Au début de notre paracha, la
Torah énumère les douze
hommes délégués pour explorer
la Terre de Canaan en désignant
à la tête de la tribu d’Éfraïm
« Hochéa bin Noun », le fidèle disciple
de Moché. Plus tard, le verset
mentionne que « Moché nomma
Hochéa bin Noun : Yéhochoua », et
ce, en ajoutant à son nom la lettre
« youd » afin que, comme le rappelle
Rachi au nom du Midrach,
« ‘D.ieu te sauve’ du conseil des
explorateurs », (Bamidbar, 13, 16).
Le nom « Yéhochoua » exprime en
effet cette idée de « délivrance divine
».
Il convient cependant de comprendre
la raison pour laquelle Moché
ne se contenta pas de prier pour
son élève et jugea l’ajout de cette
lettre si impérative – d’autant plus
que le nom initial de ce dernier,
« Hochéa », suggérait déjà cette
idée de « délivrance ».
En outre, comme se le demande déjà
le Chlah haKaddoch, pour quelle
raison Moché ne pria-t-il pas également
pour son beau-frère Kalev
– le mari de Myriam – qui s’opposa
lui aussi aux desseins subversifs
des autres explorateurs ?
C’est à travers une brève allusion
figurant dans le targoum de Yonathan
ben Ouziël que le « Chem
miChmouël » répondit par une
brillante analyse à ces questions…
La juste mesure
de la modestie
Dans sa transcription araméenne
de la Torah, Yonathan ben Ouziël
écrit à propos du changement de
nom de Yéhochoua : « Lorsque Moché
vit la modestie qui l’habitait,
il appela Hochéa : ‘Yéhochoua’ »,
(verset 16). C’est donc bel et bien
en vertu de sa très grande humilité
que Yéhochoua risquait de se
laisser entraîner par les conseils
des autres explorateurs…
Toutefois, cette interprétation mérite
quelques explications : si la
modestie constitue effectivement
une qualité de coeur remarquable,
l’homme ne doit cependant en être
animé qu’à l’égard de son Créateur
uniquement. En revanche,
s’il s’agit de s’effacer devant des
personnes mauvaises – dont les
intentions seraient de se rebeller
contre leur Créateur -, le fait de ne
pas prendre parti pour la Volonté
divine ne saurait dès lors être
qualifié de « modestie » mais plutôt
de vulgaire « rabaissement »
exagéré, voire même d’une forme
de « servilité » totalement hors
propos !
C’est en effet ce que nous voyons
chez Abraham, le père de notre
nation, qui d’une part était habité
d’une extrême humilité au point
de proclamer « Je ne suis que
poussière et cendre », mais qui est
également appelé dans notre tradition
du nom de « Étan » dans la
mesure où il sut se montrer « vigoureux
» et déterminé, seul face à
un monde où seules les croyances
idolâtres prédominaient, et aussi
face au roi Nimrod qui régnait
alors en despote.
Par conséquent, il semble improbable
que Yéhochoua eût été enclin à
s’effacer de la sorte devant les sordides
projets des explorateurs…
Cette remarque conduisit le « Chem
miChmouël » à une intéressante
conclusion concernant cette vertu
d’humilité.
Méprise et mépris
D’une part, le Talmud rapporte au
nom de rabbi Yossi les propos suivants
: « De ma vie entière, je n’ai
jamais contredit les propos de mes
confrères ; ainsi, je sais moi-même
que je ne suis pas Cohen mais
pourtant, si ceux-ci venaient à me
dire ‘Va donc servir sur l’estrade’,
je monterai aussitôt », (Traité talmudique
Chabbat, page 118/b).
En d’autres termes, rabbi Yossi
voulait signifier par ces mots qu’il
s’effaçait totalement face à l’avis
des Sages au point où, disait-il sur
le ton de l’exagération, il était prêt
à s’en remettre davantage à eux
qu’à lui-même quant à sa propre
identité…
Mais par ailleurs, un grand principe
de la Torah énonce : « Ne
suis point la multitude pour mal
faire », (Chémot 23, 2) ; une injonction
signifiant, comme l’explique
Rachi, que les arguments
de la « majorité » ne sauraient être
retenus si celle-ci était constituée
de personnes voulant sciemment
s’opposer à la volonté de la Torah.
En d’autres termes, nous voyons
d’une part qu’il convient de s’en
remettre aveuglément à l’opinion
admise par la majorité – quand
bien même celle-ci affirmerait
d’un homme « Israël » qu’il serait
en réalité un « Cohen » –, alors que
par ailleurs, il faut être prêt à se
dresser seul face au monde entier
s’il devait être dirigé par des hommes
dont les intentions sont de
trahir la volonté de la Torah !
Cette énigme se résout en réalité
par une différence évidente : d’une
part, il existe une situation où les
risques de « dérives » ne peuvent
être que le fruit d’une méprise.
Dans ces circonstances troubles
où la réponse aux doutes qui
nous assaillent reste incertaine, il
convient effectivement de s’en remettre
à la « multitude » qui sera
mieux à même de déterminer la
voie à suivre, plutôt qu’un simple
particulier. Ici, la modestie intervient
dans sa dimension authentique
; voilà pourquoi l’individu
devra faire preuve d’effacement
devant l’avis de la majorité.
En revanche, lorsque des signes
patents et incontestables trahissent
chez cette majorité une
volonté de renier la Torah et de
mépriser ses principes, nulle modestie
ne saurait alors prévaloir :
seul face au monde entier, l’homme
devra s’en tenir fermement
aux côtés de D.ieu et de Sa Torah,
faisant ainsi preuve de vigueur à
l’instar d’Abraham !
C’est dans cet ordre de pensée que
Rachi énonce distinctement – à
propos de l’interdiction de suivre
la majorité pour mal agir – qu’elle
s’applique « au moment où l’on
voit des méchants qui corrompent
le jugement ». C’est en effet à la
vue lucide et évidente d’une volonté
de corrompre la vérité, qu’il
convient alors de « prendre les armes
» et de lutter pour la Vérité…
Les explorateurs
Or, poursuit le « Chem miChmouël
», il ne fait aucun doute
que les explorateurs délégués par
Moché n’étaient pas animés, dès
le départ de leur mission, par une
volonté de contester l’autorité de
D.ieu. Ces hommes étaient en effet
des personnages d’une grande valeur
et c’est incontestablement les
« forces du mal » – qui régnaient
alors intensément en ces contrées
désertiques – qui les induisirent
en erreur pour les amener à s’insurger
contre la Volonté divine.
Toutefois, Moché était bien
conscient des méprises auxquelles
pourraient être confrontés
les explorateurs et à cet égard, il
craignit que la grande humilité de
Yéhochoua n’en vienne à l’amener
à s’effacer devant la majorité,
puisque aucune marque tangible
de rébellion n’était encore perceptible
chez les autres explorateurs.
A ce niveau, c’est l’humilité la
plus parfaite qui aurait pu devenir
un facteur de terribles errements
puisqu’elle aurait pu inciter
Yéhochoua à croire en toute
innocence aux bonnes intentions
des autres explorateurs, sans que
rien ne lui laisse soupçonner leurs
motivations intimes.
Kalev en revanche, qui n’était luimême
pas habité d’un tel niveau
d’humilité, était donc plus à même
de déceler les véritables desseins
des explorateurs et de se préserver
de leurs machinations…
C’est donc bien la vertu de modestie
qui risquait d’occulter les
sentiments véritables dont étaient
animés les explorateurs, en ne
voyant là chez eux qu’une simple
« méprise » – qu’un simple particulier
ne serait aucunement en
droit de critiquer ou contredire.
L’adjonction de la lettre « youd »
au nom de Hochéa, explique le
« Chem miChmouël », se justifie
précisément vis-à-vis de cette
situation particulière. Les enseignements
de la Cabbale montrent
en effet comment les trois
premières lettres du Nom divin
– qui devinrent ainsi les premières
lettres du nom de Yéhochoua
– désignent les trois dimensions
absolues de la Sagesse : « ‘Hokhma
», « Bina » et « Daat » ! Cette
dernière, qui est en quelque sorte
la résultante de deux premières,
correspond également à l’Attribut
de Vérité qui se loge dans le coeur
de l’homme.
Par conséquent, l’objectif de la
prière de Moché fut clairement
d’introduire dans le coeur de son
disciple une nouvelle mesure de
clairvoyance et de discernement.
De fait, ces dispositions permirent
à Yéhochoua de déceler les intentions
véritables des explorateurs
qui se dissimulaient derrière un
semblant de simple « méprise »
porteuse de confusion…
Comme le révèle donc le targoum
de Yonathan ben Ouziël,
ce fut précisément du fait de la
modestie qui animait son disciple
que « Moché appela Hochéa :
‘Yéhochoua’ ».
Yonathan Bendennoune
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