Pendant la période des Jours Redoutables, deux modifications impératives doivent être insérées dans toutes nos prières. La troisième bénédiction de la amida ne doit plus se conclure par : « Béni sois-Tu (…) le D.ieu saint », mais par : « Le Roi saint ». De même dans la bénédiction consacrée à la Justice divine, nous formulons les mots : « Roi de justice » à la place de : « Roi qui chérit la charité et la justice. »


L’importance de ces modifications est telle que celui qui omettrait de les formuler devrait reprendre sa prière (tout du moins pour « le Roi saint », selon tous les avis). Cela signifie que ces deux bénédictions évoquent un principe essentiel, spécifique à cette période de l’année. Comme l’explique Rachi (sur Bérakhot 12/b), l’évocation de la Royauté divine souligne le fait que « pendant cette période, D.ieu révèle Sa Royauté aux hommes en jugeant le monde entier ». Mais il convient de noter que ces évocations surviennent à deux endroits précis de nos prières : la bénédiction dans laquelle on mentionne la « Sainteté divine » et celle où l’on évoque Son Attribut de justice.

Deux dimensions de Royauté
Le Maamar Tsion rapporte au nom du Gaon de Vilna (à la fin de Sifra Détsniouta) qu’il existe deux manifestations de la Royauté divine, distinctes l’une de l’autre. La première est due à l’impulsion des hommes, en cela même qu’ils acceptent Son joug sans réserve. A l’échelle humaine, cette démarche constitue le propre de notre service divin : prendre conscience de l’absolu domination du Créateur sur le monde, et agir en conséquence.
Mais il existe une deuxième manifestation de la Royauté divine, dont l’homme prend acte de manière passive. Il s’agit de toutes les circonstances où D.ieu Se révèle aux hommes par le biais de miracles – comme ceux qui accompagnèrent la sortie d’Egypte –, à travers la Révélation du Sinaï ou encore par les Révélations auxquelles nous assisteront dans les Temps futurs.
Selon le Gaon de Vilna, ces deux dimensions de Royauté divine apparaissent dans les versets du Cantique de la mer. Il y est dit d’une part : « Voilà mon D.ieu et je Lui rends hommage ; le D.ieu de mon père et je Le glorifie » (Chémot 15, 2) – c’est-à-dire qu’il s’agit d’une démarche dans la voie ascendante, dans laquelle l’homme prend conscience de la Toute-Puissance divine et, de sa propre initiative, la proclame dans le monde. Un autre verset du Cantique annonce quant à lui : « L’Eternel est souverainement grand [gao gaa] » – à cet endroit, c’est D.ieu Lui-même Qui manifeste Sa grandeur, en Se glorifiant aux yeux du monde.
Le Règne et la Domination
Dans un autre texte, le Gaon de Vilna développe davantage cette idée (cité par le Pa’had Its’hak sur Roch Hachana, chap. 31). Commentant le verset des Psaumes : « A l’Eternel appartient la royauté, Il domine sur toutes les nations » (22, 29), le Gaon explique qu’un règne peut être établi de deux différentes manières : soit du fait que le roi impose son pouvoir sur ses sujets – de gré ou de force –, soit en cela que les sujets acceptent son joug d’eux-mêmes, volontairement. Ce sont ces deux types de gouvernance qu’évoquent ici les Psaumes : à l’égard des nations du monde, D.ieu les « domine » – c’est-à-dire qu’Il S’impose à eux même contre leur volonté. En revanche, par rapport au peuple juif, le pouvoir du Créateur apparaît comme un règne, car les enfants d’Israël acceptèrent Son joug de leur plein gré.
A cet égard, explique le Pa’had Its’hak, on ne trouve nulle part que les sept mitsvot noa’hides furent acceptées par les nations ; à aucun moment elles ne déclarèrent : « Nous ferons et nous entendrons », car du fait de leur refus de se soumettre au joug divin, ces commandements leur furent imposés par la force. A contrario, chez les enfants d’Israël, les versets témoignent que le Don de la Torah fut le résultat d’une souscription pleine et entière de leur part.
Je suis l’Eternel votre D.ieu
Cependant, le rav Hutner cite un commentaire de Rachi allant visiblement à l’encontre de ce postulat. Dans le dernier verset de la section des tsitsiyot – que nous lisons matin et soir dans le Chéma –, il est dit : « Je suis l’Eternel votre D.ieu, qui vous ai fait sortir du pays d’Egypte pour devenir votre D.ieu, Moi l’Eternel votre D.ieu » (Bamidbar 15, 41). Dans ce verset, la même expression apparaît à deux reprises : « Ani Hachem Elokékhem – Je suis l’Eternel votre D.ieu », ce qui ne manqua pas d’interpeller Rachi. Le maître de Troyes résout cette singularité ainsi : « Pourquoi cette expression est-elle répétée ? Car les enfants d’Israël pourraient dire : “Pour quelle raison D.ieu nous impose-t-Il Ses mitsvot ? N’est-ce pas pour que nous les observions et que nous soyons récompensés ? Dans ce cas, abstenons-nous d’observer, et renonçons à toute récompense !’ [C’est pourquoi le verset répète cette expression, pour dire :] ‘Je régnerai sur vous même contre votre gré !’ C’est à ce sujet qu’il est dit : ‘Je jure que d’une main puissant (…) Je régnerai sur vous’ (Yé’hezkel 20, 33). »
De prime abord, il apparaît clairement ici dans Rachi que le joug de la Royauté divine est imposé au peuple juif non seulement en vertu de son allégeance, mais également comme une contrainte à laquelle il ne peut se soustraire. La question ressurgit donc : le peuple juif est-il soumis de plein gré à la domination de D.ieu, ou contraint par la force ?
Selon le rav Hutner, la réponse à cette contradiction apporte un éclairage nouveau au postulat du Gaon de Vilna. Certes, il est incontestable qu’en déclarant « nous ferons et nous entendrons », le peuple juif accepta le joug divin de plein gré, comme une démarche parfaitement libre. Mais cette soumission fut telle qu’elle impliquait une sujétion inconditionnelle, adhérant même à une contrainte forcée. L’allégeance d’Israël à D.ieu porte en elle une acceptation de la Royauté et de la Domination divines à la fois. C’est en ce sens qu’il est répété à deux reprises dans le verset : « Je suis l’Eternel votre D.ieu » – pour souligner que notre soumission de gré implique également une soumission de force.
Le rav Hutner illustre cette idée à l’aide d’une décision halakhique. Le Talmud évoque le cas d’une personne que l’on pourrait contraindre à donner de l’argent à la charité. Les Tossefot font remarquer que cette situation semble incohérente : la charité fait en effet partie de ces mitsvot pour lesquelles un Beth Din ne peut contraindre quiconque à les accomplir. C’est qu’en fait, explique Rabbénou Tam, il est question ici d’une ville dans laquelle une coutume locale a été instaurée, stipulant que l’on pouvait contraindre les habitants à participer aux fonds de charité. Or, toute réforme de ce genre implique forcément que tous les habitants y aient souscrit. En clair, ces hommes ont accepté de plein gré – de pouvoir être contraints par la force…
Le Roi saint – le Roi de justice
Comme nous l’avons mentionné au début de ce texte, pendant la période des Jours de Pénitence, nos prières subissent une légère modification à deux endroits spécifiques : nous y proclamons que D.ieu est « le Roi saint » et aussi le « Roi qui chérit la charité et la justice ». Ces deux changements reflètent en vérité les deux dimensions de la Royauté divine sur terre.
La justice, nous le savons, est une valeur confiée aux hommes : en s’inspirant de la Justice divine, c’est à eux qu’il incombe de faire régner l’équité au sein de la société. En proclamant D.ieu comme étant le « Roi qui chérit la charité », nous nous soumettons à Son règne dans la voie ascendante : c’est en L’imitant et en adhérant de nous-mêmes à Ses commandements, que nous permettons à Sa royauté de Se manifester ici-bas.
Mais parallèlement à cela, nous déclarons également que D.ieu est « le Roi saint ». La sainteté divine fait référence à une dimension dépassant l’entendement humain. Au début de la paracha de Kédochim, Rachi explique en effet que l’ordre : « Vous serez saints » (Vayikra 19,2) signifie : « Vous serez détaché… » La Kédoucha de D.ieu désigne donc l’aspect de Son essence qui dépasse totalement notre réalité.
En ce sens, à Roch Hachana, nous proclamons également que le Créateur est notre Roi dans Sa sainteté – c’est-à-dire dans cette dimension supérieure qui s’impose à nous même par la force.
Par Yonathan Bendennnoune, en partenariat avec Hamodia.fr