Parachath Qora?h ? La « bouche » de la terre
Quand Moïse a voulu prouver aux enfants d’Israël qu’il avait été effectivement envoyé par Hachem , contrairement aux allégations de Qora?h et de ses affidés, il Lui a demandé de les punir dans une manière spéciale : « Et si Hachem fait une création, que la terre ouvre sa bouche et les engloutisse avec toutes leurs possessions, et qu’ils descendent vivants vers la tombe? » ( Bamidbar 16, 30).
Sa demande a été exaucée : « Ce fut, lorsqu’il acheva de dire toutes ces paroles-là, la terre qui était sous eux se fendit. La terre ouvrit sa bouche, elle les engloutit ainsi que leurs maisons, et tous les hommes qui étaient à Qora?h, et tous leurs biens. Ils descendirent, eux et tous leurs biens, vivants vers la tombe, la terre couvrit sur eux, ils furent perdus du milieu de l’assemblée. » (16, 31 et suivants).
L’impression qui se dégage de cette description est que la « création » faite par Hachem a été un tremblement de terre qui a ouvert des crevasses dans le sol, dans lesquelles Qora?h et les autres ont été engloutis. Ibn Ezra , par exemple, commente : « Et beaucoup de pays avaient été auparavant dévastés de cette manière, et leurs habitants avaient été engloutis dans les abîmes. » Cette interprétation présente cependant des difficultés puisque le mot utilisé dans le texte est « créer » (de la racine bara ), et que bara signifie toujours que quelque chose a été formé récemment et sans précédent, comme indiqué dans Berèchith : « Au commencement, Dieu créa ( bara ) les cieux et la terre » ( Berèchith 1, 1). Le mot « créa » s’applique clairement à quelque chose qui n’existait pas auparavant. On ne peut le dire d’un tremblement de terre, dans la mesure où il en a existé avant la rébellion de Qora?h .
L’idée selon laquelle le mot bara renvoie toujours à l’idée d’une nouvelle création présente ainsi des difficultés exégétiques.
Peut-être peut-on les résoudre en faisant appel à la Michna Avoth (5, 6) :
Parmi les dix choses énumérées dans cette Michna qui ont été créées le sixième jour de la Genèse au crépuscule, il en est trois qui commencent par la lettre « pi » (« bouche ») : La « bouche » de la terre, la « bouche » du puits et la « bouche » de l’ânesse (de Bil?am).
Ainsi que le fait remarquer rabbi Yom Tov Lipman Heller dans son commentaire Tossafoth Yom tov ( ad loc .), le mot « bouche » évoque l’idée de « parole ».
L’ânesse de Bil?am était dotée de la faculté de parler. Il en est de même du puits qui a accompagné les enfants d’Israël dans le désert, et qui était capable de chanter, ainsi que le suggère le verset : « Alors chantera Israël ce cantique-ci : Monte, puits ! Répondez-lui ! » ( Bamidbar 21, 17).
Quant à la « bouche » de la terre qui a englouti Qora?h et ses acolytes, rabbi Heller l’interprète à la lumière du verset : « Et tout Israël qui était autour d’eux s’enfuit à leur voix ( le-qolam ), car ils disaient : ?De peur que la terre ne nous engloutisse !? » ( Bamidbar 16, 34).
Cette « voix », explique-t-il, était celle de la terre, qui proclamait que ceux qu’elle avait engloutis avaient été précipités au plus bas du cheol (« tombeau ») ( Ibid . 16, 33). Et comme cette « voix de la terre » n’avait jamais été entendue jusqu’à ce moment-là, il s’est bien agi d’une nouvelle « création ».
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Haftarath parachath Qora?h ? Pas même un véhicule de fonction
De même que Moïse a dû affronter la révolte de Qora?h, de même le prophète Samuel a dû faire face, à la fin de sa vie, à la contestation de l’ensemble des enfants d’Israël.
Ces deux agitations sont allées si loin que Moïse, tout comme Samuel, a été forcé de se défendre contre des accusations de malversation.
« Je ne leur ai pas pris un seul âne », a protesté Moïse ( Bamidbar 16, 15), et « ai-je pris un âne ? », s’est récrié Samuel (I Samuel 12, 3).
Pourquoi ont-ils parlé d’un âne ? Pourquoi pas d’argent ou d’or ou d’autres objets précieux ?
C’est que l’un comme l’autre ont voyagé sur un âne, Moïse pour revenir de Midian en Egypte, et Samuel pour se déplacer à travers Erets Yisraël pour les besoins de son activité prophétique. Ils auraient eu droit l’un comme l’autre à la mise d’un âne à leur disposition, à la fourniture d’un véhicule de fonction, en quelque sorte, mais ils se sont contentés de leur âne personnel.
Mais pourquoi un âne, animal humble et destiné à des tâches subalternes, et pas un cheval, monture habituelle des grands personnages ?
On sait en effet que ceux-ci ont droit normalement, vu leur rang, à cet animal, explique le ha-?Emeq davar ( ad Bamidbar 16, 15) par antiphrase du verset : « J’ai vu des serviteurs sur des chevaux, et des princes marchant sur la terre comme des serviteurs » (Ecclésiaste 10, 7).
Non seulement, poursuit-il, n’ont-ils pas pris un cheval, mais ils n’ont même pas demandé à la collectivité des enfants d’Israël de leur fournir un âne.
Cela nous montre, poursuit le même commentateur, que celui qui s’occupe des affaires publiques a le droit de se faire entretenir par la collectivité. Sinon, le temps qu’il devrait consacrer à sa propre subsistance serait pris sur celui qu’il consacre à sa mission.
Seul en effet l’âne qui a servi au retour de Moïse et de sa famille en Egypte appartenait en propre à celui-ci, et non les autres nécessités matérielles de son existence, qui lui étaient fournies par les enfants d’Israël.
Jacques KOHN.