Pleurer à Roch Hachana est l’objet d’une grande discussion entre les décisionnaires (cf. Maassé Rav et Béer Hétev Ora’h ‘Haïm 584/3). Mais il ne fait aucun doute que pendant les jours précédant et suivant Roch Hachana, les pleurs sont toujours opportuns…

Le Talmud enseigne : « Rabbi Elazar dit : Depuis le jour où le Temple de Jérusalem fut détruit, les portes des prières ont été fermées, comme il est écrit : “Dussé-je crier et appeler au secours, Il ferme tout accès à ma prière“ (Ekha 3, 8). Mais bien que les portes des prières soient fermées, les portes de larmes restent ouvertes, comme il est écrit : “Ecoute ma prière, Eternel, prête l’oreille à mes cris, ne reste pas silencieux devant mes larmes“ » (Bérakhot 32/b).
Rav Yéhouda ‘Hassid écrit à ce sujet dans son Séfer ‘Hassidim : « Il peut arriver que certains hommes ne méritent pas que leurs prières soient acceptées. Mais par la force de leurs supplications et des larmes qu’ils verseront – en les multipliant sans cesse –, le Saint béni soit-Il pourra exaucer leurs prières et réaliser leurs vœux, bien qu’ils n’aient aucun mérite ni bonne action à leur crédit ! » (chap. 130).
Le Chlité Giborim écrit quant à lui : « Toute personne qui pleure pendant ses prières, les étoiles et les astres pleurent avec elle et sa prière est ainsi agréée. » Rabbénou Bé’hayé renchérit sur cela dans son Kad Hakéma’h : « Lorsqu’il se confesse, l’homme devra verser des larmes, car les pleurs sont intrinsèques au repentir. En pleurant de la sorte, alors que son cœur se remplit de remords au point de mépriser la matérialité de notre monde, et pendant qu’il se lamente sur sa condition de “cendres et poussières“, le Saint béni soit-Il recueille ces larmes et les dépose dans Sa salle au trésor. »
Les larmes de la rédemption
Il est rapporté dans le Midrach Ekha (Pti’hta 24) qu’au moment de la destruction du Temple, Avraham vint implorer la Miséricorde divine en faveur de sa descendance, mais ses prières ne furent pas acceptées. A sa suite, Its’hak, Yaacov et Moché supplièrent D.ieu de prendre Ses enfants en pitié, mais tous leurs arguments furent repoussés. Finalement, Ra’hel se mit à pleurer et D.ieu lui répondit favorablement, comme le dit la prophétie : « Que ta voix cesse de gémir et tes yeux de pleurer, car il y aura une compensation à tes efforts, dit l'Eternel, ils reviendront du pays de l'ennemi » (Jérémie 31, 15).
De prime abord, pourquoi les pleurs de Ra’hel furent-ils plus efficaces que les prières des patriarches ? Rav ‘Haïm Meizlish expliqua l’idée suivante : les supplications des pères de la nation juive reposaient essentiellement sur les arguments qu’ils invoquèrent. Par conséquent, D.ieu put repousser leurs demandes en réfutant chacun de leurs arguments. Mais Ra’hel, quant à elle, ne s’appuya sur aucun « raisonnement ». Elle se contenta de verser des larmes inconsolables. Face à ses sanglots, D.ieu n’avait rien à rétorquer : que peut-on répondre à une telle effusion de pleurs ? L’unique moyen de les faire taire était de répondre favorablement à cette prière. C’est pourquoi le Saint béni soit-Il calma aussitôt Ra’hel en lui déclarant : « Que tes yeux cessent de pleurer (…) car tes enfants retourneront dans leur terre »… Telle est bien la force des larmes !
Les pleurs des mécréants
Il est écrit dans les Téhilim : « En traversant la vallée des larmes, ils en font un pays de sources… » (84, 7). Nos Sages interprètent ce verset comme faisant référence aux mécréants, qui réduisent le feu du guéhinam avec leurs larmes (Chemot Rabba 7,4).
D’après le Sfat Emet (sur Chékalim 5651), ce Midrach renferme un puissant message : il apparaît que même les mécréants, qui endurent le châtiment de leurs péchés dans le guéhinam, peuvent adoucir leur peine avec des larmes. Et par conséquent, à plus forte raison les hommes peuvent, ici-bas, améliorer leur sort sur terre par l’effet de leurs pleurs ! Par les larmes qu’ils versent, ils peuvent s’épargner bien des maux, et réduire le feu de leur mauvais penchant qui les incite à fauter. Les larmes représentent ainsi une voie toute tracée pour s’extraire du mal et se rapprocher du Créateur.
Les larmes de l’orphelin
Le Zohar (sur Balak) rapporte le récit suivant : pendant que Rabbi Chimon bar Yo’haï et son fils, Rabbi Elazar, allaient en chemin, ce dernier entendit soudain le cri d’un corbeau. Les deux Sages comprirent aussitôt que Rabbi Yossi de Péki’in était décédé, et que personne ne s’occupait de sa dépouille. Ils décidèrent donc d’aller lui rendre ses derniers honneurs.
En arrivant à la maison de Rabbi Yossi, ils trouvèrent son jeune fils, qui refusait de laisser quiconque approcher la dépouille. Il restait assis près de son père, et pleurait à chaudes larmes en maintenant son visage contre le sien. Soudain, il s’exclama : « Maître du monde ! Il est dit dans Ta Torah : “Tu laisseras envoler la mère, et tu t’empareras des petits“ (Dévarim 22, 7). De grâce, respecte Tes propres paroles ! Notre père a deux enfants – moi-même et ma petite sœur. Prends-nous donc, et laisse notre père partir ! Et si Tu me rétorques que le verset parle de “la mère“ et non du père, je Te répondrai que c’est bien notre cas : notre mère est déjà morte en laissant ses enfants, et à présent c’est notre père qui nous quitte ! »
En entendant la voix de cet enfant, Rabbi Elazar et ses compagnons se mirent à pleurer. Rabbi Elazar annonça : « Tout comme les cieux en hauteur, la terre en profondeur, le cœur des rois est insondable ! » (Proverbes 25, 3). Aussitôt, une colonne de feu jaillit et les sépara de l’enfant. Rabbi Elazar dit alors : « Soit le Saint béni soit-il S’apprête à faire un miracle, soit Il refuse que quiconque ne s’interpose et ne vienne en aide à cet enfant. Mais pour ma part, je ne peux supporter davantage ses pleurs et sa souffrance. » L’enfant, quant à lui, ne quitta pas la joue de son père.
Pendant que les Sages étaient encore assis à l’entrée de la maison, une Voix sortie du Ciel annonça : « Rabbi Yossi a été acquitté, par le mérite des paroles et des larmes de son fils, qui sont montées jusqu’au Trône céleste ! Le jugement a alors été prononcé, et D.ieu a offert à l’Ange de la mort la vie de treize autres personnes en échange de celle de Rabbi Yossi. Vingt-deux années de vie supplémentaires lui ont été attribuées, pour qu’il puisse instruire cet enfant que D.ieu chérit tout particulièrement. »
A cette annonce, Rabbi Elazar et les Sages se levèrent, et ne laissèrent personne rester dans la maison. La colonne de feu entra dans la maison et Rabbi Yossi ouvrit alors les yeux. Rabbi Elazar déclara : « Heureux sommes-nous ! Car nous avons été les témoins de la résurrection d’un mort ! »
Rabbi Yossi se leva et dit : « Je n’ai pas le droit de révéler ce que j’ai vu dans le Monde de vérité avant que treize années s’écoulent. Mais sachez cependant que les trois cent soixante cinq larmes que mon fils a versées ont toutes été recensées devant le Saint béni soit-Il. Et lorsqu’il ouvrit la bouche et commença à pleurer, trois cents bancs de la Yéchiva des Cieux – qui se tiennent tous devant le Saint béni soit-Il – se sont mis à trembler, et tous implorèrent la miséricorde à mon endroit. D.ieu Se remplit alors de miséricorde et m’offrit vingt-deux années de vie supplémentaires. » Voilà donc comment des larmes peuvent même ressusciter des morts ! 
Par Chlomo Messica,en partenariat avec Hamodia.fr