La disparition du grand rabbin Ovadia Yossef à l’âge de 93 ans, provoque en Israel une très vive onde de choc qui dépasse largement le monde orthodoxe dont il était considéré comme la principale sommité rabbinique. Et pour cause : au cours du dernier demi-siècle, cette personnalité hors normes a marqué l’histoire de l’Etat d’Israël de trois empreintes remarquables :

Empreinte religieuse d’abord : Né en 1920 à Bagdad, le grand rabbin Yossef s’est, dès sa jeunesse, distingué par une intelligence exceptionnelle et par une phénoménale mémoire. Ceux qui ont suivi ses cours savent qu’il était capable de citer par cœur des milliers d’extraits des 2000 pages du Talmud en précisant à chaque fois la page de chaque extrait !

Devenu rabbin et juge rabbinique, il s’était très vite imposé dans le monde sépharade (originaires d’Orient et d’Afrique du Nord) comme un décisionnaire plus tolérant et moins rigide que les sommités rabbiniques du monde ashkénaze (originaires d’Europe centrale). Au cours de sa vie, le grand rabbin Yossef a publié plus de 40 livres de responsables rabbiniques qui confirment cette orientation. Le grand rabbin Yossef qui fut grand rabbin sépharade d’Israel dans les années 70, a reconnu qu’il avait eu très tôt deux ambitions. D’abord , celle de parvenir au rang de « Grand Sage » de sa génération, titre officieux qu’on lui a effectivement reconnu. Mieux encore : le grand rabbin Yossef a reçu le titre de « Maran »(notre maitre, en hébreu), titre rarissime dans le monde religieux puisque le précédent à l’avoir obtenu était le rabbin Yossef Karo, génial codificateur de la pratique religieuse, qui vivait à Safed en Galilée, il y a 5 siècles ! Et ce n’est guère un hasard. Car la seconde ambition du rabbin Ovadia Yossef était justement de rassembler les Sépharades revenus en Terre d’Israël avec leurs propres traditions sous l’autorité unique de l’enseignement du rabbin Yossef Karo dont il se sentait le disciple. Défi qui n’a pas été relevé jusqu’au bout. Mais qui prouve la personnalité exceptionnelle du grand rabbin Yossef.

Empreinte sociale, ensuite : du haut de son leadership spirituel, le grand rabbin Yossef a voulu restaurer l’honneur bafoué du monde sépharade en Israël.

Dans les années 60 et 70, sous l’hégémonie politique de la gauche israélienne fortement ashkénaze, les Sépharades étaient les laissés pour compte de la société. Considérés comme le « Second Israel », ils appartenaient dans leur majorité aux couches sociales les plus défavorisés. En 1970, la révolte sociale des Panthères noires ( militants sociaux sépharades) qui clamaient leur colère contre la discrimination dont ils se sentaient victimes avait sensibilisé le rav Yossef. Souvent très populiste dans ses interventions, le grand rabbin savait s’adresser à cette communauté . Mais après l’échec de l’action des Panthères noires, il décida de rajouter un paramètre religieux à cette révolte et ce pour protester contre la ségrégation dont les étudiants orthodoxes sépharades faisaient l’objet dans les instituts talmudiques ashkénazes. Et c’est dans cette optique qu’est née l’une des formations politiques les plus marquantes de l’histoire d’Israël : le parti orthodoxe Shass.

 

Empreinte politique, enfin :

Le grand rabbin Yossef est l’âme du parti Shass et son catalyseur. Abandonnant son Talmud pendant de longues heures, il prêche dans d’innombrables meetings politiques en faveur du renouveau de la tradition sépharade ancestrale, faite de respect scrupuleux des règles de la Torah et d’ouverture vers la Cité.

Très vite, le parti Shass s’implante solidement sur l’échiquier politique israélien. Son ouverture ne séduit pas seulement les orthodoxes sépharades mais aussi des Israéliens plus traditionnalistes qui ne jurent que par le grand rabbin Yossef. En 1993, le parti sépharade qui siège dans le gouvernement Rabin votera en faveur des accords d’Oslo, en se référant à une responsa du grand rabbin Yossef qui permet le retrait israélien de Judée-Samarie si cela doit sauver ne serait-ce qu’une seule vie humaine. Shass connaitra son apogée en 1999 en obtenant 17 mandats aux législatives. Le Grand rabbin Yossef fait l’objet des attentions de tous les leaders politiques en particulier Shimon Peres pour lequel il a une affection particulière.

Au cours des dernières années, le grand rabbin Yossef a veillé à maintenir le parti Shass, dans la coalition mais le blitz politique du parti laïc de Yaïr Lapid et l’alliance de ce dernier avec la mouvance sioniste religieuse a empeché Shass d’entrer dans le dernier gouvernement Netanyaou, et ce malgré le retour du protégé du rabbin Yossef, le député charismatique Arié Derhy.

Cependant, le grand rabbin Yossef a eu la satisfaction, le 16 septembre dernier, d’assister à l’intronisation de son fils le grand rabbin Itzhak Yossef au poste de Grand rabbin sépharade d’Israel. Pour le leader politique de Shass Arié Derhy, cette nomination était capitale afin d’assurer une forme de continuité filiale à la tête du monde sépharade. Mais le nouveau grand rabbin n’a pas encore pris son « envol » et ne peut s’impliquer politiquement. De telle sorte que la disparition du Grand rabbin Ovadia Yossef, et l’absence de figure de proue incontestable pour le remplacer risquent de provoquer une douloureuse guerre de succession tant au sein du parti Shass que dans le monde religieux sépharade.

Daniel Haik pour i24