Une expression particulière revient à deux reprises dans notre paracha : « Tu te rappelleras cette traversée de quarante ans que l’Eternel ton D.ieu t’a fait subir dans le désert, afin de t’éprouver par l’adversité et pour connaître le fond de ton cœur… » (Dévarim 8, 2).
Un peu plus loin (verset 16), nous retrouvons la même formulation au sujet de la manne : « Lui Qui t’a nourri dans ce désert d’une manne inconnue à tes aïeux, afin de t’éprouver par les tribulations pour te rendre heureux à la fin. »
Autant les quarante ans de cette rude traversée, que la manne dont se nourrirent les Hébreux dans le désert, avaient donc un même but : « Afin de t’éprouver… » Bien que d’une part, les pérégrinations du désert renferment des situations extrêmement éprouvantes, et que la manne soit salutaire pour le peuple juif, toutes s’inscrivent pourtant dans un même projet divin : éprouver l’homme.
Ceci formule un principe fondamental mis en évidence par les grands maîtres de notre tradition : toutes les vicissitudes de notre existence ne sont que mises à l’épreuve, destinées à jauger notre fidélité à D.ieu et notre capacité à rester dans le droit chemin. Toutes les circonstances de notre vie – bonnes ou mauvaises – n’ont donc qu’un seul but : nous mettre encore à l’épreuve, tester notre réaction.
A l’évidence, notre vie sur terre n’est qu’une virgule dans l’histoire de notre existence. Mais cette virgule est capitale, car c’est elle qui va déterminer la suite de notre parcours. Et lorsqu’on sait remettre les choses dans leurs justes perspectives, il est certainement plus aisé de comprendre que chaque chose a un but.
L’histoire suivante illustre cette idée de façon remarquable.
Une mitsva peut-elle nuire ?
Cette histoire est racontée par rav Meïr Mazouz, le Roch Yéchiva de Kissé Ra’hamim, qui l’entendit lui-même au nom de rav Yona Taïeb, l’un des grands maîtres de Tunis (cité par Mayan Hachavoua).
Un homme très modeste vivait dans le quartier du saint Rabbi ‘Haï Taïeb, couramment appelé « lo met » [« qui n’est pas mort »]. Un jour, le destin tourna en faveur de ce pauvre homme et ses affaires commencèrent à prospérer. Malheureusement, sa fortune le prit soudainement de court dans ses habitudes : sa nouvelle situation l’absorba tant qu’il cessa de se rendre à la synagogue le matin. Au lieu de cela, il commença à réciter ses prières à la maison à toute allure, pour ne pas perdre une bonne affaire. Au fil du temps, sa situation spirituelle ne cessa de se dégrader, il arrêta tout bonnement de prier le matin au point de décider un jour de cesser définitivement de fréquenter la synagogue, même le Chabbat.
Cette attitude déplut vivement à sa femme, car elle était quant à elle très attachée aux valeurs du judaïsme. Un jour, elle décida d’aller se confier au rav Taïeb, lui expliquant comment peu à peu, son mari se détachait totalement de la communauté. Le rav la rasséréna, et lui assura qu’il se chargerait de l’affaire personnellement.
Le lendemain matin, dès la première heure, rav ‘Haï Taïeb alla frapper à la porte du couple. Réveillé en sursaut, le maître des lieux interrogea le rav sur son irruption soudaine. Celui-ci lui expliqua qu’il se rendait à la synagogue et, en passant devant chez lui, il s’était dit qu’il pouvait lui proposer de l’accompagner. N’osant décliner la proposition du maître, l’homme s’exécuta et se rendit à la prière. Après quoi il se rendit aussitôt à son commerce.
Le jour même, des valets du roi vinrent chez lui commander une grande quantité de fournitures pour les besoins du palais. Lorsque la commande fut faite, ils amenèrent de nombreuses charrettes, qu’ils chargèrent avec la marchandise achetée. Evidemment, notre homme était très satisfait de cette affaire. Mais lorsqu’il alla trouver le responsable pour lui réclamer son dû, celui-ci réagit de manière très virulente : « Qu’est-ce que cela signifie ? Tu as pourtant déjà touché ton argent ! Tu voudrais donc recevoir le double ?! » Craignant de contredire un représentant du roi, notre homme fut bien contraint de se taire et d’accepter la perte subie. Le soir, en rentrant chez lui, il dit à sa femme : « Regarde ! Aujourd’hui, je suis allé prier, et vois quelles en ont été les conséquences ! »
Le lendemain matin, à l’aube, le rav passa le réveiller à nouveau. Bien que peu désireux de le suivre, le commerçant éprouvait néanmoins trop de respect envers le rav pour refuser sa proposition. Comme la veille, il se rendit à son commerce aussitôt après la prière. Ce jour-ci, c’est une femme visiblement très noble qui pénétra chez lui. Celle-ci commanda de grandes quantités de marchandises, et lorsque tout fut chargé dans son coche, elle s’enfuit sans demander son reste.
De retour chez lui, l’homme était encore tout bouleversé par ces deux pertes consécutives. A ses yeux, il ne faisait aucun doute que ses prières en étaient la cause… Il annonça donc à sa femme qu’il renonçait définitivement de se rendre à la prière, et pour éviter le rav Taïeb, il se lèverait de très bonne heure le lendemain.
Aux petites heures du jour, il se leva, décidé à fuir le rav. Mais en ouvrant la porte, il découvrit celui-ci debout devant lui, déjà en train de l’attendre. « Il est encore bien tôt », dit-il, essayant de se dérober. Mais le rav lui répondit : « Il y a aujourd’hui, à la synagogue, un cours de Michna et de Zohar avant la prière. Pourquoi ne vous y associeriez-vous pas ? » Bon gré mal gré, l’homme finit par obtempérer.
En arrivant à son commerce, il attendit de voir quels seraient les préjudices du jour. Survint alors un jeune officier d’armée, qui commanda à son tour de nombreuses marchandises. En le voyant, le commerçant se dit : « Voilà donc la source de ma prochaine perte… » Mais lorsque les paquets furent prêts, l’officier dit : « Je n’ai pas pu amener de charrette avec moi. Je vais donc laisser la marchandise ici, et je reviendrai la chercher plus tard, avec une voiture appropriée. »
Le marchand attendit donc patiemment que le jeune soldat revienne. Une heure passa, puis une seconde, et en fin de journée, l’homme n’était toujours pas venu récupérer sa marchandise. Au moment de fermer sa boutique, il s’aperçut alors que non seulement les paquets étaient restés sur place mais de plus, son client avait oublié son portefeuille sur le comptoir. L’homme se dit alors : « Ce portefeuille est sous ma responsabilité, il m’incombe de le garder jusqu’à ce que son propriétaire vienne le reprendre. » Il glissa la bourse dans sa poche, ferma le commerce et rentra chez lui.
En chemin, il croisa le rav ‘Haï Taïeb. Celui-ci vint à sa rencontre avec un large sourire : « Alors, mon ami, vous avez réalisé de beaux bénéfices aujourd’hui, n’est-ce pas ? » Le marchand s’étonna : « De beaux bénéfices ? Je n’ai pourtant rien gagné ! Mon client s’est envolé en me laissant ses achats sur les bras ! Et même s’il reparaît, cela ne couvrira nullement mes pertes de la veille et de l’avant-veille ! »
« Absolument pas ! s’exclama le rav. Et vous tenez même vos gains dans votre poche. » A l’étonnement de son interlocuteur, rav ‘Haï Taïeb donna les explications suivantes : « Lorsqu’un homme veut s’amender et rejoindre le droit chemin, il trouve immanquablement des embûches sur sa route. Celles-ci sont des épreuves, destinées à jauger sa détermination. Le premier jour où vous êtes venu prier à la synagogue, ce n’est nul autre que le Satan en personne qui s’est présenté à votre magasin, pour vous éprouver. Le second jour, c’est sa femme, qu’on appelle Lilith, qui est venue vous trouver. En acceptant de vous rendre également le troisième jour à la synagogue, vous avez ainsi prouvé votre fidélité et mérité d’être dédommagé. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui, on vous a envoyé le prophète Eliyahou, venu vous déposer vos bénéfices en mains propres. »
D’une main tremblante, l’homme sortit le portefeuille de sa poche. Il y découvrit la somme précise de la marchandise des trois derniers jours. C’est à cet égard qu’il est dit dans notre paracha : « Afin de t’éprouver par l’adversité… pour connaître le fond de ton cœur ». Par Chlomo Messica, en partenariat avec Hamodia.fr
(Extrait de Mayan Hachavoua)