Rabbi Chimon bar Yo’haï – homme de Vérité
En l’honneur de la hilloula du saint Tana rabbi Chimon bar Yo’haï, -qui
tombe le 33e jour de l’omer -, lisons quelques lignes de la 33e page du
Talmud Chabbat qui dévoileront à nos yeux quelques modestes linéaments
de cette extraordinaire personnalité…

C’est en effet dans ce passage
talmudique qu’est relaté
l’illustre épisode où rabbi
Chimon bar Yo’haï et son fils rabbi
Élazar furent amenés à se réfugier
dans une grotte pendant de longues
années :

« Rabbi Yéhouda, rabbi Yossi et
rabbi Chimon [bar Yo’haï] étaient
assis ensemble, et Yéhouda «ben
Guérim» [fils des convertis] était
assis auprès d’eux. Rabbi Yéhouda
entama le propos en disant : ‘Quelles
sont belles les actions de cette
nation [les Romains] : ils ont aménagé
des marchés, édifié des ponts et
construit des bains publics !’ Rabbi
Yossi se tut, mais rabbi Chimon bar
Yo’haï répondit : ‘Tout ce qu’ils ont
réalisé, ils ne l’ont fait que pour leurs
propres besoins : ils n’ont aménagé
des marchés que pour y poster des
courtisanes, ils n’ont construit des
bains publics que pour s’y prélasser,
et ils n’ont édifié des ponts que
pour y prélever des taxes. Yéhouda
« ben Guérim » alla rapporter cette
discussion [à ses proches], et elle
arriva finalement jusqu’aux oreilles
du gouvernement. Celui-ci déclara
alors : « Yéhouda qui nous a glorifiés
sera élevé, Yossi qui s’est tu
sera exilé à Tsipori et Chimon qui
a diffamé contre nous sera mis à
mort ». Rabbi Chimon partit alors se
réfugier avec son fils dans la maison
d’étude. Sa femme leur y apportait
du pain, une cruche d’eau et ils
mangeaient.
Lorsque le décret prononcé à leur
encontre devint encore plus sévère,
rabbi Chimon dit à son fils : «Les
femmes ont un tempérament faible,
et s’ils venaient à la torturer, elle
pourrait nous dénoncer !». Ils partirent
donc se cacher dans une grotte,
où poussa par miracle un caroubier
et où jaillit une source d’eau. Ils
se déshabillèrent [pour préserver
leurs habits] et ils recouvrirent leur
corps de sable jusqu’au cou. Toute
la journée durant, ils étudiaient la
Torah et au moment de la prière, ils
se rhabillaient, ils se couvraient, ils
priaient, puis ils ôtaient à nouveau
leurs vêtements pour éviter qu’ils ne
s’abîment.

Ils restèrent ainsi douze années
dans la grotte, après quoi survint
le prophète Eliahou qui, se tenant
à l’entrée de la grotte, s’exclama :
« Qui annoncera à Bar Yo’haï que
César est mort et que le décret a été
annulé ? ». Ils sortirent alors de la
grotte, et ils virent des hommes en
train de labourer la terre et d’ensemencer.
Ils se dirent : «Comment
ces hommes peuvent-ils négliger la
Vie éternelle pour se consacrer à
une vie éphémère ? ». Tout endroit
où se posait leur regard s’enflammait
aussitôt… Une Voix du Ciel
sortit et leur déclara : « Est-ce donc
pour détruire Mon monde que vous
êtes sortis ? Retournez dans votre
grotte ! ». Ils y retournèrent et y restèrent
douze mois supplémentaires.
Ils se dirent alors : « La punition
des mécréants dans le Guéhinom est
de douze mois ». Une Voix du Ciel
sortit alors et proclama : « Sortez
de votre grotte ! ».

Ils sortirent à nouveau de la grotte,
et toute chose que rabbi Elazar frappait
de son regard, rabbi Chimon la
rétablissait. Il lui dit : « Mon fils, le
monde peut se suffire de nous deux
seulement ! ». La veille du Chabbat
suivant, ils virent un vieillard
cueillir deux bouquets de myrte et
s’empresser avant le coucher du soleil.
Ils lui demandèrent : « Pourquoi
ces bouquets ? », et le vieil homme
leur dit : « C’est en l’honneur du
Chabbat ! » – « Pourquoi ne te suffis-
tu pas d’un seul ? » – [L’autre
répondit] :»L’un par rapport à la
mitsva de ‘zakhor’ [Souviens-toi du
Chabbat], et le second par rapport
à ‘chamor’ [Observe-le] ». Rabbi
Chimon dit alors à son fils : « Vois
combien les mitsvot sont précieuses
aux yeux d’Israël !». Ils furent alors
rassérénés.

Lorsque rabbi Pin’has ben Yaïr, le
beau-père de rabbi Chimon, apprit
[qu’ils étaient revenus], il sortit à
leur rencontre. Il les fit entrer dans
une maison de bain, et il se mit à
soigner leur peau. En voyant les
plaies qu’ils avaient sur le corps
[à cause du frottement du sable],
il se mit à pleurer, et ses larmes,
ruisselant sur les blessures, arrachèrent
des cris à rabbi Chimon.

Rabbi Pin’has dit : « Malheur à moi
qui t’ai vu dans cet état ! ». Mais
rabbi Chimon lui répondit : « Heureux
sois-tu qui m’as vu dans cet
état ! Car s’il n’en était pas ainsi, tu
ne m’aurais jamais trouvé dans ces
dispositions ». En effet, avant cet
épisode, lorsque rabbi Chimon bar
Yo’haï exposait un problème, rabbi
Pin’has ben Yaïr le lui résolvait de
douze manières et après cela, lorsque
rabbi Pin’has ben Yaïr exposait
un problème, rabbi Chimon bar
Yo’haï le répondait par vingt-quatre
réponses (…) ».

Un passage de aggada [récits et exégèses
talmudiques] tel que celui-ci
ne saurait être abordé comme un
simple récit à prendre au premier
degré : en effet, il est inconcevable
que le Talmud prenne la peine
d’entrer dans tant de descriptions
narratives si celles-ci devaient être
dénuées d’intérêt spirituel !
Or, l’une des réflexions à laquelle
nous invite ce texte nous amène
à le confronter à un autre passage
talmudique, extrait du Traité Avoda
Zara, dans lequel on retrouve
approximativement la même discussion
que celle qui opposa ici
rabbi Yéhouda à rabbi Chimon,
mais dans un contexte totalement
différent :

« Aux Temps futurs, relate ce texte,
le Saint Béni soit-Il apportera un
Séfer Torah, Il le tiendra sur Sa
hanche et Il déclarera : « Tout celui
qui s’est préoccupé d’elle [la Torah],
qu’il vienne prendre sa récompense
! » Aussitôt, toutes les nations
du monde afflueront vers D.ieu (…)
L’Empire romain [visiblement l’ange
représentant la nature profonde
de cette nation-Ndlr] se présentera
en premier. (…) Le Saint béni soit-
Il leur demandera : « Qu’avez-vous
réalisé ? », et ils Lui répondront :
« Nous avons aménagé de nombreux
marchés, nous avons construit
beaucoup de bains publics et nous
avons amassé de grandes quantités
d’or et d’argent ; et nous n’avons
fait tout cela que pour qu’Israël
puisse s’absorber dans l’étude de la
Torah ». Le Saint Béni soit-Il leur
répondra alors : « Sots ! Tout ce que
vous avez fait, vous ne l’avez fait
que pour vous-mêmes : vous n’avez
aménagé des marchés que pour y
placer des courtisanes, construit
des bains publics pour vous y prélasser. et l’or et l’argent n’est à nul autre
qu’à Moi…» ».

Ainsi, apparaît-il à cet endroit que
c’est précisément cette même discussion
ayant opposé deux Sages
du temps de la Michna qui aura
lieu au jour du Jugement dernier
entre le Saint Béni soit-Il et la
nation romaine ! Mais que suggère
en fait ce rapprochement ?

Le chemin de la Vérité

S’il est un domaine particulier
qui évoque le personnage de rabbi
Chimon bar Yo’haï, c’est évidemment
celui de la Kabbale. Cette facette
de la Torah renferme l’aspect
le plus profond de ses enseignements,
et c’est pour cela qu’on appelle
également cette connaissance
la « Sagesse ésotérique » [‘hokhmat
haNistar]. Toutefois, on retrouve
une expression très courante chez
les Richonim, nos Maîtres de la
seconde moitié du Moyen-Age, laquelle
définit cette sagesse comme
étant « le Chemin de la Vérité »
(expression très usitée notamment
chez le Ramban dans son commentaire
sur la Torah). Non que cette
désignation taxe indirectement
d’inexactitude les autres facettes
de la Torah – le « pchat » [l’approche
première], le « rémez » [l’interprétation
par allusion] ou celle
du « drach » [l’exégèse] –, mais elle
suggère que c’est par cette étude
spécifique du sens caché que se révèle
la dimension la plus plénière
des enseignements de la Torah.
Ainsi, si la Kabbale se veut un enseignement
d’une extrême « profondeur
», c’est bien parce que son
approche prend en compte tous les
niveaux et toutes les dimensions
de l’existence : depuis le monde
ici-bas dans lequel nous évoluons,
jusqu’aux Mondes spirituels échappant
à notre perception. En revanche,
les autres approches s’avèrent
être plus « superficielles » dans la
mesure où leur lecture intervient
davantage à l’échelle du monde
sensible, telle que l’esprit humain
la perçoit à des degrés plus élémentaires.
La Kabbale participe donc d’une
« Science de Vérité » dans la mesure
où sa vision est absolue et
« universelle », ses enseignements
tenant compte de tous les niveaux
de la Création, depuis la Terre jusqu’aux
Sept firmaments, depuis les
conditions de ce monde-ci jusqu’à
la réalité du Monde futur…

Bar Yo’haï – homme
de Vérité

Or, il ne fait aucun doute que rabbi
Chimon bar Yo’haï, avant même
qu’il ne pénètre dans la grotte,
était enclin à considérer ce mondeci
avec ce « regard de l’Absolu ».
Si rabbi Yéhouda fit l’éloge de la
nation romaine, ce fut eu égard
aux exigences contraignantes de
l’exil, et ce, dans la mesure où les
conditions de l’existence du moment
imposent à l’homme de transiger,
à défaut de s’en tenir à une
ligne de conduite inflexible (ainsi
que le suggère entre autres le Maharcha).
Mais aux yeux de rabbi Chimon
bar Yo’haï, ces précautions ne sauraient
être tolérées : pour lui, seule
une vérité absolue excluant toute
concession mérite d’être prise en
considération ! Pour lui, seule la
réponse que donnera le Saint Béni
soit-Il dans les temps futurs – le
jour où tous les actes seront dévoilés
à la lumière d’une Vérité impérative
– est celle à laquelle l’homme
doive aspirer dès à présent…

Animé de ces dispositions, le saint
homme continua à développer ce
regard de Vérité absolue dans la
grotte. La tradition veut en effet
que ce soit pendant cette période
que lui furent révélés les enseignements
du Zohar et les fondements
de la Kabbale, comme en témoigne
notamment le fameux chant de
« Bar Yo’haï » : « Dans la grotte rocheuse
dans laquelle tu vécus, tu
acquis ta majesté et ta splendeur ».
Suite à quoi, après douze années
consacrées exclusivement à la
Torah, vécues à un niveau spirituel
d’une extraordinaire densité
et épargnées de tout contact avec
le monde extérieur, la Vérité telle
qu’il la concevait ne pouvait désormais
plus tolérer de concessions
face aux « modalités d’une
vie éphémère ». A ce moment-là,
tout ce qui à ses yeux et aux yeux
de son fils n’était pas conforme à
l’Existence authentique – celle de
la Vie éternelle – ou manquant de
valeur exclusivement spirituelle,
ne pouvait subsister : « Tout endroit
où leur regard se posait s’enflammait
aussitôt »…

Riche de cette vision nouvelle qui
lui permit désormais de réfuter
toutes sortes d’objections dans son
étude, rabbi Chimon dut néanmoins
retourner dans sa grotte
pour réapprendre, pendant une année
supplémentaire, à vivre parmi
le commun des mortels !
Tel est le message de ce personnage
exceptionnel : rabbi Chimon
bar Yo’haï était l’homme de Vérité
intransigeante qui légua au monde
la facette la plus dense de la Torah,
la Torah telle qu’elle est perçue
dans les plus hautes sphères
célestes.

YONATHAN BENDENNOUNE


Avec l’accord exceptionnel d’Hamodia-Edition Française

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