De la mondanité…
« Rabbi Dossa, fils de Harkinos, disait : Le sommeil du matin, le vin
de l’après-midi, la conversation entre enfants et la fréquentation des
assemblées d’incultes excluent l’homme du monde ».

C’est dans son livre « Derekh
‘Haïm » que le Maharal
de Prague commente cette
Michna citée en exergue. Voilà ce
qu’il écrit…

« Le fait qu’il soit précisément fait
mention de ces quatre dimensions
mérite toute notre attention. Nous
avons en effet déjà expliqué que
l’homme est composé de ces trois
parties distinctes que sont le corps,
les forces du désir (ko’hot haNéfech),
et la troisième : l’intellect
(haSékhel). Or, parce que nous
avons par ailleurs déjà amplement
expliqué ces notions, nous
ne reviendrons pas sur ce développement.
Qu’il nous suffise ici
de rappeler que ces trois dimensions
forment l’existence même de
l’homme, ainsi que sa présence au
monde ; et qu’à ce titre, n’agissant
pas conformément à ce que ces dimensions
exigent, l’homme laisse
s’estomper sa présence au monde
et abolit sa propre existence.

Ces trois dispositions ne constituent
toutefois que l’individualité
de chaque être humain. Or, l’on ne
saurait limiter toute la réalité humaine
à celle-ci seulement. Puisqu’au
contraire, faisant nécessairement
partie d’un ensemble qui
le dépasse, tout homme est porteur
en lui d’un lien intrinsèque avec la
collectivité. Cette seconde dimension
définit donc l’humanité d’une
toute autre manière, c’est-à-dire
en ceci que l’homme individuel
appartient à l’ensemble de l’humanité.
Car il ne fait aucun doute que
l’individualité exprime une qualité
à part entière, tandis que la collectivité
en constitue une autre absolument
différente et qu’en définitive,
l’existence humaine est donc
caractérisée par quatre dimensions
distinctes qui le définissent totalement.

Le sommeil du matin

Ainsi – continue le maître de Prague
– lorsqu’il est dit dans cette
Michna que l’homme qui se laisse
entraîner par le sommeil du matin
s’exclut par-là même du monde,
c’est effectivement parce que toute
sa réalité humaine est comme écrasée
sous l’épaisseur de son corps.
Car en dormant, l’homme n’est plus
qu’un corps, dans la mesure où
précisément toutes ses forces vives
(ko’hot haNéfech) sont comme annulées
et qu’il se trouve alors écrasé
sous le poids de sa propre chair.
Or, le sommeil du matin étant en
soi le plus délicieux, l’homme s’y
dépossède des forces vives caractérisant
l’existence pour n’être plus
qu’un corps terriblement pesant et
encombrant.

Or, le Midrach enseigne : « Lorsque
le Saint Béni soit-Il créa l’homme,
le voyant, les anges se trompèrent
à son égard et voulurent entamer
le chant ‘Kadoch (…)[Saint]’. A
quoi cela ressemble-t-il ? A un roi
et son premier ministre (aparkos)
assis tous les deux dans un magnifique
carrosse. A leur approche, les
citoyens voulurent entonner l’hymne
national, mais ils étaient incapables
de savoir lequel des deux
hommes était le roi… Que fit alors
sa majesté ? Il attrapa son ministre
et l’expulsa du carrosse. Tout le
monde comprit alors qui était le roi
véritable ! C’est de cette manière
que se comporta le Saint Béni soit-
Il : il fit tomber l’homme dans un
sommeil profond, de telle sorte que
les anges surent qu’il n’était pas le
roi, comme il est dit : ‘Cessez de
vous appuyer sur l’homme dont la
vie n’est qu’un souffle ! Quelle peut
bien être sa valeur ?’, (Isaïe, 2,
22) », (Béréchit Raba 8, 10).

Ce texte est formel : lors de la création
de l’homme, les anges étaient
sur le point de l’appeler « kadoch »,
et ce, parce qu’en dépit du fait qu’il
soit pétri dans la chair, l’homme est
le dépositaire d’une âme imprescriptible
(nivdélèt). Car percevant
alors clairement que le corps est
second par rapport à l’âme, les anges
s’apprêtaient à chanter la gloire
de sa dimension transcendante.
Il aura donc fallu que le Saint Béni
soit-Il fasse tomber l’homme dans
un sommeil profond pour que les
anges prennent conscience que
l’âme est elle aussi tributaire du
corps. Dormant, l’homme ne relève
en effet que de son corps seulement,
au point où tout s’annule
face à lui.

De par sa nature même, le sommeil
constitue donc bien cette force qui
écrase l’excellence humaine sous
la pesanteur du corps. A telle enseigne
qu’une telle disposition a
le pouvoir d’exclure l’homme de
l’existence même dans la mesure
précisément où elle l’attire vers le
néant. Dépossédé en partie de son
inscription dans le monde, c’est
lorsqu’il dort que l’être humain
abolit sa propre présence à l’être.
Car il ne fait aucun doute que le
sommeil constitue l’extinction de
l’homme, comme cela est enseigné
explicitement dans le Traité talmudique
Berakhot (page 57/b) où l’on
peut lire : ‘Le sommeil représente
un soixantième de la mort’ [le Maharal
ajoute même dans ses ‘Hiddouché
Aggadot -Traité Chabbat,
page 81 : « Quand il dort, l’homme
est considéré comme mort (…) tant
et si bien qu’avec lui, la trace de
la transcendance (tsélem) qui le
constitue s’annule en partie, pour
la simple raison que cette trace
n’a d’efficience que pour autant où
l’homme est en pleine possession
de son existence (bé’haïm ‘hiyouto)
»-Ndlr.]. Ainsi, submergé par le
sommeil, l’homme est en proie au
néant et à la mort. Et glissant vers
les profondeurs du non-être, il
laisse s’effacer sa propre présence
au monde.

Le vin de l’après-midi et la
conversation entre enfants

Si c’est précisément du vin de
l’après-midi dont il est question
dans cette Michna, c’est dans la
mesure où il est mentionné en
contrepartie d’une faute qui touche
plus particulièrement la seconde
dimension de l’essence humaine,
à savoir sa faculté désirante (néfech).
Puisque, comme cela est
connu, « le vin réjouit le coeur de
l’homme » (Psaumes 104, 15), le
coeur étant le siège du désir.

Or, le vin de l’après-midi procure
une allégresse qui dépasse toute
mesure. En effet au petit matin,
l’homme se trouve encore sous
l’influence de cette paresse qui caractérise
le sommeil ; tandis que le
soir, après avoir dépensé ses forces
tout au long de la journée passée,
il recherche davantage la tranquillité…
C’est donc lors de l’aprèsmidi
seulement, lorsqu’il est en pleine possession
de ses moyens que le vin a la faculté
de lui apporter un regain de
vitalité, au point de l’amener à une
jubilation sans pareil.

Voilà pourquoi, il est question du
vin de l’après-midi, c’est-à-dire de
ce surplus qui, paradoxalement,
plonge l’homme dans son propre
néant. Car il n’est de secret pour
personne que l’excès constitue en
soi un vice producteur d’un déclin
et que toute surcharge est synonyme
de dérèglement. Inoculant
la déchéance au coeur même des
forces vives de l’homme, le vin de
l’après-midi a donc pour conséquence
nécessaire d’abolir sa propre
présence au monde.

La conversation entre enfants
correspond à la troisième partie
constituant la nature de l’homme, à
savoir son intellect. Et pour cause !
La conversation entre enfants est
en effet l’extrême inverse du têteà-
tête des anciens, dont chacune
des paroles relève toujours d’une
certaine forme de sagesse. Tandis
qu’inversement, l’expression enfantine
est distraite, elle n’est faite
que de jeux et d’incongruité…
C’est à ce titre qu’il est dit ici que la
conversation entre enfants implique
dans sa nature même un rejet
de la sagesse. Ce qui sans aucun
doute constitue bien une certaine
forme de néant, pour la simple
et bonne raison qu’un tel type
de discours ne repose sur aucun
fondement véritable. Parce qu’elle
incarne l’annulation même de l’intellect,
[celui donc qui chercherait
à voir dans la conversation entre
enfants la trace d’une véritable sagesse-
Ndlr] s’exclut par-là même
de l’existence authentique.


L’assemblée des incultes

Conformément enfin à cette quatrième
et dernière dimension qui
définit l’homme, en tant qu’il appartient
nécessairement à un ensemble
qui le dépasse, nos Sages
enseignent que « la fréquentation
des assemblées des incultes exclut
l’homme du monde ». En effet, s’il
partage l’assemblée des ignorants,
l’homme se place en porte-à-faux
avec cette autre assemblée :
celle de la prière, qui représente
au contraire une réunion en vue
de la sainteté (kedoucha). Puisque
inversement, prendre part
aux regroupements des béotiens,
c’est s’associer à ce qui ne relève
d’aucune forme de profondeur, au
point de perdre sa propre présence
au monde.

Ainsi, bien que dix personnes de
cette sorte se réunissent, alors
qu’elles devraient constituer dans
leur essence même un groupe véritable
(tsibour), elles n’ont pourtant
aucune réalité. Tant et si bien
que celui qui s’y associe renie en
conséquence sa propre existence,
et s’excluant ainsi du monde, il annule
en lui cette propension à cette
quatrième dimension qui le définit
pourtant comme être collectif.
Cette explication de la Michna est
on ne peut plus juste, cela ne fait
pas l’ombre d’un doute ! Toutefois,
je dois reconnaître qu’il m’est impossible
de l’exposer davantage…
[Le passage qui suit ne figure pas
dans le manuscrit du Maharal :
le maître de Prague l’a semble-t-il
ajouté en vue de l’impression. C’est
la raison pour laquelle, il paraît
légitime de le comprendre comme
un supplément d’explication venant
très précisément répondre
à cette impossibilité dont il vient
de parler – Source : rav Hartman
dans « Makhon Yérouchalaïm »,
note 1070-Ndlr].

Il convient toutefois d’approfondir
encore un tant soit peu les paroles
de nos Sages. En effet, quand ils
s’expriment au sujet du « sommeil
du matin », il est important de savoir
qu’ils font ici référence à la figure
d’Avraham Avinou dont il est
dit qu’« il institua la prière du matin
» (Traité talmudique Berakhot,
page 26/b) ; tandis que celui-là
faillit précisément [devant de telles
obligations]. Par ailleurs, « le
vin de l’après-midi » correspond
à Its’hak Avinou et au fait qu’il
institua la prière de l’après-midi
(min’ha) ; tandis que celui-là faillit
précisément [devant de telles obligations].
Enfin, « la conversation
entre enfants » est une allusion au
patriarche Yaacov qui mérita de
mettre au monde ceux que le verset
nomme « les enfants », comme
il est dit : « Ce sont les enfants dont
D.ieu a gratifié ton serviteur », (Béréchit,
33, 5) ; tandis que celui-là
faillit précisément [devant de telles
obligations]. Et pour finir, « la
fréquentation des assemblées d’incultes
» désigne ceux qui sont éloignés
de l’Assemblée d’Israël [qui
constitue justement la continuation
authentique des trois patriarches
à travers toutes les générations
à venir du peuple juif-Ndlr].
Il en résulte que dès que l’homme
contrevient au principe qui fonde
chacune de ces quatre dispositions,
parce qu’il se laisse aller
au sommeil du matin, au vin de
l’après-midi, à la conversation entre
enfants ou à la fréquentation
des assemblées d’incultes, il défait
systématiquement sa propre attache
au monde ; et plus encore :
il engage son existence vers le
non-être. Mais ces notions appartiennent
à la plus profonde des sagesses,
et il ne convient pas de les
dévoiler davantage… ».

Traduction française par
YEHUDA RÜCK


Avec l’accord exceptionnel d’Hamodia-Edition Française

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