Biographie de nos maîtres

Rav Méir Leibouch – Le Malbim (7 mars 1809 [19 adar 5579] – 18 septembre 1879 [1er tichri 5640])

 

Le Malbim, surnom formé par les initiales de Méir Leibouch ben Ye‘hiel Mikhael, également appelé Weisser (« blanc », traduction approximative en allemand du mot malbim), est né le 7 mars 1809 (19 adar 5579) à Volochisk, province de Volhynie (Ukraine). Son père, rav Ye‘hiel Mikhael, était un éminent érudit en Tora et un membre respecté de sa communauté, et sa mère, Simtzia, était très attentive à l’éducation de son fils.

Le père de Méir Leibouch mourut alors que son fils n’était âgé que de six ans. Quelque temps après, sa mère se remaria avec rav Yehouda Leib, av beith din de Loztisk, en Pologne russe, et tsaddiq réputé.

Se rendant compte des vastes capacités de son beau-fils en Tora, rav Yehouda Leib lui consacra une grande partie de son temps. Puis, ses activités au beith din ne lui en laissant plus la possibilité, il chargea de son éducation un éminent savant, rav Moché ha-léwi Horowitz.

Rav Moché, qui considérait que l’écriture était d’une importance décisive pour progresser en Tora, encouragea le jeune homme, alors âgé de treize ans, à consigner par écrit ce qu’il apprenait, ainsi que ses propres ‘hiddouchim. C’est ainsi que très tôt, le jeune Méir Leibouch écrivit également près de quatre-vingts poèmes.

A l’âge de quinze ans, il commença de rédiger Artsoth ha-‘hayim, un commentaire du Choul‘han ‘aroukh, Ora‘h ‘hayim.

L’année suivante, il épousa une jeune fille de Lutzisk, mais son mariage fut un échec.

Sur quoi, il entreprit une série de voyages, qui lui permirent de rencontrer rav ‘Aqiva Eiger et le ‘Hatham sofèr. Ceux-ci lui délivrèrent de précieuses haskamoth pour ses ouvrages.

Ses combats contre les réformateurs

Mais c’est au combat contre les réformateurs (maskilim) que le Malbim consacra, toute sa vie durant, l’essentiel de ses efforts.

Pendant tout le dix-neuvième siècle, le judaïsme européen a été traversé par de nouveaux courants. De nombreux Juifs ont cherché à introduire dans la pratique religieuse et dans la halakha des changements destinés essentiellement à mettre le judaïsme en harmonie avec les divers autres cultes qui l’environnaient. Dans cette Europe post-napoléonienne en pleine mutation, la bataille fit rage entre les tenants de cette nouvelle idéologie et ceux qui, restés fidèles à la Tora, tentaient de résister à cet acharnement réformateur. L’animosité entre ces courants était si virulente qu’on en vint, dans certains cas, jusqu’à en appeler de part et d’autre aux autorités constituées.

La première confrontation du Malbim avec les maskilim se produisit à Breslau (Allemagne), où il était venu pour assister le rav Chelomo Zalman Titkin, aux prises avec les réformateurs. Ceux-ci cherchaient pas tous les moyens, y compris en faisant intervenir le gouvernement, à le faire démettre de ses fonctions et à le faire remplacer par le principal artisan de la réforme du judaïsme en Allemagne, Abraham Geiger.

Celui-ci, né à Francfort en 1810, théologien et rabbin de Wiesbaden (1832-1838), fut nommé à Breslau en 1838. Sa nomination déclencha un conflit acharné entre les tenants du judaïsme orthodoxe et les réformateurs. Ceux-ci essayèrent de convaincre le gouvernement de reconnaître officiellement Abraham Geiger comme rabbin de Breslau, mais le roi Frédéric-Guillaume IV de Prusse, eu égard aux mérites personnels de rav Titkin, le confirma dans ses fonctions, et même, plus tard, lui conféra le titre de Königlicher Landesrabbiner (« Rabbin royal régional »).

L’un des artisans de cette consécration de rav Titkin ne fut autre que le Malbim. Les dons oratoires qu’il déploya dans les synagogues de Breslau exercèrent une profonde influence sur la population juive de la ville et la convainquirent de rester fidèle à son chef spirituel.

C’est pendant son séjour à Breslau que le Malbim publia son ouvrage Artsoth ha-‘hayim, et qu’il épousa la fille de rav Chelomo Lifschitz, rabbin de Varsovie et auteur renommé de ‘Hemdath Chelomo.

Il exerça ensuite les fonctions de rabbin à Wreschen (Posnanie), où il passa sept ans, de 1838 à 1845. Puis il fut nommé à Kempen (Prusse), dont il fut le rav jusqu’en 1859. Son séjour dans cette ville lui valut le titre de Kempener, sous lequel il est parfois appelé.

C’est à Wreschen qu’il publia son deuxième ouvrage, Artsoth ha-chalom, qui contient neuf dissertations sur diverses parties de la Tora et des livres des prophètes. Ces dissertations s’efforcent essentiellement de démontrer en quoi les idéologies réformatrices sont vides et erronées, comparées à la vérité et à la lumière de la Tora.

Peu de temps après la publication de Artsoth ha-‘hayim, alors qu’il se trouvait en vacances à Marienbad, le Malbim s’aperçut qu’il était suivi par un inconnu. Il craignit tout d’abord que celui-ci fût un agent des maskilim, qui cherchaient à le faire expulser d’Allemagne. Mais il s’avéra qu’il s’agissait d’un écrivain réputé.

Un matin, tandis que le Malbim se reposait dans sa chambre, l’homme frappa à sa porte et se présenta en pleurant : « J’ai lu et relu votre livre Artsoth ha-‘hayim, et il a changé ma vie. Il m’a convaincu que j’avais entièrement tort de croire en la Réforme. Je suis d’autant plus consterné que j’avais écrit plusieurs livres pour défendre mes idées d’alors. Je vous supplie de me pardonner ! »

Par la suite, cet écrivain devint l’un des avocats les plus acharnés de la cause défendue par Artsoth ha-‘hayim, et il s’en fit le propagateur, convaincant de leur erreur nombre de ses lecteurs qui s’étaient abandonnés aux idées réformatrices.

A Kempen également le Malbim eut à subir les attaques des maskilim qui cherchaient à le faire chasser du territoire allemand. Mais leurs efforts restèrent vains, les autorités étant sensibles aux mérites de ce maître éminent.

C’est à Kempen qu’il commença de rédiger son commentaire sur le Tanakh. Il s’agissait pour lui de combattre l’influence qu’exerçait le Biour de Moïse Mendelssohn. Celui-ci constituait, pour le monde de l’orthodoxie juive, une explication falsifiée de la Tora. Il acheva son commentaire sur Isaïe en 1848, et la totalité de son ouvrage en 1876.

Après avoir décliné l’offre de devenir rav à Satoraljaujhely (Hongrie), il accepta celle que lui avait faite la communauté de Bucarest (Roumanie), où il prit ses fonctions en 1859, à l’âge de cinquante ans.

Cette communauté était alors en pleine décadence, et elle était dirigée par des gens qui ne se pliaient plus à aucune norme religieuse. Rav Méir Leibouch s’attacha avec opiniâtreté à obturer ces brèches et à ramener à la Tora et à la crainte de Hachem la vie juive de la ville.

Ses adversaires cependant, loin de désarmer, ne cessèrent de lui rendre la vie impossible, et ils finirent par le faire chasser de Bucarest. Il est peu de rabbins, dans toute notre histoire, qui aient autant souffert d’attaques venues de membres de leur propre communauté.

L’un des combats que mena le Malbim à Bucarest porta sur le rétablissement du respect du Chabbath. De nombreux citoyens de la ville avaient commencé de le profaner. Craignant que d’autres suivissent leur exemple, il décida de prendre des mesures rigoureuses, et notamment la suivante :

A cette époque, tous les Juifs sans exception observaient la cacherouth. Le Malbim considéra qu’il n’avait d’autre possibilité que d’interdire aux cho‘hatim (« sacrificateurs rituels ») de la ville de procurer de la viande à ceux qui violaient les règles du Chabbath, en espérant que cela les inciterait au changement.

Les consommateurs visés par cette mesure crièrent au scandale, mais cela ne leur servit à rien. Ils soudoyèrent alors l’un des cho‘hatim. Apprenant cela, rav Méir Leibouch décida, avec le soutien de rav Eliézèr ha-léwi Horowitz, rav de Vienne et disciple du ‘Hatham sofèr, de renvoyer le cho‘het récalcitrant.

Le Malbim s’attacha également à faciliter l’observance du Chabbath par les habitants de Bucarest. Il déploya de vastes efforts pour établir un ‘èrouv (« barrière symbolique permettant de porter le Chabbath à travers une ville ») et pour en obtenir la permission des autorités municipales.

Mais le ressentiment des Juifs réformés ne se calma pas. Dans leur haine de rav Méir Leibouch, ils persuadèrent les autorités roumaines qu’il était un agent allemand chargé de préparer un coup d’Etat contre le roi.

C’est ainsi que, la veille du Chabbath zakhor, le vendredi 18 mars 1864, la police fit irruption au domicile du rav et l’incarcéra. Apprenant son arrestation, l’Admor de Sadigura obtint de Sir Moses Montefiore qu’il intervînt auprès des autorités. Celui-ci, qui jouissait d’une grande influence auprès du gouvernement roumain, réussit à le faire libérer et à le faire réinstaller dans ses fonctions.

Les réformateurs ne désarmèrent pourtant pas, et ils parvinrent peu de temps après à obtenir son expulsion de Roumanie.

Après un crochet par Constantinople, où il s’efforça en vain d’obtenir le soutien du gouvernement turc, alors suzerain de la Roumanie, il se rendit à Paris, espérant y trouver celui d’Adolphe Crémieux et de l’Alliance Israélite Universelle. Il y résida pendant six mois et il y écrivit une série d’articles, publiés dans le journal HaLevanon, le premier journal ‘hareidi de l’histoire, fondé à Jérusalem en 1863. Il y exprimait avec force son opposition aux réformateurs.

Puis il passa quelque temps à Francfort, où il seconda rav S. R. Hirsch dans ses efforts pour y créer une communauté de stricte observance.

A la mort de son beau-père, rav Yehouda Leib, en 1866, il retourna avec sa famille à Loztisk. Comme celui-ci lui avait laissé une certaine fortune et une belle maison, il put enfin réaliser son rêve de « résider dans les tentes de Hachem ».

C’est là qu’il acheva ses commentaires sur Josué, Ezéchiel, Jérémie, les Psaumes et Daniel. Puis il occupa successivement, peu de temps après, des fonctions rabbiniques à Kherson (Ukraine) et à Mohilev (Russie blanche), où il fut en butte aux vexations tant des assimilationnistes que des milieux hassidiques. Son dernier poste rabbinique fut, pendant environ quatre ans, celui de Koenigsberg (Prusse).

En route pour Kobrin (Russie blanche), où il venait d’être nommé, il tomba malade et mourut à Kiev (Ukraine).

De nombreux Grands de la Tora vinrent honorer sa mémoire, parmi lesquels rav Na‘houm de Harodna, rav Avraham Ya‘aqov de Sadigura, rav ‘Hayim ha-léwi de Brisk, ainsi que le ‘Hafets ‘hayim.

Les œuvres du Malbim

Outre ses ouvrages déjà mentionnés (Artsoth ha-‘hayim et Artsoth ha-chalom) et ses poèmes, le Malbim a rédigé un ouvrage halakhique sur le hètèr ‘agounoth (« règles fixant les possibilités pour une femme de faire déclarer la mort de son mari »).

Il convient de citer également son commentaire du livre d’Esther (1845) et ses chirei ha-néfech (« Commentaires du Cantique des Cantiques », édités à Bucarest).

Mais l’essentiel de son œuvre est constitué par ses commentaires sur le Tanakh, intitulés Ha-Tora we-ha-mitswa (ou plus communément : « le Malbim »), où il analyse de façon rigoureuse les vérités contenues dans le texte biblique.

Ces commentaires s’articulent autour de trois principes :

I – Chaque verset et chaque mot des prophètes véhiculent une idée sublime, et ils sont tous

divrei Eloqim ‘hayim (« paroles d’origine divine »).

II – Aucun verset, aucun mot, ni même aucune lettre des prophètes ne sont inutiles ou superflus. Tous ont été émis be-roua‘h ha-qodech (« avec l’esprit saint »).

III – Les prophètes ne répètent jamais une idée ou une expression sans que cette répétition soit pleinement justifiée.

Ces trois principes sont les piliers de notre foi dans ce qu’ont écrit les prophètes.

Le Malbim explique clairement chaque verset en s’inspirant de ces principes et en s’attachant à prouver leur véracité, que certains de ses contemporains contestaient.

Son ouvrage, qui fournit à la fois des explications simples et des visions d’une grande profondeur, est devenu l’un de nos plus importants commentaires. Il intègre dans sa partie consacrée au Pentateuque et dans chacune de ses observations la Mekhilta, le Sifra et le Sifri, et il parvient à en éclairer les aspects les plus difficiles. Ce qu’il cherche essentiellement à démontrer, c’est que la Tora ché-be‘al pé (« Tora orale ») forme une partie intégrante, et non un ajout postérieur, de la Tora ché-biketav (« Tora écrite »), et que chaque halakha se déduit des versets de la Tora.

Dans son introduction au livre de Wayiqra, le Malbim détermine six cent treize règles herméneutiques employées par la Tora et qui devraient permettre de reconstituer la Tora ché-be‘al pé si, par malheur, elle était perdue. Cependant, beaucoup de ces règles ont été oubliées, comme celle sur la guezèra chawa (« raisonnement par analogie »), et il est devenu impossible de les reconstituer.

D’autres ont été conservées au fil des générations, comme la suivante (Règle N° 340) :

« Il existe une différence entre "parler ito" et "parler imo". "Parler ito" signifie que celui qui a commencé une conversation la poursuit (comme dans Berèchith 17, 3), tandis que "parler imo" (comme dans Berèchith 31, 24) veut dire que quelqu’un a commencé une conversation et qu’un autre l’a poursuivie et a pris l’initiative. »

Jacques KOHN.