit de nombreux Juifs de cette époque: un mouvement philosophique qui cherchait envers et contre tout, à renier toute transcendance.
Lorsque l’idée prédominante est que les lois de la nature sont toutes-puissantes, les concepts même de Thora et avoda (service divin), même s’ils sont encore présents, sont forcément affaiblis.
Celui qui a la conviction que tout est régit par les lois de la nature vit dans un système où l’objectif principal est le rendement, et l’optimisation des efforts pour atteindre une réussite matérielle.
Même celui qui reste attaché aux choses de l’esprit, est malgré tout influencé par la notion naturaliste du monde, et recherche surtout même dans les domaines spirituels, la rémunération divine.
Avec cet conception du monde, la notion du service divin désintéressé (lichma), qui a pour unique but la vénération du Créateur, s’estompe petit à petit, et la Thora et les mitsvoth ne deviennent qu’un moyen de gagner les bonnes grâces du Créateur et de mériter une rémunération (nous traiterons plus amplement de ce sujet dans le Dvar Thora de la semaine prochaine).
C’est devant cet état d’esprit répandu à l’époque qu’Antigonos décide de réagir.
Il choisit donc comme message une vérité absolue qui, même si elle s’adresse à des êtres humains d’un niveau tout à fait exceptionnel, est primordiale:
Si le concept de service divin désintéressé (avoda lichma) disparaissait, c’est le niveau général de l’humanité qui baisserait, sous l’influence de la philosophie «de la nature».
Et ce n’est qu’une question de temps pour que toute trace de «Thora et Avoda» soit effacée.
On le voit, le message d’Antigonos est parfaitement universel, même si dans son application, il s’adresse à des hommes d’un niveau moral et spirituel tout à fait exceptionnel.
Dans les mains de D.ieu
L’auteur du Tossafoth Yom-Tov, qui cite notamment son maître, le Maharal de Prague, fait remarquer qu’Antigonos n’a pas interdit ni même réprouvé un service divin accompli dans le but d’une rémunération divine.
C’est la raison pour laquelle il a choisit une forme d’expression répétitive.
En effet, il aurait pu se contenter de dire qu’il ne faut pas servir D.ieu dans l’intention d’être rémunéré, ce qui aurait laissé entendre que cette forme d’avoda est tout simplement interdite.
La répétition vient souligner qu’il ne s’agit que d’un niveau supérieur auquel il faut aspirer.
Le terme choisi dans la première phrase («Ne soyez pas comme des serviteurs) montre que le service divin, même s’il est accompli dans l’espoir d’une rémunération de D.ieu garde une valeur et confère à l’homme le titre de serviteur de D.ieu (eved Hachem).
Antigonos, dans sa maxime, a pour objectif de nous montrer la direction à prendre, le niveau spirituel à atteindre, la nature de la relation qu’il faut aspirer à établir avec le Créateur.
Même si le service divin du premier niveau n’est pas l’idéal, il garde une valeur non négligeable.
Ce qui est passionnant, c’est que le concept d’avoda lichma (service divin désintéressé), disqualifie définitivement la philosophie de la nature d’Aristote.
En se mettant entièrement au service de D.ieu, sans attendre aucune rémunération, on montre que l’on a clairement compris qu’au dessus des lois naturelles, c’est le Créateur du Monde qui régente l’univers (cf. l’ouvrage «Lehodoth Oulehallel», du Rav Chlomo Brevda chlita, p. 15-17).
Ce message reste d’une actualité brûlante.
Dans un monde matérialiste comme le nôtre, le seul moyen de conserver la Thora est de pousser des individus à élever leur attachement à D.ieu au plus haut niveau possible, en faisant fi de toutes les contingences matérielles.
Sans même espérer réussir une carrière rabbinique, le seul but étant de conserver, envers et contre tout, à travers les siècles, Thora et avoda.
C’est ainsi que ces valeurs pourront imprégner tout le peuple d’Israël.
La semaine prochaine, nous tenterons de développer plus encore les paroles d’Antigonos.
Michna 3
(ג) אַנְטִיגְנוֹס אִישׁ סוֹכוֹ קִבֵּל מִשִּׁמְעוֹן הַצַּדִּיק. הוּא הָיָה אוֹמֵר, אַל תִּהְיוּ כַעֲבָדִים הַמְשַׁמְּשִׁין אֶת הָרַב עַל מְנָת לְקַבֵּל פְּרָס, אֶלָּא הֱווּ כַעֲבָדִים הַמְשַׁמְּשִׁין אֶת הָרַב שֶׁלֹּא עַל מְנָת לְקַבֵּל פְּרָס, וִיהִי מוֹרָא שָׁמַיִם עֲלֵיכֶם:
«Antigonos de So’ho reçut la Thora de Simon le Juste. Il disait: ‘Ne soyez pas comme des serviteurs qui servent leur maître afin de recevoir un salaire. Soyez comme des serviteurs qui servent leur maître sans attendre aucune rémunération, et soyez pénétrés de la crainte de D.ieu.’» (Chapitre 1, Michna 3)
Dans le deuxième volet de notre étude sur la Michna 3, nous allons découvrir le sens de la maxime d’Antigonos de So’ho, qui résume la nature de la relation que l’homme doit développer avec le Créateur. Les différentes interprétations que nous allons citer sont en réalité les différentes marches qui mènent à la plénitude (chlémouth)…
Comment Antigonos peut-il exhorter l’homme à servir son Créateur sans aucun espoir de rémunération, alors que la Thora elle-même précise à maintes reprises (notamment Exode 20-12 Deutéronome 4-40) que l’accomplissement de la volonté divine et des commandements (mitsvoth), fera jouir l’homme de tous les bienfaits et de la bénédiction de D.ieu?
C’est la question de l’auteur du Sefer Haaqueda et d’Abrabanel, rapportée par l’auteur du Midrach Chmouel.
Comment demander à l’homme de ne pas tenir compte des enseignements de la Thora?
C’est Rachi qui va nous donner une première réponse, dans son commentaire sur cette Michna:
«Ne dis pas que tu accomplis les commandements de D.ieu pour mériter qu’Il subvienne à tous tes besoins dans le monde ici-bas.
Mais efforce-toi de Le servir par amour et crainte car la récompense divine pour les mitsvoth n’est pas accordée dans ce monde mais dans le monde futur, comme nos maîtres nous l’ont enseigné » (Rachi ibid.)
Récompense immédiate
D’après Rachi, il est clair que ce qu’Antigonos a voulu éviter, c’est l’espoir d’une rémunération immédiate dans le monde ici-bas.
Il est important de préciser que c’est seulement la vraie récompense, dont parle Rachi, que l’homme recevra uniquement dans le monde futur.
Car la bénédiction divine promise, dans la paracha Ki-Tavo notamment, au peuple juif s’il accomplit Sa volonté, n’est pas une récompense, mais une aide qui permet à celui qui suit les lois de la Thora de bénéficier des facilités matérielles nécessaires.
Cependant, il existe des mitsvoth, citées dans la Michna Péa dont l’homme touche les intérêts dans ce monde-ci et dont le capital intégral lui est réservé pour le monde à venir (1-1: la piété filiale, la charité, la fréquentation empressée des maisons d’étude matin et soir, l’hospitalité, les visites aux malades, la dotation des fiancées, les devoirs envers les morts, la prière fervente et le rétablissement de la paix entre les hommes).
Attendre la bénédiction divine et la prospérité matérielle comporte un danger: celui de remettre en question tout son investissement et ses efforts dans le cas où l’on ne reçoit pas ce que l’on attendait. Car parfois, pour des raisons que Seul D.ieu connaît, certains facteurs empêcheront l’homme de jouir de cette aide divine en ce monde.
En revanche, celui qui accomplit les mitsvoth dans le seul espoir de cumuler des mérites et un salaire dans le monde futur agirait, selon Rachi, d’une façon juste et louable.
Les Tossafistes (Pessa’him 8b et Roch Hachana 4a) ont une approche légèrement différente: pour eux, attendre une récompense immédiate est également permis, mais cela ne doit pas être une condition sine qua non pour accomplir les commandements.
Pour être clair, on ne peut pas passer un «deal» avec D.ieu: ‘Si je fais cette mitsva, accorde-moi cette chose que je désire’. Mais on peut avoir l’espoir de recevoir la rémunération divine en rétribution de ses bonnes actions.
Un texte dans le Talmud va d’ailleurs dans le sens des Tossafistes:
«La braïta (paroles des Tanaïms) dit: ‘Celui qui promet un don pour les pauvres (tsedaka) en précisant que c’est pour la guérison de son fils ou pour qu’il mérite le monde futur (olam haba) est un juste authentique (tsadik gamour)’» (Talmud Pessa’him 8a).
On pourrait penser dans ces conditions que cet avis du Talmud va contre celui d’Antigonos, qui prône un service divin désintéressé.
Mettre D.ieu à l’épreuve
Selon les Tossafistes, il n’y a pas de contradiction, car dans le cas du Talmud, il s’agit seulement d’un souhait émis par le père, et non d’une condition qui, si elle n’était pas réalisée, ferait regretter la bonne action.
Cet espoir n’entre pas dans le cadre de ce que réprouve Antigonos.
Cependant, selon Rachi, le fait même d’espérer une rémunération dans notre monde est déconseillé, car comportant le risque d’une déception, et donc d’un regret subtil et parfois même non formulé, d’avoir accompli la parole de D.ieu.
L’auteur du Midrach Chmouel propose deux explications pour résoudre l’apparente contradiction entre l’opinion de Rachi et la braïta citée dans le Talmud.
La première tient à la nature particulière de la mitsva du don aux pauvres (tsedaka).
En effet, la Thora permet à l’homme de mettre D.ieu «à l’épreuve» dans le cas de la tsedaka, car dans ce cas, aucun facteur ne pourra empêcher la bénédiction divine de se manifester.
C’est ce que le prophète Malachie exprime dans ses mots:
«Apportez toutes les dîmes dans le lieu du dépôt, pour qu’il y ait des provisions dans Ma maison et attendez-Moi, à cette épreuve, dit l’Eternel Cébaoth: vous verrez si Je n’ouvre pas en votre faveur les cataractes du Ciel, et si Je ne répands pas sur vous la bénédiction au-delà de toute mesure» (Malachie 3 10).
C’est le Talmud (Taanit 9a) qui précise la différence entre la tsedaka et les autres mitsvoth: pour tous les commandements, il est interdit de mettre D.ieu à l’épreuve(Deutéronome 6 16). Ce n’est pas le cas pour le don aux pauvres.
La maxime d’Antigonos ne s’applique donc pas au cas particulier de la mitsva de tsedaka.
La deuxième explication tient au terme tsadik (juste), choisi par la braïta. Le tsadik, par définition, est celui qui s’acquitte de son devoir envers D.ieu.
Les maximes de Pirkei Avoth, pour leur part, incitent l’homme à adopter l’attitude du ‘hassid, celui qui cherche à se surpasser dans son attachement à D.ieu.
Et le ‘hassid ne demandera pas à D.ieu qu’Il exauce ses souhaits en contrepartie de l’accomplissement d’une mitsva, même si cette attitude est permise.
Nous allons découvrir que de très nombreux commentateurs, comme Maïmonide et Rabbénou Yona, trouvent dans les mots d’Antigonos une exigence beaucoup plus élevée.
Par pur amour
Nous citerons ici les paroles de Maïmonide dans Yad Ha’hazaka (Hil’hoth techouva):
«L’homme ne doit pas dire: ‘Je vais accomplir les mitsvoth de la Thora et m’investir dans son étude pour pouvoir jouir de toutes les bénédictions divines qui sont annoncées dans l’Ecriture, et pour mériter le monde futur (olam haba).
Je vais respecter les interdits de la Thora pour être épargné des malédictions et pour ne pas risquer d’être retranché (karet) du monde futur.’
Il ne convient pas de servir Son Créateur dans cet esprit seulement.
Celui qui agit dans ce sens le fait par crainte et n’atteindra pas le niveau des prophètes et des sages.
Car cette approche convient seulement à ceux que l’on éduque à servir D.ieu par crainte dans l’espoir de les voir évoluer et élever leur niveau de sagesse pour servir D.ieu par pur amour. (…)
Quelle est l’expression du véritable amour qu’il faut faire naître envers son Créateur?
Il faut développer en soi un amour d’une telle intensité que son âme soit éprise de l’amour de D.ieu et qu’elle médite cela à chaque instant.
Tout comme celui qui est épris d’une femme au point que son esprit et ses pensées sont focalisés en permanence sur cet amour, lorsqu’il se repose ou lorsqu’il est levé, ou même lorsqu’il prend ses repas.
Et l’amour de D.ieu doit dépasser cela, comme la Thora nous le demande.
«Tu aimeras l’Eternel ton D.ieu de tout ton cœur et de toute ton âme» (Deutéronome 6 6)
C’est ce que le Roi Salomon a exprimé de façon allégorique dans le Cantique des Cantiques:
«Que je suis malade d’amour!» (5 8).
Tout le cantique de Chir Hachirim est une allégorie pour exprimer la forme d’amour que l’on est en devoir de développer envers D.ieu. (…)
C’est ce que les plus grands de nos maîtres ont enseigné à leurs élèves vertueux et sages:
‘Ne soyez pas comme des serviteurs qui servent leur Maître afin de recevoir un salaire.’ (Avoth 1 3)
Le fait même qu’Il soit notre Maître est une raison suffisante pour Le servir, il est donc sous-entendu qu’il faut agir seulement par amour (…)
Il est clair et évident que l’amour envers D.ieu ne peut se développer dans le cœur de l’homme que s’il y investit sa pensée de façon permanente.
Et c’est la Connaissance qui amènera l’amour» (10 1-6. Cf. également Na’hmanide Lévitique 18 4)
La semaine prochaine, nous essayerons d’élargir le sujet en citant les avis et conseils de nos maîtres pour que cette maxime puisse devenir concrète, et entrer dans nos vies.
Michna 3
(ג) אַנְטִיגְנוֹס אִישׁ סוֹכוֹ קִבֵּל מִשִּׁמְעוֹן הַצַּדִּיק. הוּא הָיָה אוֹמֵר, אַל תִּהְיוּ כַעֲבָדִים הַמְשַׁמְּשִׁין אֶת הָרַב עַל מְנָת לְקַבֵּל פְּרָס, אֶלָּא הֱווּ כַעֲבָדִים הַמְשַׁמְּשִׁין אֶת הָרַב שֶׁלֹּא עַל מְנָת לְקַבֵּל פְּרָס, וִיהִי מוֹרָא שָׁמַיִם עֲלֵיכֶם:
«Antigonos de So’ho reçut la Thora de Simon le Juste. Il disait: ‘Ne soyez pas comme des serviteurs qui servent leur maître afin de recevoir un salaire. Soyez comme des serviteurs qui servent leur maître sans attendre aucune rémunération, et soyez pénétrés de la crainte de D.ieu.’» (Chapitre 1, Michna 3)
Troisième et dernier volet de notre réflexion sur les paroles d’Antigonos de So’ho, le Dvar Thora de cette semaine va nous faire découvrir les deux sentiments simultanés que nous devons ressentir à l’égard de notre Créateur…
Dans le Dvar Thora de la semaine dernière, nous avons cité l’opinion de Maïmonide et de Rabbénou Yona sur cette maxime d’Antigonos.
Selon eux, c’est l’amour pour notre Créateur qui doit susciter en nous la volonté d’accomplir les commandements divins.
Et c’est à ce niveau spirituel très élevé que doit aspirer chaque Juif car agir par crainte des châtiments divins, ou dans l’attente d’une rémunération, convient seulement à ceux qui sont au début de leur engagement. Ce ne peut être un but en soi.
Comment alors comprendre les derniers mots d’Antigonos qui met justement l’accent sur la crainte: «… Et soyez pénétrés de la crainte de D.ieu»?
Rabbénou Ovadia (ibid.) cite à ce sujet le Talmud de Jérusalem (Sota 5 5), que nous livrons dans sa version littérale:
«Un premier verset dit: ‘Tu aimeras l’Eternel ton D.ieu’ (Deutéronome 6 6) alors qu’un autre verset plus loin parle de crainte: ‘C’est l’Eternel ton D.ieu que tu dois craindre, c’est Lui que tu dois servir’ (Deutéronome 10 20).
C’est qu’il faut agir par amour et par crainte.
Par amour: car s’il t’arrive de vouloir haïr, sache que tu aimes, et un amant ne peut haïr.
Par crainte: car si tu veux te révolter, saches que celui qui craint ne se révolte pas"
Le Korban haéda (commentaire sur le Talmud de Jérusalem) explique:"Que signifie ‘haïr’: c’est agir par crainte, sous l’effet de la contrainte.
Que signifie ‘se révolter’: lorsque l’on traverse une période difficile et que l’on endure des souffrances."
L’homme doit donc imprégner ses actes des deux éléments à la fois, l’amour et la crainte de D.ieu.
Toute-puissance du Créateur
Rabbénou Ovadia (cf. Rambam ibid.) ajoute que l’amour est particulièrement nécessaire pour l’accomplissement des commandements positifs (mitsvoth assé, ‘tu feras’,…) alors que la crainte est primordiale pour les commandements négatifs (lo taassé, ‘tu ne feras pas…’).
Mais quelle est la nature de cette crainte dont parlent Antigonos et le texte du Talmud de Jérusalem?
Nos maîtres discernent deux formes de yira (crainte) à l’égard de D.ieu.
La première forme, qui correspond à un premier niveau, est la crainte des châtiments divins, yirat haonech.
Cette crainte consiste dans le fait d’avoir pleinement conscience que l’homme est responsable de ses actes et que tout ce qui est écrit dans la Thora au sujet de ceux qui enfreignent la volonté divine se réalisera tôt ou tard, dans notre monde ou dans le monde futur.
La deuxième forme de crainte, qui correspond au niveau le plus élevé, est la crainte devant la toute-puissance du Créateur, yirat haromémouth.
Ce n’est pas la peur du châtiment, mais le sentiment profond d’être insignifiant devant la grandeur infinie et la toute-puissance de D.ieu.
Comment alors oser enfreindre Sa volonté, même si cette rébellion n’implique pas de châtiment ?
Les mots de Maïmonide dans Yad Hahazaka (Hilhoth Yéssodé hathora 2-1-2) à ce sujet sont éloquents:
«Ce D.ieu auguste et redoutable, il est une mitsva de l’aimer et de le craindre
(…) Comment parvenir à l’amour et à la crainte de D.ieu?
Lorsque l’homme médite sur les actes et les réalisations extraordinaires de D.ieu, et qu’il comprend que la science du Créateur est infinie, naît inéluctablement en lui un amour et un épanchement de louanges à l’égard du Créateur, ainsi qu’une aspiration sans limite à découvrir D.ieu (…).
Mais cette même méditation va également lui faire réaliser à quel point il est insignifiant, petite créature dotée d’un esprit limité, se tenant devant D.ieu qui sait tout et qui cerne tout.
Il aura comme réaction de trembler devant D.ieu.»
Transcendance
On le voit, l’amour véritable envers D.ieu a pour origine une réflexion profonde sur la grandeur de D.ieu et doit finalement amener l’homme à ressentir une crainte dont la nature n’est pas liée à une punition éventuelle, mais à la seule sensation de son insignifiance.
C’est la définition de Yirat haromémouth.
D’après le Tossafoth Yom Tov et le Rachbats, Antigonos, dans ses derniers mots, parle justement de cette yirath haromémouth, qui doit être la conséquence de l’amour envers D.ieu.
C’est la raison pour laquelle il emploie le terme de mora chamayim, la crainte du Ciel, plutôt que celui de la crainte de D.ieu.
Car c’est la transcendance que l’on doit craindre et qui est représentée par les cieux.
D’après le commentaire du Pené Moshé sur le Talmud de Jérusalem, c’est de cette forme de crainte également qu’il s’agit dans le texte du Yérouchalmi cité plus haut.
Dans son ouvrage «Emeth leyaakov» (ibid.), Rav Yaakov Kaminetski zatsal, fait remarquer que la crainte qui vient s’ajouter à l’amour envers D.ieu est à ce point fondamentale pour l’homme qu’il fallut la susciter par des moyens peu conventionnels au moment de la Révélation.
En effet, nos maîtres nous révèlent dans le Talmud (Chabbath 88a) que D.ieu a soulevé la montagne du Sinaï au dessus des têtes des enfants d’Israël pour leur adresser le message suivant:
‘Si vous acceptez la Thora, tout ira bien. Dans le cas contraire, cette montagne deviendra votre tombe’.
Pourtant, les enfants d’Israël avaient déjà accepté avec joie de recevoir la Thora en disant le fameux naassé venichma, (‘nous accomplirons et ensuite nous comprendrons’) expression d’un amour extraordinaire.
Pourquoi D.ieu les menace-t-Il encore?
C’est la question que posent les Tossafot (ibid.).
Ils répondent que D.ieu a craint qu’en apercevant le feu dévorant qu’il y avait au moment de la Révélation, les Juifs prennent peur et fassent marche arrière.
Il fallait donc leur signifier qu’il n’y avait pas de fuite possible.
Pour cela, l’amour inconditionnel témoigné par le peuple juif dans naassé venichma, devait être complété par la crainte (Deutéronome 4 36).
Crainte suscitée et inscrite dans les cœurs par la marque indélébile d’une montagne prête à les détruire et d’un feu dévorant.
Se rendre quitte
L’auteur du Tossafoth Yom Tov (idem Midrach Chmouel ibid.) ajoute un élément qui nous aidera à mettre en pratique ces notions.
Celui qui agit par pur amour envers D.ieu, et a pleinement conscience de Ses bienfaits infinis à son égard aura toujours la sensation de n’être pas allé jusqu’au bout de son devoir, de ne pas avoir fait assez pour Son créateur.
Même s’il sait que les bénédictions promises à ceux qui accomplissent les commandements sont effectives, il aura toujours la sensation de ne pas vraiment les mériter.
Cette crainte de n’avoir pas rempli son rôle, de ne pas avoir «rendu» au Créateur ce nous lui devons, c’est la crainte du Ciel dont parle Antigonos et qui compléte de façon harmonieuse l’élément de l’amour envers D.ieu.
Le Midrach Chmouel retrouve cette idée dans le choix lexical d’Antigonos.
Ce dernier emploie les termes: Avadim hamechamchin eth harav (des serviteurs qui servent leur maître).
Pourquoi changer de terme et passer du concept de avadim (esclaves) à celui de mechamchin, plutôt que de dire avadim haovdim eth harav?
Car ovdim exprime un travail d’esclave alors que hamechamchin signifie un travail léger.
Cette nuance dans les termes employés nous fait subtilement comprendre une idée importante: alors que nous devrions être comme des esclaves devant D.ieu, nous devons savoir que nous ne fournissons en réalité qu’un travail léger pour lui.
En ayant conscience de cette réalité, nous n’aurons certainement pas la prétention de mériter une rémunération divine.
Plus encore, nous redouterons toujours de ne pas être à la hauteur de notre devoir. Cette approche est celle qui caractérise le service divin des tsadikim (justes).
Craindre et être protégé
Dans son ouvrage Cohvé Ohr (nouvelle édition p.67), Rabbi Ytshak Blazer, l’élève de prédilection de Rabbi Israël Salanter, interprète différemment les derniers mots d’Antigonos.
D’après lui, la crainte de D.ieu dont parle Antigonos, c’est la crainte du châtiment divin, yirath haonech.
Et c’est également dans ce sens qu’il comprend les mots du Talmud de Jérusalem [et non pas comme le commentaire du Pené Moshé cité plus haut].
Il en déduit qu’il est possible qu’un homme atteigne le niveau supérieur qui consiste à agir par amour pour D.ieu, alors qu’il n’a pas encore vécut pleinement la crainte du châtiment.
Ce paradoxe est envisageable, car intérioriser la véritable sensation de crainte demande un travail personnel permanent et particulier.
C’est d’après lui le sens de la dernière partie du message d’Antigonos:
On peut facilement se méprendre et croire qu’il suffit d’éveiller en nous des sentiments d’amour envers D.ieu pour ne pas commettre d’erreurs et ne pas fauter.
C’est une utopie.
Nous devons développer parallèlement des sentiments de crainte du châtiment, car sans cela si, pour une raison ou une autre, l’amour pour D.ieu s’affaiblissait, nous serions désarmés devant les tentations de ce monde.
Ce travail concerne même les plus grands, et c’est un travail de chaque instant.
C’est seulement lorsque l’homme ressent l’amour et la crainte simultanément qu’il remplit véritablement son rôle en ce monde.
Michna 3
(ג) אַנְטִיגְנוֹס אִישׁ סוֹכוֹ קִבֵּל מִשִּׁמְעוֹן הַצַּדִּיק. הוּא הָיָה אוֹמֵר, אַל תִּהְיוּ כַעֲבָדִים הַמְשַׁמְּשִׁין אֶת הָרַב עַל מְנָת לְקַבֵּל פְּרָס, אֶלָּא הֱווּ כַעֲבָדִים הַמְשַׁמְּשִׁין אֶת הָרַב שֶׁלֹּא עַל מְנָת לְקַבֵּל פְּרָס, וִיהִי מוֹרָא שָׁמַיִם עֲלֵיכֶם:
«Antigonos de So’ho reçut la Thora de Simon le Juste. Il disait: ‘Ne soyez pas comme des serviteurs qui servent leur maître afin de recevoir un salaire. Soyez comme des serviteurs qui servent leur maître sans attendre aucune rémunération, et soyez pénétrés de la crainte de D.ieu.’» (Chapitre 1, Michna 3)
Conclusion de notre étude sur la troisième Michna, nous allons tenter de répondre à l’une des questions existentielles le plus épineuses…
L’une des interprétations de Rabbi ‘Haïm de Volozhine sur cette Michna comporte des enseignements d’une telle importance que nous le citons in extenso.
Rabbi ‘Haïm suit au départ l’interprétation de Rachi.
Ce dernier comprend le terme ‘prass’ (rémunération), utilisé par Antigonos, comme signifiant la bénédiction divine promise à ceux qui accompliront les mitsvoth de la Thora.
Cette bénédiction qui a été donnée par D.ieu à plusieurs endroits dans l’Ecriture, notamment dans la paracha de Bé’houkotaï et celle de Ki tavo, est adressée à l’homme et concerne les bienfaits du monde matériel (olam hazé) dont il jouira s’il accomplit la volonté de D.ieu.
Nous avons déjà précisé dans nos précédentes études qu’il ne s’agit pas d’une rémunération pour l’accomplissement des commandements, mais d’une conséquence naturelle des actions des hommes.
En effet, en accomplissant la volonté divine, les hommes suscitent une abondance (chéfa) dans les sphères célestes qui est retransmise à notre monde.
Ainsi, ces derniers jouiront de la prospérité et de la bénédiction divine, conditions favorables pour accomplir mieux encore la volonté du Créateur.
Injustice apparente
D’après Rabbi ‘Haïm, Antigonos s’adresse ici à ceux qui veulent exercer l’attribut de bonté (guemilouth ‘hassadim) sous sa forme la plus élevée.
Comme nous l’avons vu dans la deuxième Michna, cet attribut de bonté est le troisième pilier sur lequel repose le monde.
Mais pour bien comprendre la pensée d’Antigonos, il nous faut tenter d’abord de répondre, au moins partiellement, à l’une des questions existentielles les plus épineuses.
En effet, alors que D.ieu promet des bénédictions matérielles à ceux qui accompliront Sa volonté, comment comprendre que bien souvent, dans la réalité, ceux qui sont attachés aux commandements divins sont confrontés à de grandes difficultés financières, alors que d’autres, qui ne se soucient guère d’un quelconque rapprochement spirituel, jouissent pour leur part d’une confortable prospérité?
Cette observation fait évidemment partie de toute la problématique de «tsadik vera lo, racha vetov lo»: le juste souffre en ce monde alors que le méchant vit paisiblement.
Cette question fut déjà soulevée par Moïse à D.ieu Lui-même, et elle touche aux secrets les plus subtils du plan divin.
Et le problème devient encore plus difficile à comprendre quand il touche les domaines matériels.
En effet, c’est la Thora elle-même qui promet à ceux qui accomplissent la volonté divine qu’ils jouiront de la prospérité en ce monde.
Pour tenter de donner un élément de réponse à cette apparente injustice, Rabbi Haïm cite le Talmud(Berahot 17b) :
«L’humanité toute entière est nourrie par le mérite (bichvil) de Mon fils Hanina (Rabbi Hanina ben Dossa). Et Hanina se suffit de quelques caroubes pour sa subsistance toute une semaine durant.»
Rabbi Haïm cite un commentateur célèbre, le Chlah, qui interprète le terme bichvil dans le sens de sentier (chvil).
Selon cette interprétation, on comprend que Rabbi Hanina est le canal par lequel l’abondance céleste parvient à toute l’humanité, alors que lui-même se suffit du minimum vital.
C’est que D.ieu, dans Sa bonté infinie, veut que le monde reçoive sa subsistance. Mais comment y parvenir quand seuls quelques individus agissent de façon à créer le chéfa (abondance) dans les sphères célestes?
Le Talmud nous dévoile le secret:
D.ieu utilise le chéfa créé par les justes pour nourrir tous les autres.
Et cela au point de ne leur laisser que le minimum qui leur permet de subsiter.
Nous pouvons à présent comprendre ce que le Talmud enseigne:
«Le juste jouira de la part du méchant dans le monde futur (‘Hagiga 15a).
En effet, cette situation dans le monde futur est une compensation du fait qu’en ce monde, le méchant a profité et vécu sur le compte du juste en utilisant le chéfa créé par les actes de ce dernier pour vivre.
De son côté, le juste, qui accepte cette situation voulue par le Créateur, atteint le niveau le plus élevé de guemilouth ‘hassadim (bonté).
Toutes les autres formes de bienfaisance ne peuvent être comparées à cette bonté très spéciale, qui les surpasse toutes.
Miracle
Deux textes du Talmud concernant le même Rabbi Hanina ben Dossa prennent tout leur sens à la lumière de cette interprétation.
Un premier texte se trouve dans le traité de Taanit (25a):
«L’épouse de Rabbi Hanina ben Dossa avait l’habitude d’allumer son four à vide chaque veille de Chabbath, car elle ne disposait que de quelques caroubes et n’avait donc pas les moyens de faire du pain.
Mais elle était gênée de cette situation, et voulait laisser croire à ses voisines qu’elle disposait d’assez d’argent pour préparer les ‘haloth en l’honneur du chabbath.
Une voisine mal intentionnée décida de mettre les choses au clair. Elle savait qu’ils n’avaient pas de farine pour fabriquer du pain, elle voulait donc savoir pourquoi ils allumaient le four.
Elle vint donc frapper à leur porte au moment où la fumée sortait déjà du four.
Par honte, l’épouse de Rabbi Hanina se réfugia au grenier, et un miracle se produisit:
La voisine aperçut un four rempli de pain et une pâte déjà prête sur la table!!
Elle appela: «Madame, venez vite sortir vos pains du four, ils sont en train de brûler!»
(…) L’épouse de Rabbi Hanina demanda à son mari:
« – Jusqu’à quand allons-nous souffrir ainsi?
Mais que faire? lui répondit-il.
Implore D.ieu pour qu’Il nous envoie notre subsistance.»
C’est ce que fit Rabbi Hanina. Allant sur le chemin, une main céleste lui présenta un pilier de table en or.
Grâce à ce ‘trésor’, ils auraient de quoi vivre. Il rentra chezlui et raconta ce miracle à sa femme.
Une main céleste
La nuit même, elle fit un rêve où elle vit des justes assis autour de tables en or ayant trois pieds, alors que son mari et elle étaient attablés devant une table à deux pieds seulement.
Lorsqu’elle lui raconta son rêve, Rabbi Hanina lui demanda:
« – Es-tu prête à ce que la table des justes soient entière alors que la nôtre n’aura que deux pieds?
Non, lui répondit-elle. Prie donc pour que ce pied en or soit repris par le Ciel.»
C’est ce qu’il fit et sa requête fut exaucée. La même main céleste vint reprendre son présent.»
Quel est le sens caché de cet épisode?
En acceptant ce présent du Ciel, Rabbi Hanina allait causer une diminution de l’abondance dont jouissait l’humanité et qui existait grâce à son seul mérite.
Et de fait, il perdait le niveau extraordinaire de bonté ‘hessed qu’il avait atteint, et qui lui aurait fait mériter d’être assis dans le monde futur à une table à trois piliers d’or.
Le troisième pilier étant, on l’a compris, celui de Guemilouth ’hassadim.
C’est ce que son épouse réalisa et c’est la raison pour laquelle elle le supplia de renoncer à cette richesse qui leur aurait fait perdre leur niveau spirituel.
Un deuxième texte dans Bera’hot (17b) se rapporte également à Rabbi Hanina ben Dossa et il cite un verset du prophète qu’il interprète comme faisant allusion au célèbre tana:
«Ecoutez-moi, hommes de cœur puissant (abirei lev), si éloignés du don aux pauvres (tsédaka)?» (Isaïe 46 12)
Comment le Talmud peut-il dire que Rabbi Hanina était éloigné de la tsédaka?
C’est que Rabbi Hanina avait atteint un tel niveau, qu’il avait choisi de nourrir l’humanité toute entière par son mérite, renonçant même à accomplir la tsedaka la plus naturelle, celle qui consiste à nourrir ses propres enfants (Talmud Ketoubot 50a).
Cette forme de guemilouth ‘hessed dépassant toutes les autres, il est prêt à renoncer à la possibilité de faire lui-même la tsedaka.
Il n’en a pas les moyens, alors que c’est lui qui est à l’origine de toute l’abondance en ce monde!
Occasion unique
C’est, selon Rabbi ‘Haïm de Volozhine, le sens du message d’Antigonos, qui demande à ceux qui veulent atteindre le plus haut niveau de bonté:
«Soyez prêts à renoncer à la bénédiction divine qui vous revient pourtant de droit, et préférez en faire jouir l’humanité. Vous atteindrez ainsi le plus haut niveau spirituel.»
En réalité, l’homme qui attend la bénédiction divine dans l’intention de permettre à D.ieu de manifester Sa bonté infinie en déversant le chéfa sur le monde, agit de façon tout à fait louable, car c’est le but même de la création.
Et il existe un seul moyen de vérifier si le mobile de ses actions est bien de permettre à D.ieu de déverser Sa bonté sur notre monde ou si l’objectif est de profiter de cette abondance pour soi-même: être prêt à ce que cette bonté divine se manifeste au profit d’autres que soi-même.
Pour illustrer cette notion, on raconte qu’un jour, le Gaon de Vilna s’est vu proposer un étrog d’une qualité rare, à la condition que le mérite de l’accomplissement de cette mitsva revienne uniquement au propriétaire du étrog.
Loin d’être choqué par une telle proposition, le Gaon se réjouit de cette possibilité qui lui était offerte d’accomplir, occasion unique, la maxime d’Antigonos à la perfection.
Grâce à Rabbi ‘Haïm de Volozhine, nous pouvons désormais comprendre sous un angle nouveau ce qui avait semblé contredire les mots mêmes de la Thora.
En réalité, le juste accepte en toute conscience de ne pas jouir des fruits de son mérite, préférant que l’humanité en profite et que D.ieu manifeste Sa bonté infinie en ce monde.