On raconte qu’un homme très riche, également connu pour sa grande piété, avait connu un revers de fortune et perdu la totalité de ses biens. En un temps très court, il rejoignit le commun des hommes, qui doivent peiner du matin au soir pour gagner leur subsistance.


Quelques années plus tard, on interrogea sa femme sur la manière dont elle avait vécu ce bouleversement dans sa vie. Elle expliqua qu’après avoir connu aussi bien l’opulence que le dénuement, elle peut témoigner sans la moindre hésitation qu’il est plus facile de surmonter l’épreuve de la pauvreté que celle de la richesse.
Ce message est en réalité l’un des points centraux de notre paracha. Après avoir assuré que le peuple juif parviendra à vaincre les peuples de la terre de Canaan, la Torah entame une rétrospective des dernières quarante années : « Tu te rappelleras cette traversée de quarante ans que l’Eternel ton D.ieu t’a fait subir dans le désert, afin de t’éprouver dans l’adversité, afin de connaître le fond de ton cœur et voir si tu resteras fidèle à Ses lois ou non » (Dévarim 8, 2).
Dans le désert, les enfants d’Israël connurent à plusieurs reprises les affres de la faim, de la soif, ils durent combattre des ennemis terrifiants et surmonter leur crainte face à ce « vaste et redoutable désert, plein de serpents venimeux et de scorpions, un sol aride et sans eau » (verset 15). Ils furent ainsi confrontés à l’adversité dans son aspect le plus cruel et aigu, et rester en même temps fidèles à D.ieu.
Quel fut le but de ces épreuves ? La Torah poursuit : « Oui, il t’a fait souffrir et endurer la faim, puis il t’a nourri avec cette manne que tu ne connaissais pas et que n’avaient pas connu tes pères pour te prouver que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais qu’il vit de tout ce qu’ordonne la parole de D.ieu ». Lorsqu’on jette un regard en arrière et que l’on envisage sous cet angle les épreuves passées, cela peut donner lieu à un formidable élan de émouna et de confiance en D.ieu. En effet, lorsqu’on se remémore les difficultés passées et que l’on réalise soudain avoir survécu aux épreuves, aux difficultés et au dénuement, la présence d’une Assistance divine surgit à nos yeux comme une évidence.
C’est en ce sens que le verset poursuit : « Tes vêtements ne se sont pas usés sur toi, tes pieds n’ont pas été meurtris durant ces quarante années ». Et par conséquent, « tu reconnaîtras en ta conscience que si l’Eternel ton D.ieu t’éprouve, c’est comme un père qui éprouve son fils ». Autrement dit, c’est au creux même de la difficulté que l’homme est capable de ressentir les plus forts sentiments de foi et de confiance en son Créateur. Le mal est douloureux, mais la douleur est bénéfique, parce qu’elle la preuve absolue d’une Présence qui nous soutient et nous accompagne tout au long de notre vie.
Arrive alors, dans notre paracha, le revers de la médaille : « L’Eternel te conduit dans un pays fortuné (…) un pays qui produit le froment et l’orge, le raisin et la figue (…) un pays où tu ne manqueras de rien ». Lorsque les leçons de la pauvreté sont tirées et que l’heure de la misère tourne, elle laisse la place à l’opulence, grâce à laquelle l’homme pourra servir D.ieu avec davantage de moyens et de sérénité. Ou plutôt, il sera alors « censé » servir D.ieu ainsi, car un nouveau danger le guette alors : « Garde-toi d’oublier l’Eternel ton D.ieu, de négliger Ses préceptes, Ses lois et Ses commandements (…) Peut-être, jouissant d’une nourriture abondante, bâtissant de belles maisons où tu vivras tranquille, voyant croître ton argent et ton or, se multiplier tous tes biens (…) peut-être ton cœur s’enorgueillira-t-il et tu oublieras l’Eternel ton D.ieu, Qui t’a tiré du pays d’Egypte ».
La Torah énonce ici le danger nettement plus aigu qui guette l’homme vivant dans l’opulence. Car si la pauvreté vue avec du recul conduit à la conscience de l’Aide divine comme une évidence, la richesse n’offre pas quant à elle ce regard. Bien qu’a priori, l’opulence puisse entraîner l’homme vers une plus grande gratitude et une reconnaissance intensifiée des bienfaits du Créateur, la réalité est cependant toute autre ; à force de jouir de l’aisance, témoigne la Torah, on en vient à dire dans son cœur : « C’est ma propre force, c’est le pouvoir de mon bras qui m’a valu cette richesse ».
Ceci exprime tout le paradoxe du matériel : lorsqu’il n’en a pas assez, l’homme vit frustré, déplorant le peu de moyens dont il dispose pour servir D.ieu. Et lorsque l’aisance arrive enfin, il en vient alors à se demander ce que lui vaut la fidélité à D.ieu, étant donné qu’il est lui-même le seul facteur de sa réussite.
Dans un cas comme dans l’autre, l’unique remède à ces mal-être réside dans la méditation de notre situation. Au lieu de nous laisser traîner par elle, au lieu de nous considérer comme la victime de nos épreuves, il nous incombe au contraire d’en prendre les rênes, de cesser de subir pour devenir l’acteur de notre situation.
C’est en se remémorant les versets de notre paracha – « Oui, il t’a fait souffrir pour te prouver que l’homme vit de tout ce qu’ordonne la parole de D.ieu » – que l’on cessera de subir nos épreuves et qu’on les vivra pleinement, dans toute leur dimension.Par Yonathan Bendennnoune,en partenariat avec Hamodia.Fr