Une phénoménologie de l’action

Cette semaine, nous lisons une Michna célèbre puisque c’est avec elle en
effet que s’ouvre le Choul’hane Arou’h. Dans son commentaire pourtant, le
Maharal de Prague ne se suffit pas de cette explication : il nous dévoile les
différentes étapes nécessaires à l’accomplissement d’une mitsva…

Insolent
comme la panthère…

La Michna enseigne : « Yéhuda ben
Téima dit : «Sois insolent comme la
panthère, léger comme l’aigle, prompt
comme le daim, et inflexible comme
le lion afin d’accomplir la volonté de
ton père dans les cieux» (…) », (Pirké
Avot, chapitre 5, Michna 20). Or, le
Maharal s’interroge : « Pour quelle
raison est-il fait mention de ces quatre
qualificatifs : «insolent comme la
panthère, vif comme l’aigle, prompt
comme le daim, et robuste comme le
lion» ? [Si le but du Tana est effectivement
de nous indiquer l’importance
de la diligence dans l’accomplissement
des commandements-Ndlr.],
ne pourrait-on pas se suffire de l’un
d’eux seulement ? Certes, le rav Yaacov,
l’auteur du Baal haTourim nous
a livré son commentaire de cette Michna
dans son introduction au livre
Ora’h ‘Haïm [Il s’agit du rav Yaacov
ben Acher qui rédigea les fameux
Arbaa Tourim, oeuvre qui consigne
l’ensemble de la législation juive et
qui servira de base à l’élaboration
du Choul’han Aroukh de rav Yossef
Caro-Ndlr]. Mais bien qu’il ne soit
pas en notre pouvoir d’y répondre,
qu’il nous soit toutefois permis de
nous attacher à son explication véritable.

En effet, comme cela est connu,
tout celui qui éprouve de la honte
subit l’influence de celui qui lui fait
honte, tant et si bien qu’à cause de
cette passivité, il est pour ainsi dire
paralysé. C’est donc en contrepartie
de cet état que le Tana enseigne qu’il
convient d’être «insolent comme
la panthère», c’est-à-dire de ne pas
vivre dans l’inertie pour pouvoir
faire preuve de cette liberté d’action
nécessaire au service du Saint Béni
soit-Il. Puisqu’à la différence des
autres qualités énumérées ici, l’insolence
ne constitue pas un acte, mais
bien cette disposition qui consiste à
ne pas ressentir cette honte empêchant
de s’engager dans l’action.


Vif comme l’aigle…

Cet engagement effectué, il se
concrétise alors dans l’action à travers
trois dimensions différentes.
La première : quand il s’agit de se
mettre en branle en vue d’une action,
même si son objet se tiendrait
encore éloigné. Puisque avant tout,
il est toujours nécessaire de s’engager,
c’est-à-dire de se mettre en
mouvement afin d’agir. Par exemple,
si l’on était assis, il faudrait se lever
– bien que le fait de se tenir debout
ne constitue toutefois pas l’action
elle-même, mais seulement ses préliminaires.

Ainsi, une seconde étape précède
encore l’accomplissement de toute
action. Car après s’être mis en branle
pour agir, il faut encore que nous
nous disposions à l’acte lui-même.
Alors seulement, il nous est donné
d’agir, c’est-à-dire d’effectuer la dernière
étape nécessaire à l’accomplissement
de toute mitsva, qui incarne
en soi une dimension à part entière.
Ainsi, parce que rabbi Yéhuda ben
Téima désirait nous avertir de quelle
manière tout homme se doit d’aborder
l’accomplissement des commandements
divins, il nous rappelle qu’il
convient d’être avant tout «insolent
comme la panthère». Car sans cette
insolence, personne n’en viendrait à
agir pour accomplir le service divin
comme nous l’avons expliqué. Et ce,
parce que celui qui éprouve de la
honte n’est jamais disposé à l’action.
C’est en ce sens qu’il nous est permis
d’être insolents !

Une fois cette remarque effectuée, le
Tana peut donc nous exhorter à faire
preuve de détermination alors que
nous sommes pourtant sur le point
d’exécuter quelque chose, nous demandant
de ne pas nous laisser aller
au moindre engourdissement (kavèd),
puisque au contraire nous devons être
suffisamment alertes pour pouvoir
accomplir l’acte que nous nous sommes
fixé. Voilà pourquoi il est dit :
« Sois vif comme l’aigle ». En effet, de
nature fugace et parce qu’il répugne
à cette pesanteur caractérisant l’impossibilité
de se lever pour agir, tout
commencement nécessite cette vivacité
que l’on retrouve chez l’aigle.

Mais par ailleurs, dans la mesure où
une seconde étape est nécessaire qui
suit directement la mise en branle
en vue de l’action, le Tana enseigne
qu’il convient d’être « prompt comme
le daim ». Puisque, même si nous
nous sommes déjà levés, c’est seulement
parce que nous engageons tout
notre être vers le but que nous nous
sommes fixé que nous sommes susceptibles
de faire un avec l’acte à accomplir.
C’est pourquoi il est dit que
nous devons faire preuve de plus de
vélocité encore.


Et inflexible comme le lion

Cependant, bien que l’explication
qui va suivre ne contredise en rien
celle que nous venons de donner, il
convient de faire un effort supplémentaire
et d’ouvrir un peu plus les
yeux. Car si l’enseignement de Yéhuda
ben Téima a pour but d’indiquer
la perfection que tout homme
devrait atteindre dans le service
divin, c’est bien parce que l’homme
ne fut créé que dans ce but, à savoir
servir son Créateur. Puisque, pétri
de matière, l’homme est en quelque
sorte un être placé sous le joug de
l’inertie ; et, de ce point de vue, il est
prêt à vouloir le rien.

Voilà pourquoi le Tana nous met
en garde : « Sois insolent comme la
panthère ! ». Car seul celui qui est
habité de cette effronterie est capable
de s’arracher de cette inertie
qui, caractérisant la matière, l’invite
à étouffer en lui son désir véritable
et l’empêche d’exprimer ses aspirations
profondes. N’est-ce pas en effet
l’insolence de la panthère qui la
pousse à affronter tous ceux qui lui
font face et à leur tenir tête sans ne
jamais s’effrayer de rien ?

Voilà pourquoi il est dit que nous
ne devrions jamais nous comporter
comme si nous dormions, las du service
du Saint Béni soit-Il, puisqu’au
contraire nous sommes enjoints à
faire preuve d’aplomb dans notre
soumission au Créateur ! Tant et si
bien que forts de cette effronterie,
nous serons à même de faire face à
toutes les situations !

Il nous arrive pourtant de voir que
certains hommes, bien qu’animés
d’une évidente détermination et désirant
sincèrement réaliser un acte
précis, ne trouvent pas en eux les
forces vives suffisantes pour accomplir
ce qu’ils désirent. C’est pourquoi,
conscient de cette nature pesante qui
nous définit et nous empêche parfois
d’être animés de cet éveil nécessaire
à l’action, le Tana ajoute : « Sois vif
comme l’aigle ». Car en aucun cas,
nous ne devrions nous laisser aller
au moindre engourdissement dans
notre accomplissement des mitsvot.
Au contraire, sans cesse en éveil,
nous devons être d’une vivacité à
toute épreuve !

Fort de cette ardeur, il ne nous reste
plus qu’à nous tenir prêts et disposés
à accomplir les mitsvot. Ainsi que
le rappelle le Tana quand il ajoute :
« prompt comme le daim ». Toutefois,
cette expression ne désignant seulement
que cette mise en mouvement
vers l’acte qui, à ce stade ne correspond
pas encore à l’accomplissement
effectif de la mitsva, il faut que nous
soyons encore : « inflexibles comme
le lion » afin d’accomplir la volonté
de notre Créateur… ».

Traduction française par
Yehuda Rück


Avec l’accord exceptionnel d’Hamodia-Edition Française

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