La « Chirat haYam » s’ouvre avec ce
verset : « Je veux chanter à l’Eternel, car sublime, Il a été sublime. Le
cheval et son cavalier, Il les a lancés
dans la mer [Sousse véRo’hvo Rama
baYam] » (Chémot, 15, 1).
En fait, derrière cette express
sion « Le cheval et son cavalier »
se cache un enseignement de toute
première importance. Le Talmud
prescrit en effet : « On n’interprète
pas les lois concernant les relations
interdites [Arayot] devant trois personnes ; ni l’acte de la création
[Maassé Béréchit] devant deux personnes ; ni même l’oeuvre du Char
[Maassé Merkava] devant une
seule personne » (Traité ‘Haguiga,
page11/b).
Commentant cette Michna dans
la première préface à son ouvrage
« Gvourot Hachem », le Maharal
de prague écrit que ces différents
tes interdictions reposent sur le
fait que l’acte du « Maassé Béréchit » incarnant le lien qui unit le
Créateur à ses créatures, ne s’interprète que devant une seule pers
sonne (celui qui enseigne et celui
qui écoute). En revanche, dans la
mesure où les relations interdites
(Arayot) régissent le lien qui unit
le Créateur et deux créatures, elles
ne peuvent être interprétées que
devant deux personnes. Enfin, si
l’oeuvre du Char céleste (Maassé
Merkava) ne peut guère être expliquée, même à une seule personne
[indépendamment bien sûr de celle
qui l’étudie], c’est en vertu du fait
que ce « Char » représente pour
ainsi dire la manière dont le Tout puissant
« chevauche » et dirige le
monde. Au point où s’élever dans
la connaissance du « Maassé Merkava » consiste très précisément à
chercher à comprendre comment,
bien que D.ieu soit absolument
transcendant (Nivdal) – à l’image
de l’âme dans le corps ! –, Il le dirige et le fait vivre. Or, une telle
appréhension de l’unité divine
(Assaga) ne peut être transmise
à autrui tant elle est, de par sa
nature même, hermétique à toute forme de dévoilement dans ce
monde.
Comme cela est indiqué dans le
Midrach (Yalkout Chémot, 244)
lors de « la déchirure de la mer de
Souf [Kriat Yam Souf ] », il fut révélé à toute servante ce que même
le prophète Ezéchiel ne distingua
pas dans sa vision prophétique du
Char céleste (Maassé Merkava) !
Ces mots : « Je veux chanter à
l’Eternel, car sublime, Il a été sublime. Le cheval et son cavalier, Il
les a lancés dans la mer [Sousse
véRokhvo Rama baYam] », constituent donc le coeur même de la
« Chirat haYam » au point où lors
de la « Chirat Myriam », qui suit
immédiatement ce passage de la
Torah, il est dit expressément :
« Myriam la prophétesse, soeur
de Aharon, prit dans sa main le
tambourin, et toutes les femmes
la suivirent avec des tambourins
et des danses. Et Myriam leur
répondit : ‘Chantez à l’Eternel,
car sublime, Il a été sublime. Le
cheval et son cavalier, Il les a lancés dans la mer [Sousse véRokhvo
Rama baYam]’ !» (Chémot 15, 20).
Le cavalier et sa monture
Il importe donc que nous comprens nions la spécificité de ce miracle
décrivant ce mouvement d’un cheval qui court pour se jeter à la mer,
tandis que son cavalier est littéralement annulé à sa monture qu’il
ne dirige plus – les deux ne faisant
même plus qu’un comme le souligne Rachi quand il écrit au nom de
la Mékhilta: « Les deux [le cheval
et son cavalier] sont attachés l’un
à l’autre ; les eaux les font monter
très haut et les font descendre profondément, mais ils ne se séparent
pas », (Chémot, 15, 1)…
Bien que nous ne soyons pas en
mesure d’expliquer la signification
ultime du Char céleste, nous comprenons toutefois que ce qui est
désigné sous cette expression, c’est
l’idée que la Présence divine entretient vis-à-vis de sa création pour
ainsi dire le même rapport que celle
d’un cavalier dirigeant sa monture
vers le but qu’il lui a fixé. Ainsi,
bien qu’il nous semble à première
vue que nous dirigions nous-mêmes notre propre existence en vertu
de notre libre-arbitre, cette image
nous révèle qu’en vérité il n’en est
rien et que seul le Tout-puissant
conduit toutes les destinées ! Non
pas parce qu’avec le dévoilement de
l’oeuvre du Char lors de la traversée
de la mer Rouge, le cavalier imaginaire se serait éclipsé pour laisser
apparaître le cavalier véritable qu’il
cachait jusqu’alors, mais bien parce
que ce qui fut rendu évident alors,
c’est le fait que le Tout-puissant est
à l’oeuvre au coeur même de la liberté individuelle de l’homme ! Ou
pour le dire en d’autres termes, que
l’exercice de la liberté est le lieu
même de l’expression de la conduite
divine du monde (Achga’ha) !
C’est à la lueur de cette précision
que nous pouvons comprendre pour
quelle raison les Egyptiens furent
noyés alors qu’ils chevauchaient
leurs montures…
La Torah nous enseigne en effet au
sujet des lois régissant la conduite
du roi d’Israël que ce dernier doit
« se garder d’entretenir de nombreux
chevaux, et ne pas ramener le peuple en Egypte pour en augmenter
le nombre, l’Eternel ayant déclaré :
‘Désormais, vous ne prendrez plus
ce chemin-là’ », (Devarim, 17, 16).
Or, le Traité talmudique Chabat (page152/a) enseigne : « Le
propre d’un roi, c’est d’être à
cheval » – sous-entendu que la
majesté royale s’exprime précisément en ce qu’un roi conduit
et dirige sa monture. Le cheval
représente donc le symbole même
de la puissance spirituelle modulant la matière et lui imprimant
sa forme, comme cela ressort de
cette invective du prophète Ezéchiel à propos des Egyptiens :
« Leur chair est celle des ânes et
leur débauche celle des chevaux »
(23, 20) !
C’est parce qu’ils pensaient être
les cavaliers authentiques aptes à
gouverner le réel en y inscrivant
le but qu’eux-mêmes lui avaient
fixé en vertu de leurs propres décisions que D.ieu noya les Égypts
tiens alors qu’ils étaient à cheval
sur leurs montures… Car de la
sorte, il devint alors parfaitement
visible que la toute puissance égyptienne, en tant que racine de l’exil,
se trouve placée elle aussi sous la
conduite divine du monde.
Yehuda Rück –
A partir du livre « Afikéi Maïm – Pessa’h » du rav Chmeltzer chlita
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