C’est dans notre paracha de Pin’has que
la Torah évoque les fondements des
lois sur l’héritage. Suivant les règles
énoncées dans les versets, il apparaît ainsi
que « si un homme meurt sans laisser de fils,
on fera passer son héritage à sa fille ; s’il n’a
pas de fille, on donnera son héritage à ses
frères ; et s’il n’a pas de frères, on donnera
son héritage aux frères de son père ; et si son
père n’a pas de frères, on donnera son héritage
au plus proche parent qu’il aura dans sa
famille [du côté de son père] », (Bamidbar,
27, 8-11).
Si ces règles constituent l’une des 613 mitsvot
de la Torah, il convient cependant de savoir
que celles-ci n’ont pas un pouvoir exclusif.
En effet, tout homme dispose d’un droit entier
sur ses propres biens et libre à lui de les
offrir à qui bon lui semble ! De la sorte, toute
clause testamentaire doit être respectée à la
lettre et quand bien même un père priveraitil
ses enfants en cédant ses biens à autrui,
il n’enfreindrait en cela aucunement la volonté
de la Torah.
La michna (Baba Batra, page 133/b) et à sa
suite le Choul’han Aroukh (‘Hochen Michpat,
282, 1) font simplement remarquer que
lorsqu’un homme prive ses enfants ou même
favorise l’un aux dépens des autres, « les
Sages n’approuvent pas une telle attitude »
puisqu’elle est susceptible d’attiser une certaine
rancoeur chez les héritiers légitimes ou
de faire naître de l’animosité entre eux. Mais
au demeurant, cette décision ne se heurte
formellement à aucun interdit aux yeux de
la Torah.
Il convient donc de comprendre en quoi ces
lois d’héritage nous interpellent, sans pour
autant qu’elles s’imposent à nous en tant
qu’impératifs catégoriques.
Héritages d’outre-tombe…
Si l’ordre des droits à l’héritage énoncé dans
les versets peut sembler confus, nos Sages y
ont cependant décelé une règle générale régissant
toutes ces lois : le principe du « michmouch
» – qui énonce que la passation d’héritage
résulte invariablement d’un « retour de
génération ».
Ainsi, lorsque la Torah décrète que l’héritage
d’un homme n’ayant ni fils ni fille reviendra
à ses frères, cette succession n’est néanmoins
pas aussi directe qu’il n’y paraît : en effet, à
chaque étape où il s’avère qu’un héritier potentiel
est manquant, c’est en remontant d’un
rang parental que l’on désigne les successeurs
suivants. Par conséquent, dans le cas qui
nous intéresse, c’est en premier lieu au père
du défunt que revient le droit d’héritage et,
bien que ce dernier ne soit déjà plus de ce
monde, il reçoit tout de même l’héritage de
son fils « dans la tombe », et c’est de la sorte
qu’il peut ensuite le transmettre lui-même à
sa descendance.
Autrement dit, ce n’est pas le défunt qui fait
hériter ses frères à proprement parler, mais
c’est son père, en héritant de son fils, qui
transmet son droit à ses propres enfants, les
frères ou soeurs du défunt. C’est ainsi également
que les frères du père héritent de leur
neveu dans la mesure où, en l’absence d’autres
héritiers plus proches, c’est au grand-père du
défunt que revient l’héritage et, par voie de
conséquence, aux fils de ce dernier : les oncles
du défunt.
Par ailleurs, ce principe relatif d’« héritage
outre-tombe » trouve d’innombrables implications.
Ainsi, prenons l’exemple d’un homme
qui n’aurait que deux enfants – un garçon et
une fille – et que le garçon vienne à décéder
du vivant de son père en laissant derrière lui
une fille. Lorsque l’héritage de cet homme
devra être partagé, deux héritiers potentiels
se présenteront : sa propre fille et la fille de
son fils défunt. Or dans ce cas, la loi s’avère
univoque : c’est la petite-fille qui reçoit l’intégralité
de l’héritage et non la propre fille du
défunt ! Nous savons en effet que là où il y
a des fils, les filles n’ont pas de droit d’héritage
; par conséquent, en vertu du principe
énoncé plus haut, le fils de cet homme – bien
que déjà décédé – hérite toutefois de son père
« dans sa tombe » et de la sorte, il transmet
lui-même ce legs à sa propre fille (Choul’han
Aroukh ibid. 276, 2).
Un lien indéfectible
Ce principe de « michmouch » comporte de
toute évidence une signification très précise
: il reflète l’inaltérabilité absolue du lien
entre pères et fils, tant et si bien que c’est lui
seul qui prévaut pour la succession des héritages.
Ainsi, deux frères ne sont-ils susceptibles
d’hériter l’un de l’autre qu’en vertu du
fait qu’ils sont tous deux les fils d’un même
père et ainsi de suite : toute succession suppose
en réalité un retour aux premières ascendances
du défunt, par lesquelles son héritage
pourra se transmettre.
Comme le fait remarquer le Séfer ha’Hinoukh,
le « michmouch » renvoie en effet
littéralement à une notion de « toucher » et
de contact entre les générations, au point où
ce lien qui les unit est absolument imprescriptible.
C’est dans cette perspective que l’on apprend
par ailleurs dans un autre passage du Talmud
: « Celui qui déclarerait : ‘Untel mon fils
n’héritera pas avec ses frères’, sa parole resterait
sans valeur dans la mesure où il vient
émettre une condition à ce qui est écrit dans
la Torah » (michna Baba Batra, page 126/b)…
En effet, toute formule semblable où un testamentaire
désire priver son héritier de ses
biens ou en faire bénéficier autrui en vertu
du pouvoir d’héritage est parfaitement caduque,
dans la mesure où cette notion d’« héritage
» n’est propre qu’aux règles fixées par
la Torah. Et nul ne sera jamais en mesure de
porter atteinte à cette notion inaltérable !
Citons pour conclure un exemple illustrant
parfaitement cette conception : un homme
décédé ayant laissé derrière lui un héritage
considérable avait stipulé dans son testament
que l’on utilise sa fortune pour « le plus noble
usage qui puisse en être fait ». Le « Mordékhaï »
– l’un des plus grands ouvrages de référence
en Halakha – déclara que cet argent devrait
être absolument remis entre les mains des
héritiers de cet homme, car dans la mesure où
telle est la prescription de la Torah, aucun autre
usage ne saurait être plus adapté que celui-ci
(cité par le Choul’han Aroukh ibid. 282, 1).
Yonathan Bendennoune
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