La dissidence provoquée par Kora’h et les hommes qui l’ont suivi se conclut,
comme on le sait, dans le terrible effroi provoqué par la mort subite de 250
hommes. Il convient donc que nous portions notre attention sur l’épreuve à
laquelle D.ieu les soumet : la consumation des encens – la Kétorèt…

Un service
à double tranchant !

Le Traité talmudique Zeva’him
(page 88/b) demande au
nom de rabbi ‘Hanina, « D’où
savons-nous que les encens
apportent l’expiation des fautes
? Parce qu’il est écrit : ‘Il
[Aharon] déposa la Kétorèt
et fit expiation sur le peuple’
».

A plusieurs reprises en
effet, on peut lire dans les
textes de notre tradition
que la consumation des encens
(Kétorèt) constitue un
sacrifice très particulier.
On trouve par exemple un
passage du Midrach qui explique
comment Moché Rabbénou
déclare aux 250 hommes
qui s’associèrent à Kora’h
que le signe qui va permettre
de savoir qui le
Saint Béni Soit-Il at-
Il choisi entre Moché
et les dissidents, n’est
autre que la consumation
des encens
(Kétorèt), comme
il est dit : « Voici
pour vous le service
le plus estimé de tous :
la Kétorèt, tant appréciée
parmi les sacrifices, et dans laquelle
a été déposé le parfum de la
mort, ainsi qu’il est écrit : ‘C’est
l’homme que D.ieu distinguera, qui
est le saint’ », (Bamidbar Raba, 18,
8). Et la Guémara (Traité talmudique
Yoma, page 44/a) d’enseigner
par ailleurs que la consumation
des encens apporte l’expiation
de la faute de médisance (lachon
haRa), qu’elle protège du mauvais
penchant (yétser haRa) ainsi que
de l’idolâtrie.

Or, sur le verset : « Il [Aharon]
s’interposa entre les morts et les
vivants » (Bamidbar, 17, 13), Rachi
écrit : « Pourquoi [Aharon] devaitil
prendre la Kétorèt [afin d’empêcher
qu’en plus des 14 700 morts
que provoqua la rébellion d’une
partie du peuple contre Moché et
Aharon accusés d’avoir fait périr
Kora’h et son assemblée, d’autres
ne meurent encore-Ndlr.] ? Parce
que les enfants d’Israël jasaient et
le suspectaient, s’exclamant : ‘C’est
un poison mortel ! A cause d’elle,
Nadav et Avihou sont morts ! A
cause d’elle, 250 hommes ont péri
par les flammes !’. D.ieu répondit
alors : ‘Vous verrez que la Kétorèt
protège de la mort et que c’est le
péché qui tue’, (Mékhilta) ». Tel est
le secret qui fut révélé à Moché
Rabbénou : la consumation des
encens frappe d’interdit l’ange de
la mort !

La Kétorèt rassemble ainsi en elle
des propriétés très particulières et
pour le moins contradictoires : d’un
côté,
entre les
m a i n s
du pont
i f e Aha ron,
elle est capable d’arrêter
un fléau ; mais de
l’autre, eu égard à
cette spécificité qui
est la sienne si elle
est mal utilisée, elle
provoque la mort, comme ce fut le
cas pour les 250 hommes de l’assemblée
de Kora’h… Sur un autre
registre, bien que le fait d’approcher
la Kétorèt au Temple avait
la faculté d’enrichir – comme le
Talmud l’enseigne dans le Traité
Yoma, page 26/a -, il fut demandé
aux Cohanim de ne pas procéder
à ce service plus d’une fois seulement
(MéOlam, loChana Adam
ba).

C’est pourquoi, pour ce qui nous
concerne encore aujourd’hui, le rav
Moché Isserlès (Rama) prescrit dans
ses « remarques » sur le « Choul’han
Aroukh » (Ora’h ‘Haïm, 132) que
« selon l’avis de certains décisionnaires,
il convient de réciter le passage
‘Pitoum haKétorèt’ à partir
d’un texte écrit et non par coeur.
En effet, dit-il, une telle récitation
tenant lieu et place du service proprement
dit des encens, il y a lieu de
craindre qu’en oubliant l’un des [11]
composants de la Kétorèt [1/le benjoin
; 2/l’oeillet ; 3/le galbanum ;
4/la levona, 70 portions de chaque ;
5/la myrrhe ; 6/la cassie ; 7/le spic ;
8/le safran, 16 portions de chaque ;
9/la coste, 12 portions ; 10/l’écorce,
3 portions ; et 11/le cinnamone, 9
portions-Ndlr], le fidèle ne s’expose
à un ‘ ‘hiyouv Mita’ (une sentence
de mort) »…

Tâchons donc de saisir de plus près
ce qui distingue ce service des
autres sacrifices.


La plus haute
des délectations !

L’un des aspects par lequel la
consumation des encens se distingue
des autres sacrifices
consiste en ce que, à la différence
de ceux-ci – dont le service est
réalisé par le sang (le sacrifice
en tant que tel, puis l’aspersion
du sang sur l’autel), la Kétorèt
ne fait pas appel à ce composant
fondamental de la vie.

Or, nous arrêtant un instant sur
la signification des sacrifices, il
ne serait pas faux de dire qu’ils
sont comme une allusion au fait
que, par leur biais, nous exprimons
notre profond amour
envers D.ieu. Puisque nous affirmons
par-là même Lui dédier
notre propre vie et Lui sacrifier
– jusqu’à 120 ans ! – notre propre
existence (méssirout néfech).
Toutefois, bien que notre vie nous
paraisse être ce qu’il y a de plus
fondamental – comme il est dit :
« Tout ce que possède l’homme,
il le donne pour sauver sa vie »,
(Job, 2, 4) -, aucun être humain
ne vit pourtant dans ce monde
dans le seul but de… vivre. Peu
s’en faut ! Car naturellement,
chacun d’entre nous est bien
plutôt poussé à réaliser un but ô
combien plus élevé que le simple
fait d’être… A telle enseigne que
si nous réfléchissions une minute
à ce qui motive l’existence
de l’homme, nous nous apercevrions
que l’humanité cherche
avant tout à… jouir de la vie !
C’est en effet ce qu’écrit rabbi
Moché ‘Haïm Luzzato (Ram’hal)
au 1er chapitre de son fameux
ouvrage « Méssilat Yécharim » :
« Nos Sages nous ont enseigné
que l’homme n’a été créé que
pour se délecter de l’Eternel et
jouir de la splendeur de sa Présence
(Chékhina) ; car telle est la
vraie délectation et le grand plaisir
supérieur à tous les plaisirs
existants ».

Né pour se délecter, l’homme
est par conséquent prêt à tout
pour tirer profit des plaisirs de
ce monde. Or, le sens qui chez
lui, exprime le mieux cette recherche
des plaisirs, c’est l’odorat.
En effet, à la différence du
règne animal chez qui l’odorat
constitue une fonction naturelle
liée au seul besoin de se nourrir,
chez l’être humain en revanche,
il constitue le moyen d’accéder
à un véritable ravissement. Et
pour cause ! Car, comme cela est
dit explicitement dans le Talmud,
l’olfaction est liée à l’âme :
« Rav Zoutra bar Touvia a enseigné
au nom de Rav : – Pour
quelle raison procède-t-on à
une bénédiction sur les odeurs ? Parce qu’il est écrit : ‘Toute l’âme
chante la gloire de D.ieu’ (Psaumes,
150, 6). Or, quelle est cette chose
dont seule l’âme tire du plaisir,
et non le corps ? C’est l’odeur’ »,
(Traité talmudique Berakhot, page
43/b). N’ajoutant rien au corps, ni
à la vie, l’odorat constitue ainsi le
lieu réel de la plus haute des délectations
!

Paradis terrestres…

On sait que le Tout-Puissant répand
dans ce monde ses bontés
infinies. Toutefois, après que
nous nous soyons habitués à elles,
nous ne sommes plus en mesure
d’y reconnaître la Main de D.ieu !
Ainsi en va-t-il de ces choses qui
aujourd’hui son devenues « de première
nécessité » : une maison,
un lit, une table et des chaises,
une lampe, des chaussures, etc. ;
du fait de leur « banalité », elles
ne nous offrent plus l’occasion de
prendre conscience à travers elles
des bienfaits divins. Mais réciproquement,
nous ne les expérimentons
pas non plus sous le régime
des plaisirs : on les vit le plus souvent
de manière anodine, voire
avec négligence… En revanche, il
nous suffit de bénéficier de manière
exceptionnelle d’un cadeau du
ciel pour que le yétser haRa s’empare
de cette opportunité et la retourne
à son propre avantage, faisant
croire à son bénéficiaire que
cette bienveillance divine lui est
due, qu’elle est le résultat de ses
actes, ainsi que de ses « efforts »
et de sa réussite personnels.

Aucune temporalité
ne dissimule plus la
Présence divine que
cet instant où nous
savourons les bontés de
ce monde !

Expliquons-nous : si, comme
l’enseigne le Ram’hal dans le
texte précité, le but de l’homme
sur terre est se délecter de la
Présence divine, l’on comprend
pourquoi à chaque occasion où
nous pouvons jouir de la générosité
de D.ieu, il nous est donné
de nous rapprocher de Lui. Mais
inversement, cela explique aussi
pourquoi tous les obstacles se lèvent
alors en même temps pour
nous empêcher de vivre pleinement
une telle proximité d’avec
D.ieu ! Les joies, les plaisirs, mais
aussi les succès que nous expérimentons
sont à ce titre soumis à
une redoutable dialectique : c’est
parce qu’ils constituent le moyen
de nous élever dans la sainteté
que, paradoxalement, ils focalisent
vers eux tous les fantasmes,
tous les égarements et toutes les
illusions.

Faisant délibérément jouer l’ambiguïté
lexicale que recouvre le
concept de plaisir (oneg), le Séfer
Yétsira (chapitre 2, Michna 4)
enseigne ainsi : « Il n’y a rien de
meilleur que [le mot] oneg (plaisir),
et rien de pire que [le mot]
néga (poison) ». Car, si le mot
« oneg » constitue précisément
l’anagramme du terme « néga » et
réciproquement, c’est bien parce
qu’au coeur même de tout état de
jouissance pointent les pires dérives…
Tant et si bien qu’aucune temporalité
ne dissimule plus la Présence
divine que cet instant où
nous savourons les bontés de ce
monde ! Comme il est dit : « Yéchouroun,
engraissé, se révolte »,
(Devarim, 32, 15).
En définitive, l’épreuve du bonheur
– s’il en est – consiste donc
à parvenir à utiliser la dimension
physique à travers laquelle les
plaisirs se matérialisent en nous,
comme un véritable tremplin vers
l’univers spirituel dont ils sont la
marque ici-bas. Véritable exultation
métaphysique, la joie terrestre
est ainsi ce creuset où se dévoile
le service divin authentique.
Car, « même si le lieu de ce plaisir
est, en vérité, le monde à venir
– puisqu’il a été créé et préparé
à cet effet –, la voie qui mène
à cette délectation n’est d’autre
que ce monde-ci », (Ram’hal, Méssilat
Yécharim, Idem.).

A la vie, à la mort

Ainsi, comme nous l’avons dit,
bien qu’effectués à l’aide du sang,
les autres sacrifices relèvent de
notre capacité à offrir au Saint
Béni Soit-Il l’essence même de notre
existence, la consumation des
encens quant à elle, réalisée avec
la Kétorèt correspond à cette forme
de délectation dont l’âme seule
bénéficie.

Certes, tout être humain est effrayé
à la pensée de sa propre
mort, pourtant le roi Salomon
n’écrit-il pas : « Elle rit [en pensant]
au jour dernier », (Proverbes,
31, 25) !? C’est qu’il existe au
fond de tout homme (et pas seulement
de l’être juif…) une disposition
telle que si l’on parvenait
à le convaincre qu’après la mort,
il pénètrerait dans un monde fait
de plaisirs extraordinaires et illimités,
il se donnerait la mort
sur le champ (!) Et ce, parce que
l’expérience de la joie est bien
plus profondément ancrée dans
sa nature que le sentiment de
sa propre existence. Or, le service
par l’intermédiaire duquel
nous sommes enjoints de sacrifier
cette disposition à la jubilation
qui nous constitue en tant
qu’hommes, c’est précisément la
Kétorèt : par elle, nous affirmons
qu’en plus de cette allégation
concrétisée par les autres sacrifices
et par laquelle nous nous
disons prêts à sacrifier notre vie
pour la Gloire divine, ce sont bien
les plaisirs de ce monde que nous
nous disposons à vivre dans un
rapport intime et extraordinaire
avec D.ieu. Au point où, vécu de
cette manière, le ravissement que
nous procurent les satisfactions
matérielles échappe totalement
à l’emprise du yétser haRa, provoquant
– de fait – la défaite de
ce « mauvais penchant » qui perd
ainsi toute consistance.
Tel semble bien être, en surface,
le secret du service des encens :
élever vers notre Créateur le plus
merveilleux parfum qui soit ! Celui
de la délectation de l’âme qui
remplissait à l’époque du Temple
l’air de Jérusalem…

Mais l’on comprend aussi pourquoi
ce service si particulier et
subtil de la Kétorèt est susceptible
de se retourner mortellement
contre nous : l’acculant à l’anéantissement,
elle oblige en effet le
yéster haRa (qui n’est autre que
l’ange de la mort) à mobiliser toutes
ses forces pour provoquer une
ultime percée chez celui qui l’approche,
et le pousse à sa perte…

Yehuda Rück, à partir d’un enseignement
du rav Chimchon David
Pinkous zatsal


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