Alors que nous nous apprêtons à fêter l’anniversaire de la naissance du premier homme, une question de taille s’impose : on le sait, lorsqu’ils se trouvaient au pied du Mont Sinaï afin d’y recevoir la Torah, les enfants d’Israël avaient atteint la hauteur d’Adam haRichon avant la faute.

C’est ce que rappelle le prophète quand il écrit : « J’avais proclamé : vous êtes enfants divins, tous fils du Ciel…» (Psaumes 82, 6). Avec eux, c’était le projet de la Création elle-même qui se trouvait de la sorte justifié. « Pourtant, ajoute aussitôt le Psalmiste, vous mourrez comme des hommes ! » (Idem.). La faute du veau d’or ramena à nouveau les descendants de Yaacov au statut qui était le leur avant le don de la Torah, la réparation de la faute d’Adam se trouvant une fois encore reléguée aux déroulements futurs de l’histoire. Certes, Yom Kippour apportera le pardon à la faute du veau d’or, les Tables de la Loi seront à nouveau offertes à Israël, l’entrée en terre sainte aura bel et bien lieu, un roi règnera sur Israël et le Temple sera construit… Mais l’exil qu’avait provoqué la faute du premier homme ne trouvera sa rédemption définitive qu’à la fin des temps, à l’heure de l’avènement messianique…

INTERTITRE
Est-ce donc dans ces conditions, alors que nous nous trouvons dix jours encore avant Yom Kippour, le jour du pardon, que nous nous permettons de fêter l’anniversaire de la naissance de l’homme ?
Et quoi ?! Est-ce donc dans ces conditions, alors que nous nous trouvons dix jours encore avant Yom Kippour, le jour du pardon, que nous nous permettons de fêter l’anniversaire de la naissance de l’homme ? Un homme dont la faute n’a toujours pas été effacée ! Voilà qui n’a de cesse de surprendre ?
Répondre à cette question, c’est, nous semble-t-il, mettre en lumière l’un des nombreux aspects de la fête de Roch haChana.
Car, inaugurant les jours redoutables, Roch haChana constitue en réalité le point de départ d’une période que nos Sages nomment par ailleurs celle des « jours de volonté – yémé ratson » (cf. Ran, Traité talmudique Roch haChana, p.15/b). Dans sa grande bonté, l’Eternel nous a offert la possibilité de revenir – sans que nous l’ayons vraiment mérité (à la différence donc du 6 Sivan concluant l’œuvre que les enfants d’Israël ont réalisée lors de la séfirat haOmer ; voir la semaine prochaine, notre article intitulé « Du 17 Tamouz à Yom Kippour ») – à la situation d’Adam avant la faute.

Dans sa grande bonté, l’Eternel nous a offert la possibilité de revenir à la situation d’Adam avant la faute
Ce qui signifie en d’autres termes, qu’après la faute d’Adam, tout homme reste malgré tout rattaché aux hauteurs qui étaient celles du premier homme avant la faute. Or, cela, il est donné à chacun d’entre nous de le vouloir et de le choisir, précisément en ce jour, celui de Roch haChana. Il est donné à tout homme d’affirmer en son for intérieur : « je suis un homme de kavod, fidèle à la gloire qui entourait le premier homme lorsque D.ieu le créa ».
Et telle serait l’une des dimensions propres à la fête de Roch haChana : prendre la responsabilité de l’humanité, « bichvili nivra haOlam », en choisissant l’authentique hauteur qui fut celle d’Adam lors de sa création. Revenir à notre point d’origine.
Un pouvoir propre à la téchouva qui permet de ramener aux plus hautes dimensions quiconque s’en est une fois éloigné. Revenir à cette temporalité où l’homme se tenait avant la faute. Un retour qui, parce qu’il suit le mouvement d’une volonté renouvelée, est susceptible de conduire celui-ci qui le suit à sa propre origine afin de s’y tenir plus fermement encore qu’il ne le vivait jusque là. Cet enseignement nous permet de saisir par ailleurs que plus un homme a conscience de la gloire attachée à sa nature, moins il est enclin à l’abîmer dans les salissures de ce monde, tout comme il n’a aucune envie à se préoccuper de choses sans valeur. On raconte ainsi au sujet d’un étudiant aux remarquables aptitudes qui venait d’intégrer la yéchiva de Slobodka en Europe qu’après 3 semaines passées à la yéchiva, il s’approche de l’un des anciens élèves et lui demande : « Que se passe-t-il ici ? Cela fait 3 semaines que le Saba de Slobodka ne parle que d’Adam haRichon ! 3 semaines ! ». L’étudiant à qui l’on venait de faire cette remarque se tourna alors vers ses congénères et leur dit : « Avez-vous entendu ce qu’il vient de dire ? Que cela fait déjà 3 semaines que le Saba traite d’Adam haRichon ? Mais, mon ami, cela fait 30 ans qu’il ne parle que de cela ! ».
INTERTITRE
Heureux l’homme qui s’élève au-dessus de ses fautes, malheur à celui dont les fautes sont sur lui
Le Saba de Slobodka revenait en effet sans cesse sur les qualités du premier homme, un homme qu’aucun autre n’a jamais dépassé. Un homme qui trouve son origine en D.ieu lui-même et dont l’extraordinaire particularité ne l’a jamais quitté, même après la faute. Or, voilà bien ce dont nous avons hérité et que le jour anniversaire de sa création est venu nous rappeler. Lorsque Adam fut créé, les anges pensèrent qu’il appartenait à la pure divinité et qu’il convenait donc de le louer par la prière : « Kadoch… » (cf. Midrach Raba 8, 10). Car telle est la haute et glorieuse dimension propre à l’homme et dont nous avons l’obligation de nous rappeler le jour de Roch haChana. Prendre sur soi le joug de la royauté céleste ne serait donc tant en ce sens, limiter son existence par une multitudes d’interdits et de sanctions, que prendre conscience de la dimension divine dont nous sommes porteurs et qu’il s’agit de conserver intacte, dans toute sa hauteur et sa noblesse !
« Achré Néssouï Pécha kessouï ‘hataha – Heureux celui dont les fautes sont remises, dont les péchés sont couverts [par le pardon] », écrit David (Téhilim 32, 1). Un passage qu’il vaudrait mieux traduire de la sorte : « Heureux l’homme qui s’élève au-dessus de ses fautes », et malheur à celui dont les fautes sont sur lui. Car, il convient à chacun d’entre nous de s’élever au-dessus de ses propres fautes.
Et tel serait le sens de la place de Roch haChana dans notre calendrier : bien que le pardon de Yom Kippour se tienne encore éloigné de nous, l’Eternel nous a offert ce jour, celui l’anniversaire d’Adam haRichon, afin de nous rappeler que nous avons toujours la possibilité de nous élever au-delà de nos fautes et de retrouver la situation dans laquelle se trouvait le premier homme, lui dont le « tsélem Elokim », la gloire et la noblesse restent de toute éternité le divin héritage et ce, malgré la situation dans laquelle se trouve le monde après la faute. S’il le veut vraiment, l’homme reste attaché aux dimensions qui étaient les siennes avant la faute. Qu’il lui suffise seulement d’affirmer : « J’appartiens à cette figure de l’homme sur laquelle est gravée la gloire céleste ». Et précisément : alors que nous nous trouvons dans les conditions qui sont les nôtres aujourd’hui, dans un monde tellement éloigné des valeurs authentiques, que la grandeur et de la dignité ont quitté le genre humain depuis longtemps, un tel choix de revenir à la hauteur d’Adam haRichon élève celui qui le fait aux plus niveaux qui lui soit donné d’atteindre.Par Yehuda-Israël Rück, en partenariat avec Hamodia.fr