Le vieillard de 91 ans décédé samedi dernier avait été gardien de camp durant la Shoah. Mais John Demjanjuk était-il le tristement célèbre Ivan le Terrible qui officiait à Treblinka ou alors « simple » gardien à Sobibor ? Condamné à mort puis gracié par Israël, il avait finalement été jugé coupable en Allemagne en mai 2011.
John Demjanjuk, 91 ans, est mort samedi dans une maison de retraite de Bavière, dans le sud de l’Allemagne. Il était l’un des derniers tortionnaires nazis jugé et condamné pour son rôle durant la Shoah. « Mon père s’est éteint dans la paix » a préféré retenir son fils, John Demjanjuk Jr. « C’était un homme qui aimait la vie, sa famille et l’humanité ».
Drôle de façon de décrire cet Ukrainien devenu gardien de camp de concentration et dont le souvenir est resté gravé dans la mémoire des rescapés en raison de son effroyable cruauté.
Né en 1920, Demjanjuk avait été capturé par les Allemands alors qu’il combattait dans les rangs de l’Armée soviétique. Selon lui, il aurait alors passé le reste de la guerre comme détenu dans des camps de prisonniers. Un scénario inventé de toutes pièces, qui lui avait permis de déjouer le contrôle des autorités américaines et d’émigrer aux États-Unis en 1952. Installé à Cleveland, il devient alors ouvrier dans l’industrie automobile, se fondant dans la communauté ukrainienne. Mais ce bon père de famille est rattrapé par son passé trois décennies plus tard lorsque d’anciens détenus des camps de la mort le reconnaissent et l’accusent d’être « Ivan le Terrible », l’un des plus terribles gardiens ayant sévi à Treblinka. En 1986, il est extradé vers Israël pour y être jugé. Lors de son procès, qui s’ouvre à Jérusalem en 1987, il est confronté aux témoignages de plusieurs survivants ainsi qu’à un document présenté par l’accusation comme son certificat de SS. Un « faux » fabriqué par le KGB pour discréditer les États-Unis, affirme la défense de Demjanjuk qui nie catégoriquement avoir été « Ivan le Terrible ». Mais face aux preuves, il est obligé d’abandonner sa couverture d’ancien prisonnier de guerre, avouant avoir été gardien dans le camp polonais de Sobibor. Malgré ses dénégations, il est reconnu coupable et condamné à mort en 1988. Mais cinq ans plus tard, en 1993, la sentence est cassée par la Cour Suprême israélienne qui invoque un « doute raisonnable sur son identité ». Vingt-et-un ans après la pendaison d’Eichmann, Israël renonce donc à exécuter un second criminel de guerre nazi et ce, même si aujourd'hui l'une des anciennes juges de la Cour, Dalia Dorner, affirme être convaincue de la culpabilité de Demjaniuk.
C’est donc libre que John Demjanjuk regagne les États-Unis. Mais c’est désormais un homme traqué par l’opinion mondiale, poursuivi qui plus est par la justice fédérale américaine qui veut lui retirer la nationalité qui lui avait été attribuée en 1958. Il lui est en effet reproché d’avoir menti aux services d’immigration sur son rôle durant la guerre.
Après de nombreuses péripéties judiciaires, il est finalement définitivement privé de sa nationalité américaine en 2004. Devenu apatride, il est expulsé en 2009 vers l’Allemagne pour y être jugé.
Au terme d'un procès marathon de 18 mois, entamé en novembre 2009 à Munich, la justice avait estimé qu'il avait bien été garde au camp de Sobibor, pendant six mois en 1943, au cours desquels près de 27 900 Juifs, essentiellement néerlandais, avaient été exterminés. Malgré l’absence de preuves directes, le tribunal n’avait pas hésité à le condamner pour des crimes commis alors qu’il était gardien dans le camp polonais, sa seule fonction durant cette période suffisant à le rendre complice des meurtres de Juifs qui y avaient été commis. Une jurisprudence qui a entrainé la réouverture de dizaines de dossiers qui semblaient trop fragiles. Selon le Centre national allemand d’enquêtes sur les crimes de guerre nazis, au moins un millier de tortionnaires nazis ou leurs supplétifs seraient toujours vivants. Certains n’ont jamais pu être arrêtés ou extradés, tandis que d’autres avaient réussi à échapper à une inculpation, malgré les très fortes présomptions pesant sur eux, en raison de la disparition des témoins potentiels.
Quant à John Demjanjuk, bien que reconnu coupable, son grand âge et son état de santé lui avaient valu d’être remis en liberté en mai 2011. Il était depuis pensionnaire d’une maison de retraite de Bad Feilnbach où il est décédé. « Un monde sans Demjanjuk, c'est mieux qu'avec Demjanjuk », a résumé Serge Karlsfeld.Par Serge Golan,en partenariat avec Hamodia.fr