Dans son livre « Peri Tsadik » (paracha Dévarim, 1), le rav Tsadok haCohen de Lublin rappelle que le cinquième livre du Séfer
Torah (Dévarim) dénommé aussi « Michné Torah » – littéralement : « la répétition de la Torah » – constitue pour ainsi dire le
début de la Torah de Moché rabbénou et, par extension, celui de toute la Torah orale. Une précision qui nous oblige à revenir sur
la singularité du plus grand des prophètes…

La voix du prophète

En effet, comme cela est dit expressément
dans le Traité talmudique
Méguila (page 31/b) – où
l’on peut lire : « C’est de sa propre
bouche qu’il [Moché] les dit » -, le
Séfer Dévarim reprend les enseignements
de la Torah écrite sous la
forme de l’oralité.

Or, dans le commentaire qu’il
consacra à la Torah (Chémot 7,
page 12), le fils du Rambam, rabbi
Avraham écrit : « Mon maître et
père m’a transmis au nom de son
grand-père – ainsi qu’au nom de
rabbi Saadia haGaon – que le terme
Elokim est un nom qui désigne les
anges et les autres expressions de
la divinité. C’est pourquoi quand il
est dit de Moché qu’il est ‘Ich haElokim’
[littéralement : « l’homme-
D.ieu » (Dévarim, 33, 1)- Ndlr], il
faut comprendre qu’il a le même
statut que celui d’un ange. Puisque,
tandis que D.ieu ne se dévoilait à
Aharon et aux autres prophètes
que par l’intermédiaire d’un ange
entre eux et Lui, lorsqu’Il se révélait
à Moché rabbénou, le Saint
Béni Soit-Il le faisait sans aucun
intermédiaire, mais de bouche à
bouche (‘Pé el Pé’ – Bamidbar 12,
8). Au point où l’ange entre D.ieu
et Aharon, c’est Moché lui-même,
tandis qu’Aharon est le prophète
de D.ieu, celui qui reçoit les messages
divins que D.ieu transmet à
Moché ! ».

En réalité, on retrouve cette idée
à travers le commentaire que
fait Rachi – au nom du Sifri – de
ce verset de la paracha Matot où
il est dit : « Or Moché s’exprima
auprès des chefs des tribus des enfants
d’Israël en disant : ‘Telle est
la Parole (zé haDavar) que D.ieu
a ordonnée’ » (Bamidbar, 30, 2),
puisque le maître de Troyes écrit
en effet : ‘Moché se distingue des
autres prophètes en ce sens qu’il
transmit son enseignement prophétique
sous cette forme : ‘Telle
est la Parole’ (zé haDavar), et non
pas seulement en disant : ‘D.ieu a
dit’ (ko amar) ».

Précision que l’on trouve expliquée
ainsi dans le « Sifté ‘Hakhamim »
sur le même verset : « ‘Zé haDavar’,
c’est-à-dire la Parole elle-même !
Telle qu’elle fut entendue de D.ieu !
Ce qu’on nomme en général : ‘Espeklaria
haMéira’ [littéralement :
la vision lumineuse-Ndlr]. Tandis
que D.ieu s’adressait aux autres
prophètes sous la forme d’énigmes
(‘hidot) ou à travers des songes, ce
que l’on nomme : ‘Espeklaria délo-
Méira’ ».

Il ressort donc de ces textes que
tous ceux qui écoutaient la parole
de Moché n’entretenaient pas une
simple relation d’homme commun
vis-à-vis d’un prophète. Bien
au contraire, la Résidence divine
s’exprimant par l’intermédiaire
de la bouche de Moché rabbénou
(« haChekhina méDabérèt miTokh
Grono »), avoir le mérite d’entendre
la voix de Moché, cela signifiait ni
plus ni moins de s’être au préalable
élevé soi-même au statut de
prophète, tant il est vrai qu’il était
impossible de recevoir le moindre
enseignement de sa bouche si ce
n’est sous la forme d’un message
prophétique !

Voilà pourquoi lorsque, recevant
sa première révélation prophétique,
Moché rabbénou s’excusa
devant D.ieu de ne pouvoir remplir
son rôle de prophète à cause d’un
« handicap » en expliquant : « J’ai
la parole embarrassée, comment
donc Pharaon m’écouterait-il ? »,
(Chémot, 6, 30), le Tout-Puissant
lui répondit alors : « Regarde !
Je fais de toi un dieu à l’égard de
Pharaon, et Aharon, ton frère, sera
ton prophète. Toi, tu diras tout ce
que Je t’aurai ordonné et Aharon,
ton frère, parlera à Pharaon (…) »,
(Chémot, 7, 1). Puisque « entendre
» la voix de Moché signifiait
littéralement s’élever à cette hauteur
prophétique seule susceptible
de se faire le récipiendaire de la
Révélation.

L’homme-D.ieu…

Dans cette optique, l’on comprendra
pourquoi la réalité physique
de Moché rabbénou ne ressemble
en rien à celle à laquelle nous a
habitué la fréquentation du genre
humain. Ainsi, dans son commentaire
des Aggadot du Talmud
(Traité talmudique Sota, fin du 1er
chapitre, pages 55sq.), le Maharal
de Prague écrit au sujet du verset
« Nul n’a connu sa sépulture »
(Dévarim, 34, 6) qu’il serait faux
de comprendre que la Torah est
venue ici nous enseigner que la
connaissance du lieu où Moché
rabbénou fut enterré nous fait
défaut… Puisque, ce qu’elle est
venue nous révéler au contraire,
c’est que la réalité même du plus
grand des prophètes n’est pas,
dans ce monde, de l’ordre du dévoilement
! Et quand bien nous
passerions au tamis tout le sable
qui recouvre le « Har Névo »
– c’est-à-dire cette montagne à
partir de laquelle Moché quitta ce
monde (Dévarim, 34, 5) –, jamais
nous ne trouverions le corps de
Moché ! Et ce, parce que précisément
son existence est par essence
au-delà de toute perception
dans la mesure où elle se dérobe à
la connaissance.

C’est en ce sens qu’il nous faut
comprendre cette affirmation
pour le moins étonnante du Midrach
Cho’har Tov (Psaumes, 90)
quand, expliquant pour quelle
raison Moché rabbénou est dénommé
« Ich haElokim », il écrit :
« De sa moitié jusqu’en bas, il était
‘Ich [un homme]’ ; et de sa moitié
jusqu’en haut, il était ‘Elokim
– [un ange]’ ». Puisqu’en effet,
si l’existence de Moché échappe
à notre appréhension, c’est bien
parce qu’il est « un intermédiaire
(emtsa) entre les réalités d’en haut
et celles d’en bas ; or tout intermédiaire
est nécessairement composé
des deux dimensions [qu’il
articule]… Voilà pourquoi Moché
peut dire : ‘Je me tenais entre
D.ieu et vous afin de vous exposer
la Parole de D.ieu’, (Dévarim
5,5) » (Maharal de Prague, Tiférèt
Israël, chapitre 21, page 67). Au
point où, comprenant maintenant
un peu mieux la singularité métaphysique
de cette réalité propre
au plus grand des prophètes, il ne
serait pas faux de dire que si Moché
rabbénou se trouvait effectivement
devant nous aujourd’hui,
peut-être ne le verrions-nous
même pas… !

Avant de conclure, on retiendra
toutefois cette affirmation du rav
Tsadok haCohen de Lublin dans
le passage de son livre précité
quand il dit : « La force particulière
attachée au dernier livre du
Séfer Torah – le ‘Michné Torah’
– fait que tout celui qui le lit se
trouve dans la même situation
que s’il l’écoutait effectivement
de la bouche de Moché Rabbénou
lui-même. Ainsi, quand il est dit :
‘Telles sont les paroles que Moché
adressa (…)’, il faut lire : ‘Telles
sont les paroles que Moché adressa
à travers la bouche de celui qui les
lit’ ».

Yehuda Rück


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