Le bita’hon constitue l’un des fondements cardinaux du judaïsme. Cette notion apparaît en effet comme l’application concrète de la émouna. Autrement dit, on pense avec la émouna, et l’on agit avec le bita’hon ; et plus la émouna dans le Créateur, dans Sa Toute-puissance et Son emprise sur le monde, sera profondément ancrée en nous, plus notre bita’hon sera tangible et concret.

Malheureusement, cette notion est souvent galvaudée, comme s’il suffisait de proclamer à tout bout de champ : « D.ieu aidera » ou « Tout ira bien » pour se rendre quitte de ce devoir.
Tu inclines Ta main
Dans notre paracha, un principe élémentaire du bita’hon apparaît en filigrane du Cantique de la Mer. Entre autres louanges adressées à D.ieu, les Hébreux proclamèrent : « Tu as étendu Ta droite, la terre dévore [les Egyptiens], Tu guides par Ta grâce ce peuple que Tu as affranchi » (Chémot 15, 12-13). Cette transcription du verset – « Tu as étendu Ta droite » – n’est pas tout à fait exacte selon Rachi, pour qui une nuance significative est à relever : « ‘Tu as incliné Ta droite’ – lorsque le Saint béni soit-Il incline Sa main, les mécréants sont exterminés et ils s’effondrent, car toute existence est déposée dans Sa main. Il suffit donc qu’elle se penche pour qu’ils tombent, comme on le voit dans ce verset : ‘L’Eternel penche Sa main : le protecteur trébuche et le protégé tombe’ (Isaïe 31, 3). Ils sont semblables à des ustensiles en verre déposés dans la main d’un homme : à peine l’incline-t-il qu’ils tombent et se brisent ».
Ce commentaire porte un message essentiel : D.ieu ne Se contente pas de guider le monde ou de prendre part aux événements qui s’y déroulent. En vérité, c’est au creux de Sa main que l’existence toute entière évolue. Et au moindre « mouvement » de sa main, tout tremble ou s’effondre.
A la question que l’on entend tristement dans la bouche de certaines personnes : « Où D.ieu est-Il ? », la réponse est donc évidente : D.ieu se trouve juste « sous nos pieds », car c’est Lui qui supporte chacun de nos pas. Et lorsqu’une épreuve frappe l’homme, il doit être conscient que c’est précisément la main de D.ieu qui l’y conduit – pour une raison que Lui seul connaît –, et que si celle-ci devait se replier, voire même s’incliner un tant soit peu, nous nous effondrerions aussitôt à l’instar des Egyptiens.
Voilà ce qu’est un bita’hon authentique, et ô combien difficile à maîtriser : il ne suffit pas savoir que D.ieu est bien là, qu’Il dirige le monde et administre les événements. Le bita’hon est cette conviction que nous vivons et évoluons dans la paume de la Main divine !
Des clauses et des conditions
Ce principe apparaît également dans ces lignes du Midrach : « A toutes les œuvres façonnées lors des six jours de la Création, le Saint béni soit-Il imposa une condition, comme il est écrit : ‘Mes mains ont déployé les cieux, J’ai ordonné toutes leurs armées’ (Isaïe 45, 12) – J’ai ordonné à la mer qu’elle se fende devant les enfants d’Israël, J’ai ordonné aux Cieux et à la terre qu’ils se taisent devant Moché (…) J’ai ordonné au soleil et à la lune qu’ils s’immobilisent devant Yéhochoua (…) J’ai ordonné aux corbeaux qu’ils subviennent aux besoins d’Eliyahou… » (Béréchit Rabba 5, 5). Et ainsi de suite, le Midrach cite de nombreux miracles au cours desquels des éléments de la nature modifièrent leurs habitudes pour répondre à l’ordre divin.
Or, comme le précise d’emblée ce texte, ces nombreux exemples prouvent à l’unisson que D.ieu émit des conditions pareilles avec « toutes les œuvres de la Création », pour souligner qu’aucune loi de la nature n’est immuable. Certes, ces lois suivent un modèle préétabli lors de leur création, mais aucune d’elle n’est figée : la Providence divine peut à tout instant les modifier, pour la simple raison qu’elles reposent sur la Parole qui les a initiées. 
Dès lors, on pourrait même dire que dans l’absolu, un miracle n’a rien de « prodigieux » : il n’est que le reflet d’une variation dans la volonté qui maintient à chaque instant l’existence toute entière… Ce que nous proclamons dans notre prière quotidienne : « Au Roi, D.ieu vivant (…) Qui renouvelle dans Sa bonté, chaque jour, perpétuellement, l’œuvre de la Création » (Yotser de cha’harit).
Une formidable ségoula
Pour rav ‘Hayim de Volhozine, dans le premier Portique du Néfech ha’Haïm (chap. 2), cette réalité constitue le fondement l’authentique émouna juive : l’œuvre de la Création se reproduit à chaque instant, perpétuellement. Et lorsque l’on a conscience de cette réalité, on accède à l’entière dimension de la vertu de bita’hon : aucun être, aucun fait, aucune existence n’échappent à la volonté du Créateur dans la mesure où c’est elle qui, à chaque seconde, les maintient tous en vie.
D’après rav ‘Haïm, la conscience de cette réalité est d’une portée telle, qu’elle peut permettre à l’homme de se soustraire à tout tourment qui le guette : « Ceci constitue un principe fondamental et une formidable ségoula pour annuler tout décret et toute volonté étrangère, et les empêcher de nous dominer : que l’homme établisse fermement dans son cœur que D.ieu est la seule Puissance réelle, et qu’aucune force au monde n’existe hormis la Sienne (…) qu’il s’efface totalement devant Lui dans son cœur et qu’il n’accorde aucune valeur à quelque autre force ou pouvoir au monde… » (Portique III chap. 12).
Le rav de Brisk en fuite devant les nazis
La Seconde Guerre mondiale faisait rage. La Pologne était divisée entre les forces russes et allemandes, et les Juifs étaient pris dans un étau infernal. Le rav de Brisk, rav Its’hak Zéev Soloveitchik zatsal, se retrouva ainsi loin de sa ville, à la recherche d’une issue pour échapper à la tourmente. Il fuyait d’une part les nazis, qui avaient déjà entamé le processus de la solution finale, et d’autre part, le pouvoir communiste qui pourchassait toute personnalité religieuse.
Un jour enfin, la nouvelle tomba que les Russes cédaient Vilna à la Lituanie. Pour le rav de Brisk, c’était là une porte de sortie qu’on ouvrait aux Juifs depuis le Ciel. Cependant, pour atteindre cette destination, il devrait encore entreprendre un périlleux voyage jusqu’à Bialystok, où il pourrait passer la frontière russe et rejoindre la ville de refuge.
Voyager en train était alors impensable : les nazis avaient pris le contrôle de toutes les gares, et déjà alors, ils arrêtaient ou tiraient même sur tout ce qui portait la moindre trace de judaïsme. Le rav rejoignit donc un groupe d’une quinzaine de voyageurs qui souhaitaient également se rendre à Bialystok, et ensemble, ils louèrent les services d’un cocher. Rav Its’hak Zéev s’installa dans la partie la plus basse de la large voiture, de sorte à n’être pas visible de l’extérieur en cas de contrôle.
Le voyage dura trois longues journées, mais il se passa sans encombre. Environ un kilomètre avant la frontière russe, la calèche dut stopper et le petit groupe continuer à pied. 
Soudain, apparurent au milieu de la route deux soldats allemands, qui se dirigèrent droit vers le rav de Brisk. De but en blanc, ils lui demandèrent : « Où est ton arme ? Où est ton argent ? » (l’habitude des allemands en ces temps était de poser ces deux questions, dans cet ordre, à toute personne arrêtée). Pendant qu’ils empoignaient le rav, un troisième soldat allemand surgit, il fit signe à ses compagnons de relâcher leur prisonnier et de le rejoindre. Rav Itsh’ak Zéev reprit aussitôt la route, sans demander son reste. 
Arrivé à la frontière, le rav dut attendre plusieurs heures jusqu’à ce que les gardes-frontière reprennent leur service. Pendant l’attente, le rav apprit de la bouche de plusieurs témoins que les soldats qui l’avaient arrêté abattaient systématiquement tous les Juifs qui croisaient leur chemin. Or, lui-même avait été relâché par ces mêmes soldats de manière totalement miraculeuse.
Plus tard, il expliqua que pendant toute la durée de ce long voyage, il s’efforçait de méditer les paroles du Néfech ha’Haïm et se les répétait inlassablement, de sorte à être protégé par la ségoula du grand maître. « Mais en approchant de la frontière, témoigna rav Its’hak Zéev, je fus perturbé par l’empressement et j’interrompis mes réflexions. C’est à ce moment précis qu’avaient surgi les deux soldats allemands, qui m’arrêtèrent sur-le-champ. Aussitôt, je repris mes méditations, et lorsque mon cœur fut à nouveau empreint de la certitude ‘qu’aucune force au monde n’existe hormis la Sienne’, le troisième soldat était apparu et avait ordonné qu’on me relâche ».
Yonathan Bendenoune en partenariat avec Hamodia