Des milliers de questions de Hala’ha ont été posées durant la Shoah aux rabbanim d’Europe. Leur teneur fait frémir !

En voici deux exemples : « Ai-je le droit de me sacrifier pour sauver la vie d’un Juif que je considère comme plus méritant ? Est-il permis de soudoyer un gardien nazi pour sauver mon fils en sachant que c’est un autre enfant qui prendra sa place dans les chambres à gaz ? Hamodia s’est plongé dans les archives de l’Histoire pour en retirer quelques-unes de ces « chéélot outchouvot » (Choutim),

témoins d’une période sombre, mais également de l’éternité de la flamme juive…

 Lorsqu’on se penche sur les questions auxquelles les autorités rabbiniques de l’époque de la Shoah ont dû répondre en plein coeur de la tourmente, plusieurs sentiments s’entremêlent : le premier, c’est la douleur devant la teneur des questions qui sont un véritable miroir de ce que les Juifs ont vécu. Le second sentiment, c’est la colère en découvrant les horribles dilemmes auxquels ces rabbins et leurs fidèles ont dû être placés. Ensuite vient l’étonnement. L’étonnement de constater que dans une Europe en pleine guerre, et dans un environnement dénué de morale et de valeurs, les Juifs, même durement persécutés, continuent à solliciter leurs rabbanim dans un souci extrême de respecter la Parole divine.

Enfin vient l’admiration, car cette volonté de se reposer sur les autorités rabbiniques coûte que coûte revêt, pour bon nombre de Juifs, une signification bien particulière : il s’agit pour eux d’une forme de résistance, une volonté de crier au monde et de se prouver à soi-même que le véritable Maître n’est pas le bourreau nazi, mais Hachem, et que la véritable autorité n’est pas celle des SS ni celle du Judenrat, mais celle des rabbanim et à travers eux de la Torah.
Car la résistance juive face au nazisme ne fut pas seulement physique, comme on a pu le croire durant des années. Elle fut également spirituelle.

Et s’accrocher aux rabbanim comme à une ancre, capable de maintenir le bateau du judaïsme européen en place malgré la tempête, était une des formes de cette résistance spirituelle.

Toutefois, ce n’est pas cette seule raison qui motive les Juifs à se tourner vers leurs rabbanim pour des questions de Hala’ha alors que leur vie ne tient qu’à un fil. Pour une grande partie de ceux qui ont posé ces questions, il s’agit tout simplement d’une tradition centenaire, voire millénaire, qu’ils n’envisagent en aucun cas d’abandonner. Ces personnes ont passé leur vie sous l’autorité des rabbanim et s’en passer en particulier en période de souffrance est, pour eux, totalement inconcevable. Il y a donc une forme d’héroïsme dans ce désir de se soumettre à la Hala’ha alors que l’on ne sait même pas si l’on sera vivant dans l’heure qui suit. Un héroïsme silencieux, mais ô combien impressionnant.

“Vous vivrez par elles” Le principe de base, duquel découlent, en général, les responsa accordés par les rabbanim est celui de “Vé’haï bahem”, “tu vivras par elles” : les mitsvot sont là pour nous faire vivre, pas pour nous faire mourir et lorsqu’il y a risque de perdre la vie pour respecter une mitsva, alors le principe de “Pikoua’h Nefech” (sauvegarde de l’être) l’emporte.

Le second principe qui est lié au premier et qui a guidé ces rabbanim durant la Shoah a été de savoir si la Solution finale devait être considérée comme une “Chaat Hachmad”, une persécution à motivation exclusivement religieuse comme cela fut par exemple le cas durant l’Inquisition. Sur ce point précis, les rabbanim ont d’emblée décidé que Hitler ayant condamné à mort tout Juif ou descendant de Juif, sans aucun lien avec le respect ou le non-respect des mitsvot, il ne s’agissait donc pas d’une “Cha’at Hachmad”.

C’est la raison pour laquelle le rav Its’hak Nissenbaum, zatsal, affirme, en plein coeur de la tourmente : “C’est le moment de sanctifier le nom divin par la vie (Kédoucha Ha’haïm) et pas par notre mort”. Rester vivants malgré les spoliations, la douleur, la violence, la tristesse et le deuil, c’est là le véritable Kiddouch Hachem, c’est par la survie du peuple juif et de chacun de ses membres que le nom d’Hachem est sanctifié.

C’est donc pourquoi, dans la majeure partie des réponses, les rabbanim indiquent à leurs élèves qu’ils ont le droit de transgresser telle ou telle mitsva pour sauver leurs vies, par exemple consommer du ‘Hamets à Pessa’h ou de la viande non cachère, travailler le Chabbat dans le cadre des travaux forcés etc. C’est dans un contexte surréaliste que les rabbanim ont écrit leurs réponses aux questions qui leur étaient soumises. Pour une partie d’entre eux, il a fallu plonger dans leur mémoire pour y trancher la Hala’ha, leurs livres ne se trouvant pas auprès d’eux. D’autres ont été contraints de revêtir l’habit du Possek, le décisionnaire de la Hala’ha, alors qu’ils étaient encore très jeunes, et ce, parce que les “‘anciens” avaient déjà été déportés et exterminés dans les camps de la mort, comme ce fut le cas par exemple du rav Ephraïm Ochri du ghetto de Kovna (Lituanie) (voir encadré). Les réponses étaient souvent écrites sur des bouts de papier, recueillis ensuite précieusement.

Lorsque les réponses importent peu Et puis surtout, ce sont les questions elles-mêmes qui s’inscrivent dans un contexte complètement irréel. Des questions auxquelles les rabbanim n’ont jamais été confrontés. Des questions de vie ou de mort, dans le sens strict du terme. Des questions souvent plus importantes que les réponses elles-mêmes. Des questions qui, grâce à D.ieu, ne seront plus jamais posées.

Comme celle-ci, posée en mai 1942 justement au rav Ochri : il s’agit du cas d’une femme, tuée par balle par un soldat nazi devant un hôpital de Kovna. Des passants juifs transportent le corps à l’intérieur de l’hôpital. La victime est examinée par un médecin qui affirme que s’il l’opère tout de suite, il existe une chance de sauver le bébé. Mais n’y a-t-il pas là un risque de profaner le mort, un acte qui va à l’encontre de la Hala’ha, alors que rien ne prouve que le bébé est vivant ? La question est posée au rav Ochri, qui décrète que lorsqu’il s’agit de sauver une vie, on ne prend pas en compte le respect dû aux morts. Selon lui, si la mère avait été capable de parler, elle aurait accepté sans hésiter que son corps soit “profané” pour que son enfant puisse naître… Le rav Ochri ordonne donc d’opérer. Le bébé est vivant, mais, malheureusement, les nazis découvrent la chose et, entrant dans une fureur terrible, ils l’assassinent sauvagement quelques minutes après sa naissance.

En 1941, un des notables juifs demande au rav Ochri s’il a le droit de mettre fin à ses jours. Les nazis ont capturé sa femme et ses enfants, il sait qu’ils vont être assassinés d’une heure à l’autre et il craint qu’ils ne le forcent à assister à leur mise à mort. Quelques mois plus tard, un autre Juif de Kovna arrive chez le rav en pleurs : ses enfants meurent de faim et il ne parvient pas à leur trouver de quoi manger. Or, dans la maison de leurs voisins, assassinés quelques jours plus tôt, se trouve un objet qui, s’il était vendu, pourrait subvenir aux besoins de la famille pendant quelques jours. La question posée est de savoir si, oui ou non, la Hala’ha permet de prendre cet objet.

Là encore, les réponses semblent presque superflues; dans le premier cas, le rav Ochri a interdit le suicide et dans le deuxième, il a permis de prendre l’objet. Ce qui est à la fois incroyable et admirable, c’est que des hommes et des femmes, se trouvant dans des situations si douloureuses, victimes d’une cruauté si violente et brutale, accordent core en ces instants d’horreurs un tel respect à la Hala’ha. Poser ou non la Mézouza Mais il existe des cas où les réponses revêtent une importance particulière et donnent une indication sur l’ambiance régnant durant cette période. C’est le cas par exemple de cette question, posée au début de l’année 1942, quasiment au même moment, à Kovna, en Lituanie, et à Varsovie, en Pologne : doit-on, oui ou non, poser une Mézouza sur les portes des maisons du ghetto ? A priori, pourquoi pas ? Il n’y a rien de plus simple que de poser une Mézouza, elle tient dans une poche, et celui qui accomplit cette Mitsva ne risque rien. Et pourtant, à cette question, le rav Ochri de Kovna répond par la négative tandis que les rabbanim de Varsovie y sont favorables ! Pour quelle raison ?

Pour le comprendre, il faut rappeler que l’on ne pose une mézouza qu’à l’entrée d’un lieu de résidence fixe et non pas temporaire. C’est la raison pour laquelle on ne pose pas de mézouza à l’entrée d’une chambre d’hôtel. Lorsqu’on soumet cette question au rav Ochri, celuici connaît un élément historique que les rabbanim de Varsovie ne possèdent pas : vivant en Lituanie, où l’extermination massive a déjà commencé dans le cadre de la “‘Shoah par balle”, il sait que la ghettoïsation n’est rien par rapport à ce qui attend les Juifs dans les camps. Il sait que le ghetto n’est qu’un lieu de résidence temporaire. Il décrète donc de ne pas poser de mézouza.

Mais à Varsovie, où il faudra attendre l’été 1942 pour entendre parler de l’extermination, les rabbanim sont encore persuadés, à ce moment-là, que le ghetto constitue le “fond du trou”, le pire, le summum de l’horreur et que la vie dans le ghetto doit donc être considérée comme un état de fait permanent. D’où leur réponse en faveur de la pose de mézouzot aux portes des maisons.

Lorsque le rav ne veut pas donner de réponse Dans certains cas, il est arrivé que les rabbanim refusent de fournir une réponse à une question effroyable. Comme le rav Tsvi Hirsh Meizlish qui, dans son livre Chout Mékadché Hachem, rapporte comment il a choisi de se taire lorsqu’un père est venu lui demander s’il avait le droit de soudoyer un kapo pour sauver son fils, promis à une mort certaine, tout en sachant que, sans le moindre doute, un autre enfant serait assassiné à sa place s’il venait à être libéré. “Comment veux-tu que je réponde à cette question qui, au temps du Beth Hamikdach, aurait été débattue par le Sanhédrin, alors que je me trouve à Auschwitz, au fin fond de l’horreur ? Je t’en supplie, délivre-moi de cette question, car je suis incapable de te fournir une réponse !” Mais le père insiste et le rav se mue dans le silence. Il refuse de condamner à mort un enfant. C’est alors que le père se tient devant lui et affirme : “Rabbi, j’ai fait ce que je devais faire et j’ai agi comme la Torah me le demande. J’ai posé la question à un rav et il n’y a pas, dans le camp, d’autre rav que vous. Vous ne pouvez pas décréter qu’il m’est permis de racheter la vie de mon fils et c’est donc le signe que vous estimez que je ne dois pas le faire, car si cela était permis selon la Hala’ha, vous me l’auriez indiqué. Pour moi, cela signifie donc que je n’ai pas le droit de sauver mon fils. Cela me suffit et mon fils périra donc par le feu. J’accepte le décret avec amour et joie et je n’ai pas l’intention de faire quoi que ce soit pour le libérer, car c’est ce que m’a ordonné notre Torah…”

Et le rav Meizlich de poursuivre, soulignant que cette histoire se déroule le premier jour de Roch Hachana, alors que le peuple juif se souvient de la Akédat (ligotage) Its’hak : “Durant toute cette sainte journée de Roch Hachana, cet homme marchait dans le camp et se parlait à lui-même, disant la joie qu’il ressentait d’avoir le mérite de sacrifier son fils pour sanctifier le nom de D.ieu. Quant à moi, je suis persuadé au plus profond de mon coeur que cet homme a fait trembler les Cieux et qu’Hachem a réuni toute l’armée du ciel et ses anges pour leur montrer avec fierté ce que sont capables de faire ses fils, le peuple d’Israël”.

Source Hamodia :  édition Française