Depuis le 18 août dernier, les habitants de Jérusalem peuvent enfin circuler dans ce tramway qui, s’il n’est pas nommé désir, s’est tout de même fait attendre pendant près de dix ans. Témoignages et récits de passagers…
8h00 du matin, Guivat Tsarfatit : J’attends le tramway depuis quelques minutes. En dépit de l’heure de pointe, pas une rame à l’horizon…Cela me paraît un peu long. Je questionne mes compagnons d’infortune : « Il y a un tram toutes les 10 minutes en moyenne », me répond l’un d’eux. Le nôtre arrive 12 minutes plus tard.
Entrée solennelle et surprise: là encore malgré l’heure de pointe, les wagons ne sont pas bondés même s’il n’y a plus de place assise. Au fond, j'aperçois Its'hak, un francophone de Ko’hav Yaacov (Samarie). Il est monté à bord à Pisgat Zeev, l’une des deux extrémités de la ligne 1 et se rend en plein centre-ville près du Marché de Ma’hané Yéhouda : « Avec le tram cela va nous prendre 45 minutes. C’est long et il vaut mieux ne pas être pressé » !
Nous traversons le quartier arabe de Shouafat ce qui ne réjouit pas particulièrement Its'hak : « C'est sur, c'est un détour, cela fait perdre du temps, mais au moins, cela prouve que Shouafat fait partie d'Israël et qu'il restera bien sous souveraineté israélienne ».
La rame s'arrête près de la tombe de « Shimon Hatsaddik ». Quelques personnes montent, pour la plupart des ‘Harédim. Au bout de quelques minutes, une passagère m'interpelle : « Ce tramway attend trop longtemps à chaque arrêt : regardez, il n’y a plus personne sur le quai, mais il ne démarre pas ! »
Les passagers me font remarquer un autre problème : les feux rouges. Aussi stupéfiant que cela puisse paraître, le tram n’a pour l'instant pas la priorité à tous les croisements ! Nous attendons donc 7 minutes à un feu rouge, avant de nous engager sur l’artère principale, la rue Yaffo. Assis en face de moi, A'hmed et Moché sont au moins d'accord sur un point : la lenteur de ce transport en commun.
Ahmed : « C'est trop lent. Je suis en retard à mon travail. Ce tram est juste bon pour s'énerver ». Moché confirme tout en plaisantant : « Tu as juste le temps d’arriver au travail, de pointer, et de reprendre le tram dans l'autre sens pour espérer arriver avant la tombée de la nuit ». S’il est si lent et problématique, pourquoi donc l’utiliser : « Parce qu’il est gratuit pour l’instant, répondent les deux experts. Quand ce sera payant, le tram sera vide ! » prédisent-ils en cœur.
Bref, ce matin on sert, dans le tram, la soupe à la grimace… jusqu'à ce que ‘Hanni et Orly montent dans le wagon : « C'est très propre, tout neuf, et cela bouge moins que le bus », affirme ‘Hanni. « Il y a plus de place pour les gens qui entrent avec une valise ou une poussette… C'est superbe, rapide, très agréable ! »
Terminus au mont Herzl. Tout le monde descend. L’occasion de dialoguer avec le chauffeur, en particulier du problème des feux rouges qui rendent le trajet fastidieux : « Il y en a 60 sur l’ensemble du parcours. Pour l'instant, le tramway n'a la priorité que sur 20 d'entre eux. Mais bientôt, ce sera sur tous. Qui plus est, prochainement il y aura un train toutes les cinq minutes. Alors tout ira plus vite… On a attendu dix ans, on n'est plus à deux-trois mois près. Il faut donner sa chance au tramway », affirme-t-il.
10h20 : Il est temps de reprendre la rame dans l’autre sens en s’intéressant au problème sécuritaire : un agent demande justement à un jeune musicien d'ouvrir son étui à violon. Bref instant d’appréhension. Mais l'instrument est bien à sa place. Alors que l’agent s’éloigne, le violoniste demande : « Je ne vois pas l’intérêt de vérifier les sacs à l’intérieur de la rame. Si l’un d’eux est piégé, il aura largement le temps d’exploser. Il faudrait que les agents vérifient les personnes suspectes avant qu’elles ne montent à bord. Tout cela n’est pas sérieux » s’exclame-t-il.
Ilaï est assis près de nous. Mais il n’est pas d’humeur à plaisanter : « Il n'y a pas qu'au niveau de la sécurité que ça cloche. Ce tram est la pire chose qu'il soit arrivé à Jérusalem ! C'est un grand bus, rien de plus. Il leur suffisait d’ouvrir un couloir spécial pour les bus sur le même trajet. Ça n'aurait pas pris dix ans et n’aurait pas coûté des milliards ! » . De quoi rester perplexe…
Nouveau passage par la rue Yaffo avec un arrêt pour écouter les doléances des commerçants. David travaille dans une boutique de vêtements pour hommes. « En un mot : c'est une catastrophe ! Pour tous, pour les usagers comme pour les commerçants. Il n'y a que les hommes politiques qui sont satisfaits par ce tramway. Ils ont tué la rue Yaffo. Les clients sont partis depuis longtemps et ils ne reviendront pas. En dix ans, ils se sont habitués à acheter ailleurs. »
Seconde boutique, second David. Celui-ci vend de l'électroménager, mais sa colère est la même : « Imaginez qu'un client vienne acheter un four à micro-onde. Comment va-t-il rentrer chez lui : en tram avec son paquet sous le bras?! Il faut que la municipalité permette à des véhicules privés de circuler ou mettre un parking à la disposition des clients. Nir Barkat (le maire de Jérusalem. Ndlr) méritait qu’on l’attache sur les rails… ! »
Mais au sud de l'angle Yaffo-King Georges, les commerçants sont plus optimistes. « La rue piétonne est très belle, c'est propre, plus de fumée de pots d'échappement, plus de bruit, c'est vraiment très agréable », explique Sim’ha.
Des cafés ont même ouvert. Il n'y a que quelques clients, mais les propriétaires sont pleins d'espoir. D’ailleurs au passage aucun d’eux ne vient au travail en tramway ! À méditer…
18h: on s'oublie dans la nouvelle rue Yaffo, il est temps de rentrer. Et c’est à nouveau l’heure de pointe. Cette fois, la rame affiche complet et les passagers sont serrés les uns contre les autres. Ce qui permet de constater qu’il n’y a pas assez d’endroits pour se raccrocher. Je manque de tomber. Me voici de retour à Guivat Tsarfatit. Avec moi, descend Ruhman, 75 ans passés. Il vit à Abu Gosh. Je lui réserve le mot de la fin: « Ce tramway 'est superbe. Arabes, Juifs, religieux, laïcs, touristes, tous ensemble dans le même wagon ! Que ce tramway apporte l'amour entre les gens, l'amour entre les peuples, et qu’il nous apporte la paix. »
Les autorités répondent aux critiques des usagers
« Tout sera prêt d’ici un an ! »
Hamodia a soumis au porte-parole de la direction du tramway, Shmouel Elgrably, les critiques des usagers. Il tente de les apaiser.
La lenteur : « Il ne faut pas juger le tramway maintenant, affirme Shmouel Elgrably. Nous sommes encore dans une période d'essai. Après une phase au cours de laquelle nous avons testé le tramway à vide, nous le testons à présent avec ses passagers. Nous avons par exemple réalisé que les Israéliens n'ont pas compris qu'il faut donner la priorité à ceux qui descendent avant de monter à bord des wagons. C'est pour cela que l'arrêt à chaque station est si long. Qui plus est, seules 14 rames sur 23 sont utilisées. Quand tous les trains seront opérationnels, cela améliorera considérablement la rapidité du service. »
Les feux rouges : « Les ingénieurs travaillent actuellement sur le logiciel qui doit régler ce problème. Cela risque de prendre encore quelques semaines, mais quand le tramway sera prioritaire sur tout le trajet, il faudra 45 minutes à peine de Pisgat Zeev au mont Herzl. »
Se garer dans le centre : « La voiture est devenue l'ennemie du centre-ville. Mais si la rue Yaffo est devenue piétonnière, sa parallèle, la rue Hanéviim compte 1 200 places de parking. Ce n'est pas gratuit. Mais c'est justement pour permettre aux acheteurs de transporter leur marchandise 'lourde'.
Les inquiétudes des commerçants : « Le tramway va redonner vitalité au centre-ville. Ce n'est pas juste un projet de transport, c'est un projet urbain. La rue Yaffo va renaître, plus belle que jamais, nous avons planté 1 000 arbres sur toute sa longueur, cela va être grandiose, vous verrez, nous espérons attirer des enseignes plus sophistiquées… »
Pas assez de barres pour s’accrocher : « Nous allons ajouter des crochets. Mais encore une fois, actuellement, les wagons sont pleins parce que tous les trains ne sont pas sur les rames. Quand tout sera opérationnel, nous verrons. »
La sécurité : « C'est une unité spéciale, dirigée par la municipalité, qui gère la sécurité du tramway. Il y a un agent par station, plus quelques fois. Il y a des caméras de surveillance. La police de Jérusalem est consciente des risques. Même si on ne voit pas des dizaines de policiers à chaque arrêt, la sécurité est une de nos priorités. Vous pouvez voyager en toute sécurité. »
La gratuité, jusqu’à quand ? : « Tant que le service ne sera pas optimal, il sera gratuit. Il reste aussi quelques détails à ajuster avec Egged au niveau des cartes de paiements, encore un logiciel à ajuster. Mais le prix est déjà fixé : 6,40 shekels, le prix actuel du bus. Sauf que vous disposerez de 90 minutes de transport dans tous les sens. »
Quand tout sera-t-il vraiment prêt ? « Les habitants de Jérusalem ont été très patients, et nous les en remercions profondément. Cela fait 10 ans que nous construisons le tramway, nous leur demandons encore un an, et ils seront séduits, ravis ! Nous allons sublimer Jérusalem ». Par Eve Hakim,en parternariat avec Hamodia.fr