A l’intérieur de la tente

La Paracha Vayikra (1, 1) s’ouvre
sur ces mots : « Il appela Moché et
D.ieu lui parla de la tente d’assignation
pour lui dire ». Commentant
ce verset, le Midrach (Torat
Cohanim, 1, 4) enseigne : « ‘De
la tente d’assignation’ : cela nous
apprend que le son de la voix s’arrêtait
et ne sortait pas en dehors
de la tente. Est-ce parce que le
son de la voix était faible ? Non,
car le verset précise : ‘La voix’,
(Bamidbar, 7). Or, de quelle voix
s’agit-il ? De celle qui est explicitement
décrite dans les Psaumes :
‘La voix de l’Eternel est forte, la
voix de l’Eternel est majestueuse,
la voix de l’Eternel brise les cèdres’,
(Tehilim, 29, 4-5). S’il en
est ainsi, pourquoi est-il dit : ‘De
la tente d’assignation’ ? Afin de
nous enseigner que la voix s’arrêtait
[et ne dépassait pas la tente
d’assignation-Ndlr]. Ainsi qu’il
est écrit par ailleurs : ‘La voix
des ailes des anges se faisait entendre
jusqu’à la cour extérieure
[du temple] comme l’exclamation
de la voix du D.ieu Tout-puissant
[Kel Chakaï] quand Il parle’, (Ezéchiel,
10, 6). Est-ce parce que le
son de la voix était faible ? Non,
car le verset précise : ‘Comme
l’exclamation de la voix du D.ieu
Tout-puissant quand Il parle’. Or,
par ailleurs, il est dit : ‘Et j’entendais
le bruit de leurs ailes quand
elles s’avançaient pareilles au
murmure d’eaux puissantes, à la
voix du Tout-puissant ; une voix
tumultueuse, comme celle d’un
campement’, (Ezéchiel, 1, 24) ».

Malgré la puissance qui est la
sienne – capable même de « briser
les cèdres » -, D.ieu fit un miracle
afin que cette voix qui se dévoilait
à Moché ne soit pas entendue en
dehors de la tente d’assignation.
Et ce, bien qu’il ne fasse aucun
doute qu’en réalité, la voix du
Tout-puissant franchissait toutes
les limites et en particulier celles
de la tente d’assignation… Or paradoxalement,
pour la percevoir,
il fallait se trouver « à l’intérieur
de la tente », c’est-à-dire au coeur
même d’un rapport privilégié
avec la prophétie.

Tendre l’oreille

C’est en ce sens en effet que Rabbénou
Ba’hya (Commentaire sur
la Torah, paracha Vayikra, 1, 1)
commente ce passage du Midrach
quand il écrit : « Le prophète
[Ezéchiel] évoque la voix divine
suivant quatre dimensions différentes
: sous la forme des ‘eaux
puissantes’ afin de nous rendre
sensibles à son éternité ; comme
‘la voix du D.ieu Tout-puissant’
pour sa stabilité ; comme ‘une
voix tumultueuse’ pour sa démultiplication
; et enfin comme
la voix ‘d’un campement’ afin de
nous faire comprendre comment
ses oscillations s’accordent et
s’unifient. Or, cette voix incroyablement
sonore restait circonscrite
à l’intérieur de la cour extérieure
[du temple] et n’était pas entendue
à l’extérieur. (…) On retrouve
cette idée au sujet du prophète
Samuel qui, quand il se rendit la
première fois auprès du prophète
Eli, celui-ci lui répondit : ‘Je ne
t’ai pas appelé mon fils, retourne
te coucher !’, (Samuel I ; 3, 5).
Et ce, parce qu’Eli pensait que
peut-être Samuel s’était trompé
et que personne ne l’avait appelé.
Toutefois, quand Samuel se rendit
à nouveau vers lui, Eli comprit
que quelqu’un l’avait bien appelé,
mais il ne savait pas s’il s’agissait
d’un homme ou d’un ange.
Pour cette raison, Eli lui répondit
à nouveau : ‘Je ne t’ai pas appelé
mon fils, retourne te coucher !’.
Mais cette fois-ci, voulant être
sûr qu’il ne s’agissait pas d’un
homme, Eli tendit l’oreille : s’il
entendait aussi cette voix, alors il
ne ferait aucun doute qu’il s’agirait
d’un homme, et s’il n’entendait
pas ce que Samuel percevait,
preuve serait faite qu’il s’agirait
d’un ange. Car telle est la loi qui
préside à toute prophétie. Quand
donc Samuel entendit une troisième
fois la voix, tandis qu’Eli ne
percevait rien, il fut rendu clair
qu’une voix céleste appelait effectivement
Samuel. Tel est le sens
du verset : ‘Alors Eli comprit que
c’était D.ieu qui appelait le jeune
homme’, (Ibid., 10) ».
« Or, poursuit Rabbénou Ba’hya,
de même que nous trouvons une
telle distinction au sujet de l’ouïe,
on la trouve aussi en ce qui
concerne la vue. Et ce, parce que
le Saint Béni Soit-Il dévoile à qui
Lui semble bon, telle ou telle signification,
et la cache à d’autres
dans un même lieu et dans une
même temporalité. Comme il est
écrit : ‘Moi Daniel, je fus le seul à
percevoir cette vision, tandis que
les hommes qui se tenaient avec moi
ne la percevaient pas, (Daniel, 10,
7). (…) C’est ce qu’a affirmé Rabbénou
Saadia Gaon quand il a dit que
la voix qui se laisse percevoir par le
prophète constitue une réalité absolument
nouvelle, expression unique
au coeur des actions du Saint
Béni Soit-Il ».

Bien que la voix de D.ieu remplisse
ce monde, nous savons que depuis
que la prophétie a cessé, elle ne se
laisse plus saisir si ce n’est dans la
bouche de l’enfant et de l’insensé
(Traité talmudique Baba Batra,
page 12/b).

Toutefois, comme cela ressort des
Pirké Avot (chapitre 6, Michna
2) : « Tous les jours une voix s’élève
du mont ‘Horev [c’est-à-dire le
mont Sinaï où fut donnée la Torah-
Ndlr] et déclare : ‘Malheur à
l’humanité pour l’humiliation de
la Torah !’ ». Or commentant ce
passage, le Baal Chem Tov pose la
question suivante : « Pour quelle
raison une telle voix sort-elle et
proclame-t-elle cela ? Y a-t-il
seulement quelqu’un pour l’entendre
en plein désert ?! ». Ce à
quoi il répond qu’en réalité tout le
monde est susceptible d’entendre
cette voix.

Et pour cause ! Car même bien
la prophétie nous ait quittés, s’il
nous arrive encore parfois d’être
l’objet d’une intuition géniale,
d’une volonté pressante d’accomplir
telle ou telle action, telle ou
telle mitsva, c’est bien parce que
nous sommes restés sensibles à
la Présence d’une Voix qui nous
dépasse, à laquelle soudain nous
avons tendu l’oreille, pour nous
éveiller subitement à la Parole
divine!

Y. Rück


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