Meurtre : postulat du non-être

Parallèlement à l’annonce autorisant la consommation de chair
animale, la
Torah impose les « lois du sang » avec fermeté : «
Votre sang, qui fait votre
vie, j’en demanderai compte : Je le demanderai à tout animal et
à l’homme
lui-même, si l’homme frappe son frère, Je redemanderai la
vie de l’homme.
Celui qui verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé
»
(Béréchit 9, 5-6).

CES QUELQUES versets, pour le
moins énigmatiques, sont
interprétés à l’échelle de la
Halakha d’une manière bien précise.
C’est dans son ouvrage de
codification, le « Michné Torah »,
que Maïmonide dissèque ces versets
en trois interdictions bien
distinctes :
« Celui qui loue les services d’un
tueur pour tuer autrui (…) ou encore
celui qui ligoterait son prochain
et l’abandonnerait devant
le lion et que la bête le dévore
(…) ou encore celui qui attenterait
à ses propres jours, chacune
des ces personnes est considérée
comme un assassin, elle est coupable
d’avoir commis un meurtre
et passible de peine capitale aux
yeux du Ciel, bien qu’un Tribunal
humain ne puisse l’exécuter
lui-même » (Hilkhot Rotséa’h ch.
2, 2). Contrairement au meurtre
perpétré directement – auquel
cas un Tribunal de 23 juges peut
prononcer et appliquer une sentence
capitale –, les trois formes
d’homicides décrites ici par le
Rambam ne peuvent aboutir à
une exécution formelle par le
biais d’un Tribunal rabbinique.
Néanmoins, le meurtrier n’en demeure
pas moins coupable au regard
de la Justice céleste, qui fera
elle-même appliquer la sentence
suivant ses propres critères.
Dans le paragraphe suivant, Maïmonide
présente ses sources :
« D’où savons-nous qu’il en est
ainsi ? Parce qu’il est dit : ‘Celui
qui verse le sang de l’homme,
par l’homme son sang sera versé’
– ceci fait référence à celui qui
commet un meurtre de ses propres
mains ; ‘Votre sang, qui fait
votre vie, j’en demanderai compte’
– ceci fait référence à celui qui
attenterait à ses jours ; ‘Je le demanderai
à tout animal’ – il s’agit
de celui qui livre son prochain
à une bête sauvage ; ‘à l’homme
lui-même, si l’homme frappe son
frère’ – c’est celui qui loue les
services d’autrui pour tuer son
prochain ». Voici donc comment,

selon Maïmonide, ce verset – a
priori redondant –rend compte
de trois qualités d’homicides atypiques
et conclut par le meurtre
direct et prémédité.

Homicides sans meurtre

Aux yeux de la Torah, le sang
constitue le siège de l’âme – ou
tout du moins l’une des facettes de
l’âme humaine – à l’intérieur du
corps humain. Le verset l’énonce
explicitement : « Car l’âme de la
chair gît dans le sang » (Vayikra
17, 11) ou encore : « Le sang, c’est
l’âme, et tu ne dois pas consommer
l’âme avec la chair » (Dévarim
12, 23). C’est par ailleurs à
cet égard que la Torah nous en
interdit la consommation, « car il
est connu que la nourriture s’implante
dans le corps de celui qui la
consomme au point de ne former
plus qu’un seul corps. Si l’homme
venait à manger l’âme de la bête
(…) l’opacité et la grossièreté s’attacheraient
à l’âme humaine, qui
tendrait alors davantage vers la
nature de l’âme animale contenue
dans la nourriture » (Ramban sur
Vayikra). Or, cet état de fait nous
permettra certainement de mieux
saisir le point commun et la particularité
qui unissent ces trois
formes d’homicides, rassemblées
ici dans un même verset.
Pour toutes les mitsvot de la Torah,
une transgression implique
deux corollaires : en enfreignant
un commandement, l’homme
viole tout d’abord la Volonté de
son Créateur et ce, quelles que
soient les répercussions concrètes
de son acte. Et en un second
temps, il existe également des
conséquences qui s’y rattachent
fatalement : l’homme doit savoir
qu’en enfreignant une mitsva,
son acte entraîne des répercussions
à d’innombrables échelles,
dans des proportions inouïes.
Ainsi, le meurtre autant que
toutes les mitsvot renferme ces
deux aspects : en premier lieu,
la Volonté divine est que nous ne
tuions pas, sans qu’importent la
signification ou les implications
de cet acte. Mais par ailleurs,
tuer signifie également « verser
le sang d’autrui », c’est-à-dire
lui ôter le droit à la vie. Et c’est
à ce niveau que s’explique le lien
entre les trois formes de meurtres
mises ici en évidence par le
Rambam : lorsqu’un homme loue
les services d’un tueur pour commettre
un meurtre ou lorsqu’il
ligote sa victime face à une bête
féroce, les critères minutieux de
la Halakha le dispensent de la
peine capitale, étant donné qu’il
ne commet pas le meurtre luimême,
de ses propres mains. Cependant,
il n’est pas moins vrai
que par son initiative, cet homme
a causé la perte d’une vie humaine
et à cet égard, il reste responsable
du meurtre à tout point de
vue.
Ainsi en est-il également du suicide
: lorsqu’un homme met un
terme à ses jours, il ne saurait
être qualifié de meurtrier à proprement
parler, dans la mesure
où l’ordre strict de la Torah ne
concerne que le meurtre « de son
prochain ». Néanmoins, cet acte
reste au demeurant une réelle
« rupture de vie » qui revient en
fin de compte au même résultat
que le meurtre typique.

YONATHAN BENDENNOUNE


Avec l’accord exceptionnel d’Hamodia-Edition Française

Il est interdit de reproduire les textes publiés dans Chiourim.com sans l’accord préalable par écrit.
Si vous souhaitez vous abonner au journal Hamodia Edition Francaise ou publier vos annonces publicitaires, écrivez nous au :
fr@hamodia.co.il