Quelques jours après l'horreur du 11 septembre 2001, et alors qu'on commençait à peine à mesurer l'ampleur du massacre, une question cruciale a été soulevée par les familles des victimes juives dont les corps n'avaient pas été retrouvés dans les ruines du World Trade Center.

Selon la hala'ha, les épouses de ces êtres chers disparus devenaient « agounot » (littéralement entravées). Plusieurs mois durant après les attentats, des rabbanim américains, guidés par le rav Ovadia Yossef et par le rav Zalman Né'hémia Goldberg chlita, ont œuvré pour « libérer » ces femmes et leur permettre de refaire leur vie.

On ne connait pas le nombre exact de Juifs tués durant les attentats du 11 septembre, mais il se situe entre 300 et 500. Parmi eux, huit hommes mariés dont on n'a pas retrouvé le corps et qui ont donc laissé leurs épouses « agounot » un statut hil'hatique qui signifie « entravées ». En l'absence de preuve flagrante de la mort de leur mari, ces femmes ne peuvent pas être considérées comme veuves, avec toutes les conséquences que cela implique et en premier lieu, l'impossibilité de se remarier.
Très vite, quelques jours seulement après les attentats, les autorités rabbiniques américaines se sont saisies de ce douloureux dossier. Elles étaient représentées par le rav Mordé'haï Vilig, délégué du Beth-Din orthodoxe d'Amérique, qui enquêta durant plusieurs mois avant de se rendre en Israël en janvier 2002 pour présenter les résultats de ses recherches à deux sommités de la hala'ha, le rav Ovadia Yossef chlita et le président du Tribunal rabbinique suprême, le rav Zalman Né’hémia Goldberg chlita.
Le rav Wilig a longuement exposé aux rabbanim le contexte exceptionnel du drame : le 11 septembre 2001, les deux tours jumelles du World Trade Center ont été percutées par deux avions détournés. La première tour est touchée à 8h46 et les étages 93 à 98 sont entièrement détruits. Selon les autorités américaines, aucun survivant n'a été découvert dans les étages supérieurs au 93e étage. La seconde tour a été percutée à 9h02 et ce sont les étages allant du 78e au 84e qui ont été touchés. La aussi, pas de survivants au-delà du 78e étage. Deux heures plus tard, les deux tours se sont effondrées.
L'examen ADN a permis d'identifier les os de quatre juifs mariés. Trois des Juifs disparus, parmi lesquels deux dont les ossements ont été identifiés, avaient téléphoné à leurs épouses quelques minutes après l'attentat pour leur annoncer qu'ils tentaient de sortir des bâtiments. Un autre cas concerne M., passager de l'avion ayant percuté la première tour : la compagnie aérienne a confirmé que M. était monté dans l'avion et qu'il n'en était jamais descendu.
B. se trouvait dans les étages inférieurs lors de l'attentat. Une témoin non-juive a témoigné avoir pris avec lui l’ascenseur jusqu'au 78e étage au moment même où l'avion percutait le bâtiment. Selon elle, cet ascenseur serait le dernier à avoir fonctionné après l'attentat. Pour le rav Vilig, ce témoignage n'était pas à prendre en compte, étant donné qu'il était incomplet et se basait sur des spéculations.
C'est donc sur tous ces cas et également sur la fiabilité des examens ADN que se sont penchés le rav Yossef et le rav Goldberg.
21 817 fragments humains ont été retrouvés là où s'élevaient les tours jumelles du World Trade Center et ont subi un exameéchantillons d'ADN des victimes transmis aux autorités par leur famille.
Pour le rav Wilig, il convenait d'émettre des doutes sur la crédibilité de cet examen somme toute technique et basé sur une technologie nouvelle et peut-être pas encore tout à fait au point.
Après avoir étudié les dossiers sous tous leurs angles, les rabbanim ont finalement libéré chacune des huit agounot. Pour le rav Goldberg, l'examen d'ADN constituait une preuve « plus que flagrante » : « La spécificité unique de l'ADN humain fait partie des miracles divins et constitue un des aspects de la sainteté de l'être humain. Dans les cas que l'on nous a présentés, les spécialistes que nous avons questionnés nous ont affirmé que la probabilité qu'il s'agisse d'autres personnes était inconcevable » a affirmé le rav Goldberg. En ce qui concerne, M., le passager du vol 11 de l'American Airlines, le rav Goldberg trancha que le témoignage de la compagnie, selon lequel il faisait partie des passagers de l'avion qui a percuté la tour nord, était recevable et qu'il était donc mort lors de l'attentat.
Pour B., le rav souligna que son épouse avait témoigné que leur couple était uni et vivait en bons termes. « Si tel est le cas, il est plus que probable que B. a été tué dans l'attaque sinon, pourquoi ne serait-il pas revenu chez lui depuis, comme tous les autres survivants ? », trancha le rav Goldberg.
Quant au rav Ovadia, il se pencha plus spécifiquement sur le cas de Thierry Saada et confirma là aussi sa mort, libérant son épouse de son statut d'agouna. Pour le rav Ovadia, le coup de téléphone de la victime à son épouse, passé quelques minutes après l'attaque, et au cours duquel il lui apprenait que la tour avait été attaquée, constituait une preuve flagrante de sa présence dans le bâtiment. Le rav Ovadia rappela également que le bureau de la victime se situait au 104e étage, duquel aucun survivant n'était sorti. Enfin, le rav souligna qu'à notre époque, alors que n permettant de comparer leur ADN avec celui des les moyens de communication sont de plus en plus sophistiqués, il était plus que probable que s'il avait survécu, Thierry Saada zal aurait téléphoné à son épouse ou pris contact avec elle.
Il aura fallu quelques mois au rav Yossef et au rav Goldberg pour confirmer le décès des victimes de l'attentat du 11 septembre. Quelques mois durant lesquels ils ont pris pleinement conscience de l'ampleur de la tragédie vécue par les épouses de ces victimes, déchirées entre la volonté de mettre fin à l'incertitude et la folle envie de continuer d'espérer.
Le judaïsme est pleinement consciemment de l'existence du mal dans le monde même s'il ne le justifie pas. Par leur volonté farouche de libérer ces jeunes femmes « agounot » et leur permettre de reprendre le dessus sur leur tragédie, les rabbanim ont combattu ce mal. Nos Sages nous l'ont d'ailleurs enseigné : « Tout celui qui libère une agouna est comparé à celui qui construit un des vestiges de la Jérusalem supérieure »… Par Laly Derai, en partenariat avec Hamodia.fr