C’est de part et d’autre de la ville de Che’hem (Naplouse) que
se dressent deux montagnes au passé fort prestigieux : les
monts Guérizim et Eval. C’est en effet en se tenant à chacun
de leur sommet qu’au jour de leur entrée sur la Terre d’Israël,
les Hébreux procédèrent à la cérémonie des bénédictions
et des malédictions décrite dans notre paracha (Dévarim,
chapitre 27)…

Peu après avoir traversé le
Jourdain à pied sec, les enfants
d’Israël se rendirent
donc sur les flancs des monts Guérizim
et Éval. Six tribus d’Israël
grimpèrent sur le premier « pour y
bénir le peuple », et les six autres
tribus sur le mont Éval « pour les
malédictions ».

Ces malédictions apparaissent
dans les versets de notre paracha,
formulant chaque fois un
anathème à l’encontre de celui
qui transgresserait les principes
qui y sont énoncés : « Maudit
soit l’homme qui ferait une image
taillée (…), maudit soit qui traite
avec mépris son père ou sa mère,
qui égare l’aveugle dans son chemin,
qui déplace la borne de son
voisin, etc. ».

Les bénédictions ne sont quant à
elles pas énoncées explicitement
dans la Torah, mais elles se présentent
comme le « contraire »
de ces malédictions : « Béni soit
l’homme qui ne fait pas d’image
taillée, béni soit qui ne traite pas
avec mépris son père ou sa mère,
etc. ».

Entre les deux montagnes, se
tinrent les Cohanim et les Léviim
debout aux côtés de l’Arche
sainte. Se tournant vers le mont
Guérizim – celui de la bénédiction
–, ces deux tribus entamèrent
la cérémonie en prononçant
la première bénédiction, après
laquelle les douze tribus d’Israël
répondirent « Amen ! ». S’orientant
ensuite en direction du mont
Éval, les Cohanim et les Léviim
enchaînèrent avec la malédiction
correspondante, après quoi le
peuple entier répondit également
« Amen ! », et ainsi de suite jusqu’à
la dernière des malédictions.
C’est cette dernière qui va retenir
ici toute notre attention…


Fautes voilées au regard…

Comme nous l’avons vu, les différents
méfaits mentionnés ici
deviennent, à travers ces malédictions,
l’objet d’une rigueur particulière.
Plusieurs commentateurs
expliquent que les onze premières
fautes évoquées devinrent
l’objet d’une telle malédictions
dans la mesure où elles peuvent
être commises à l’abri des regards,
sans que jamais leur punition
respective ne puisse être
appliquée par un Bet Din. C’est
la raison pour laquelle la Torah
imposa à leur égard une malédiction
supplémentaire, afin de décourager
définitivement l’homme
de s’y prêter (voir notamment Ibn
Ezra et Kli Yakar).

Or, si les onze premières malédictions
s’expliquent d’une manière
ou d’une autre, la douzième et
dernière pose quant à elle problème.
La Torah y déclare en effet :
« Maudit quiconque ne maintiendrait
pas les paroles de la présente
doctrine et négligerait de les
mettre en pratique ! », (chapitre
27, 26). Selon Rachi, ce verset
englobe par cette déclaration « la
Torah toute entière, et c’est par
elle que le peuple juif accepta la
Torah sous la foi du serment ».
Or si cet anathème se réfère effectivement
à l’ensemble des préceptes
de la Torah, il convient de
comprendre quel est l’intérêt des
onze précédents qui n’en font pas
moins partie…


Une subversion délibérée !

Visiblement interpelé par ce problème,
le Ramban y répond en
notant que lorsqu’un homme
contrevient à un précepte de la
Torah, deux motifs radicalement
différents peuvent l’y inciter :
d’une part, il peut arriver qu’une
personne enfreigne une mitsva par
« négligence », c’est-à-dire en faisant
preuve de veulerie face à l’importance
de cet ordre divin. Dans
ce cas, si l’homme est bel et bien
passible du châtiment correspondant
à la mitsva violée, il ne saurait
néanmoins être concerné par
l’anathème prononcé ici. Le verset
ne s’adresse en effet pas à la personne
qui ne « respecterait » pas la
Torah, mais en particulier à celle
qui ne la « maintiendrait » pas. Par
conséquent, cette expression fait
référence – selon le Ramban – à
quiconque « nierait sciemment »
l’une des mitsvot de la Torah ou qui
la considérerait comme « révolue ».
C’est donc à l’adresse d’une telle
personne que cette malédiction fut
prononcée, dans la mesure où toute
négation délibérée d’une mitsva –
aussi modeste soit-elle – est considérée
comme « une rébellion et une
apostasie ».

Le Ktav Sofer renforce cette approche
en invoquant l’avis du Rambam
dans son « Guide des Egarés » (IIIè
partie, chapitre 41) où il commente
le verset suivant : « Mais celui
qui aurait agi ainsi délibérément,
parmi les nationaux ou parmi les
étrangers, celui-là outrage l’Éternel
! Cette personne sera retranchée
du milieu de son peuple ». En effet,
lorsqu’un homme reste conscient
de sa faute – bien qu’il la transgresse
en connaissance de cause –,
il conserve la dignité de son identité
juive puisqu’il considère son
méfait comme tel. En revanche,
lorsqu’une personne dénigre un
commandement de la Torah – soit
par négation radicale, soit parce
qu’elle le considère comme « obsolète
» –, elle s’oppose par sa démarche
à l’essence même de la Torah.
Contrairement aux onze premiers
anathèmes qui se justifient chaque
fois par la gravité de l’acte,
la dernière malédiction concerne
donc même les plus insignifiantes
des mitsvot, à partir du moment où
celles-ci seraient enfreintes délibérément
!

Fidèle aux enseignements de son
père – le ‘Hatam Sofer qui se battit
vigoureusement contre toutes les
mouvances de la Haskala et de la
Réforme au sein du judaïsme –, le
Ktav Sofer explique que cette approche
est malheureusement plus
courante de nos jours qu’il n’y
paraît… En effet, remarque-t-il,
certaines tendances au sein du judaïsme
s’arrogent le droit de donner
des « raisons aux mitsvot ». Or,
leur motivation n’est aucunement
d’approfondir le thème ou le sens
des commandements, loin s’en
faut ! Car en fait, ces personnes
cherchent ainsi à justifier leur
rejet du respect de la Torah sous
prétexte que la raison de telle ou
telle mitsva serait « révolue » de
nos jours… Ravies de cette approche
bien commode, ces gens dénigrent
toute valeur à un accomplissement
rigoureux des préceptes
divins, convaincues que le Saint
Béni soit-Il ne chercherait que « la
volonté du coeur ».
C’est donc à leur adresse que le
verset se prononce aussi sévèrement
ici, fustigeant celui qui « ne
maintiendrait pas les paroles de
la présente doctrine » dans le but
à peine voilé de « négliger de les
mettre en pratique ».


Maintenir la Torah

Avec une seconde proposition
extraite du Talmud de Jérusalem
(Traité Sota, chapitre 7), le Ramban
suggère que cet anathème a
été prononcé contre les dirigeants
et les dignitaires d’Israël qui ont
« la possibilité d’aider à maintenir
la Torah au sein du peuple juif, et
qui ne le font pas ». Autrement dit,
c’est bien à toutes les personnes à
qui il est donné l’opportunité de
raffermir l’emblème de la Torah au
sein du peuple juif que ce verset
s’adresse – mais en condamnant
vigoureusement celles qui manqueraient
à ce devoir impérieux !

Comme on le voit dans cette seconde
explication, au-delà de l’application
formelle et rigoureuse de
la Torah, se cache un « esprit de
la Torah ». Ainsi peut-on souvent
avoir le sentiment de faire très
précisément son « devoir », sans
jamais faillir au moindre détail…
Pourtant, de tels hommes qui
manqueraient à « maintenir la
Torah » – bien qu’aucune obligation
formelle n’ait été formulée à
ce sujet – n’en sont pas moins très
sévèrement blâmés !
Être fidèle à la Torah signifie donc
également ne jamais trahir ces
principes non-formulés de manière
explicite, lesquels ne se lisent
qu’entre les lignes des mitsvot
formelles.

Yonathan Bendennoune


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